De la rage à l’apaisement, de la stupéfaction à la peur, des injures aux mots doux, des fous rires aux larmes, l’année sérielle a été riche en rebondissements, dérapages et découvertes. Et les créations françaises y ont été particulièrement remarquées. S’il est plus que jamais impossible de tout voir, voici 10 séries qui ont marqué durablement les esprits, avec quelques grand noms venus du cinéma: Marco Bellochio, Kore-eda et Xavier Dolan… A partir de la cinquième place, tous ces récits tiennent littéralement dans un mouchoir de poche.

1. Sambre (La RTBF et France Télévisions – 6 x 52)

La série Sambre retrace le terrible déni généralisé qui a permis à un violeur de sévir durant 30 ans sur les bords de la Sambre, entre France et Belgique. Jean-Xavier de Lestrade (Laëtitia) aborde avec le tact qu’on lui connaît cette sombre affaire inspirée de faits réels qui ont défrayé la chronique, dès la fin des années 80.

Au fil de six épisodes, la série aborde différents points de vue : les victimes, la police, la justice, les élus municipaux, avant d’évoquer le parcours du violeur. Librement adaptée de son ouvrage éponyme par Alice Géraud, et Marc Herpoux, la série rend hommage à la cinquantaine de victimes répertoriées au fil de trois décennies. Elle éclaire la lente prise de conscience collective des violences faites aux femmes et de la nécessité de changer d’attitude face à cet angle mort de la justice. Avec une formidable Alix Poisson, mais aussi Olivier Gourmet, Clémence Poésy…

Alix Poisson déchirante dans le rôle de l’une des victimes de la série « Sambre ».

2. Succession (Be tv et HBO – 10 x 52)

La détestation est un art et voilà cinq ans (depuis juin 2018) que la famille Roy s’emploie à le démontrer. La quatrième et dernière saison de Succession n’a pas failli à sa réputation, accumulant coups bas, trahisons, mensonges et bordées d’insultes. Comparée à Shakespeare, et au Roi Lear en particulier, mais aussi à la saga de la famille Murdoch, la série de Jesse Armstrong n’a pas ménagé ses efforts en termes de férocité et de noirceur humaines. Difficile de déterminer quel membre du clan Roy mérite le titre de personnage le plus méprisable, mais cette question a visiblement taraudé des millions de fans à travers le monde, assurant un succès peu banal à la série HBO, ancrée dans le monde des ultra-riches. Au terme de 39 épisodes, elle a tiré sa révérence mais fera encore sûrement longuement parler d’elle au cours de la prochaine cérémonie des Golden Globes.

Succession, la série de Jesse Armstrong n’a pas failli à sa mission pour clore cette quatrième saison.

3. Esterno Notte (Arte – 6 x 52)

Vingt ans après son film Buongiorno, notte, Marco Bellocchio revient sur la tragédie, vécue en 1978 en Italie, et réalise sa première série, afin de donner à l’affaire Aldo Moro l’ampleur méritée. Dans Esterno Notte, le cinéaste l’analyse sous un quintuple prisme, à la fois public (l’Église, l’État, les Brigades rouges) et privé (la famille du politicien et Aldo Moro, lui-même). Une “réécriture artistique” qui met en lumière l’enchaînement absurde des causes et effets qui a conduit à une tragédie. Il y a dans cette série une fébrilité et une tension impressionnante comme lors de l’épisode 4, centré sur le parcours d’un jeune couple de Brigadistes impliqués dans l’enlèvement. Mêlant la fantasmagorie et la satire à la réalité, la série, portée par Fabrizio Gifuni, Toni Servillo, Margherita Buy et Fausto Russo Alesi pointe les hypocrisies et les faux-semblants qui ont conduit à la mort d’un rêve.

Dans « Esterno Notte », Marco Bellocchio revient sur l’enlèvement d’Aldo Moro par les Brigades Rouges.

4. Polar Park (Arte – 6 x 52)

Un scénario ciselé, un univers intrigant, des plans visuellement extrêmement travaillés, un incroyable esprit de repartie, une ironie mordante, un second degré facétieux et un Jean-Paul Rouve épatant grâce à son humour pince-sans-rire : la série Polar Park de Gérald Hustache-Mathieu a énormément d’atouts dans son jeu. Reprenant les personnages de son film Poupoupidou (2011), le réalisateur imagine une double enquête pleine de ressorts et de faux-semblants à nouveau ancrée à Mouthe, la ville la plus froide de France.

On y retrouve le duo du film originel – Jean-Paul Rouve et Guillaume Gouix – face à un meurtrier fasciné par les œuvres de grands peintres. Proposant un voyage aux frontières de l’étrange et du burlesque, la série marie suspense et humour. La mise en scène baroque des scènes de crime, la bande-son envoûtante et l’atmosphère visuelle générale accentuent encore la singularité de cette série où brillent India Hair et Soliane Moisset, entre autres.

« Polar Park » série de Gérald Hustache-Mathieu avec Jean-Paul Rouve et Guillaume Gouix.

5. Tout va bien (Disney – 8 x 52)

Récit au ton doux amer, plein de sourires et de mélancolie, Tout va bien pose des questions d’une grande justesse. À travers chaque membre de cette famille sur le qui-vive, s’observent la multiplicité des réactions possibles à un traumatisme commun – la maladie d’un enfant – et les discussions incongrues que cela entraîne. La série questionne la façon dont on “fait famille” à travers les épreuves et la peur, grâce à la tendresse et à l’espoir.

En équilibre au bord du gouffre, Tout va bien donne des ailes, avec des éclats de rire inattendus à la clé. On ne s’attend pas à ce qu’autant de douceur émane d’un sujet aussi douloureux et Camille De Castelnau prouve toute la finesse de son écriture et son sens de l’observation portés par Sara Giraudeau, Virginie Efira, Nicole Garcia, Aliocha Schneider et Bernard Le Coq. La série frappe par sa formidable justesse et son humour, sans jamais sombrer dans le voyeurisme ou les scènes volontairement lacrymales. On songe à Six feet under et This is Us.

Sara Giraudeau et Virginie Efira: un épatant duo de soeurs solidaires dans la série « Tout va bien ».

6. The Bear (Disney – 10 x 40)

La série de Christopher Storer est comme un bon pot au feu: encore meilleur lorsqu’il est réchauffé. Nulle crainte que cette saison 2 de The Bear ne soit pas à la hauteur de vos attentes. Carmy Berzatto (Jeremy Allen White) s’y affirme encore plus attachant que lors de la première saison, déclinée en huit épisodes. Désormais en charge d’un vrai restaurant, le jeune chef doit tenir ses promesses et n’est clairement pas au bout de ses peines… Une saison qui marie avec goût le sucré, le salé, le piquant et l’al dente pour le plus grand plaisir des gourmets.

Carmy Berzatto (Jeremy Allen White) est face à un nouveau défi dans la saison 2 de la série « The Bear ».

7. Makanai (Netflix – 9 x 40)

Pour son entrée dans l’univers des séries, le grand cinéaste Hirokazu Kore-eda signe un récit d’apprentissage roboratif, empli d’une grande douceur et d’une égale poésie, ancré dans l’univers méconnu des (apprenties) geishas. Il relate l’histoire de deux amies inséparables – Sumire (Natsuki Deguchi) et Kiyo (Nana Mori) – qui rêvent de devenir maiko et évoluent dans le quartier et les écoles qui leur sont réservés à Kyoto.  Entre rêves et réalité, chacune devra trouver son chemin dans cet univers régi par de nombreuses traditions – concernant la danse, l’art dramatique et la conversation -, en laissant parler son coeur et ses dons…

« Makanai », la première série de Kore-eda s’inscrit dans le petit monde des geishas.

8. Lessons in chemistry (AppleTV – 8 x 52)

À travers l’histoire de cette chimiste empêchée, devenue star de la télévision, Lee Eisenberg revisite l’Amérique sexiste et ségrégationniste des années 50. Créée par Lee Eisenberg (WeCrashed, Little America), portée par la comédienne Brie Larson (Captain Marvel) et par Lewis Pullman (Top Gun Maverick), la série est adaptée du best-seller de Bonnie Garmus, La Brillante destinée d’Elizabeth Zott, paru en 2022. À travers ce récit, de multiples points de vue sur l’époque et ses spécificités s’expriment : défis raciaux et sociaux sur fond de marches non-violentes pour les droits civiques, abus de pouvoir et dérives publicitaires dans le secteur télévisuel, en plein essor… Son grand sens pédagogique et ses incroyables talents culinaires ont fait d’Elizabeth Zott, une source d’inspiration et un modèle d’émancipation pour son public féminin et masculin. Comme son héroïne, la très introvertie Mrs Zott, Lessons in chemistry prend de l’envergure au fil des épisodes.

Brie Larson et Lewis Pullman dans la série « Lessons in chemistry » sur Apple TV.

9. The Last of Us (Be tv et HBO – 9 x 1h)

Certains étaient dubitatifs mais The Last of Us a prouvé que les séries survivalistes pouvaient avoir du fond et du cœur, tout en signant une révolution narrative sans forfanterie, ni mièvrerie. La série imaginée par Neil Druckmann, développeur et scénariste du jeu originel, et Craig Mazin (Chernobyl), son complice, prouve ses ambitions en s’éloignant du matériau originel et en développant de nouvelles intrigues visuellement et narrativement pertinentes.

Dans les rôles principaux, on croise Anna Torv (Fringe), Pedro Pascal (Narcos, The Mandalorian) et Bella Ramsay (Game of Thrones). Les deux créateurs proposent un mélange de road movie et de film de survie, bien plus proche du western que du récit survivaliste, le tout dans un univers post-apocalyptique hanté par la menace persistante d’attaques de zombies, au fil de neuf épisodes ambitieux (entre 45 minutes et 1h20).

Adaptée du jeu vidéo homonyme, la série « The Last of us » a séduit un nouveau public.

10. La Nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé (Be tv et Canal+ – 5 x 1h)

Xavier Dolan s’essaie à la série et prouve qu’il a d’emblée tout compris: ses personnages ne manquent ni de chair, ni d’épaisseur, sa réalisation marie avec soin beauté formelle, révélations et suspense. Quant à son récit, il brasse toutes les thématiques chères à son coeur: famille, secrets, amour et déchirements. Du concentré de Dolan, entre rire et larmes…

Xavier Dolan a imprimé toutes ses chimères dans sa série « La nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé ».

Karin Tshidimba

nb: Vous auriez aimé voir Beef et Blue Eye Samouraï figurer dans ce top 10 ? Foncez voir ce que mes collègues en ont pensé.

Bonne fin d’année à tous, on se retrouve très bientôt pour humer les premiers parfums de 2024…