Quatre frères et sœur se retrouvent au chevet de leur mère. Leur deuil imminent n’est pas leur seul tourment. Entre tristesse et châtiments, le cinéaste explore une famille au bord de la crise de nerfs. Sur Be tv, vendredi à 20h30.

Octobre 2019, dans une petite maison de la banlieue pavillonnaire de Val-des-chutes, au fin fond du Québec, Mado se meurt. Ses trois fils – Julien (Patrick Hivon), Denis (Eric Bruneau) et Elliot – tentent de se préparer à l’inévitable.
Les trois garçons semblent assez fracassés, surtout Elliot, le cadet campé par Xavier Dolan. Et le retour imminent de leur sœur, après 28 années passées à Montréal, ne va sans doute rien arranger. Aux yeux de tous, Mireille (Julie Le Breton) demeure toujours celle par qui le scandale est arrivé.
Photos saccagées ou brûlées, mots découpés dans les journaux façon lettre anonyme : le générique laisse imaginer les rancœurs qui consument les êtres et constituent toujours un fameux nœud de vipères. Une histoire douloureuse inscrite dans la durée comme le laissent entrevoir aussi le grain de l’image et les polaroïds aux coins écornés.

Une jeunesse torturée

La Nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé nous plonge dans ce patelin ordinaire, cette famille pleine de silences dominée par une fratrie rongée par les névroses et les secrets. En quelques scènes à peine, on reconnaît les thèmes chers à Xavier Dolan, cinéaste qui n’a pas cessé de sonder une jeunesse marginale et torturée. Il signe ici sa première série, coproduite par Canal +: cinq épisodes d’une heure oscillant entre psychanalyse et thriller avec quelques touches d’humour et d’épouvante. Un format qui permet à l’acteur-réalisateur d’explorer le vécu de la famille Larouche au fil de trente années qui n’ont rien eu de glorieuses.

Xavier Dolan convie son actrice fétiche Anne Dorval  pour jouer le rôle de Madeleine (Mado) Larouche.

La série suit le fil de leurs déboires entre cette fameuse nuit d’octobre 1991, qui a scellé le destin de tout le clan, et cette journée d’octobre 2019, au cours de laquelle leur Mommy s’est éteinte… Un récit sur lequel plane d’emblée l’ombre de Six feet under. Un clin d’œil assumé, entre drame et comédie, et pas seulement en raison de la profession choisie par l’unique fille de la famille. Depuis J’ai tué ma mère en 2009, Eros et Thanatos ont toujours été intimement liés à la filmographie du Québécois fébrile, le tout tapissé d’importants différends familiaux.

La somme de toutes ses obsessions

Dans ce récit choral, retraçant à la fois le deuil présent de cette famille au bord de la crise de nerfs et les événements qui ont secoué le voisinage des Larouche dans le passé, on retrouve quelques habitués de l’univers de l’hyperactif cinéaste : Anne Dorval, Eric Bruneau, Magalie Lépine Blondeau,… Une troupe au sein de laquelle se glisse Julie Le Breton, impériale en fauteuse de troubles écorchée, sorte de Nemesis ou de mauvaise conscience assumée. La justesse d’interprétation et la vulnérabilité des quatre enfants Larouche offrent à la série une formidable chambre d’écho.
Tension larvée et apparitions inopinées, choix de musiques résolument pop dans une bande-son établie avec la complicité d’Hans Zimmer, indices et fausses pistes, sens de l’ellipse et du montage : Xavier Dolan s’amuse visiblement et séduit par ses choix pertinents de mise en scène. Le créateur retricote les parcours de ses cinq personnages principaux au départ du huis clos conçu en 2019 par le dramaturge Michel Marc Bouchard dont Dolan avait déjà adapté une autre pièce, Tom à la ferme, en 2013. Son savant montage d’événements entrelacés permet de comprendre les fractures et itinéraires empruntés par chacun jusqu’à la révélation finale.
Laurier Gaudreault offre une sorte d’immersion totale puisque Dolan a écrit, réalisé, produit, monté et joué dans sa série. Cette œuvre lui ressemble jusque dans les moindres détails, rendant d’autant plus troublante l’annonce de sa volonté de mettre sa carrière sur pause pendant quelque temps. À 33 ans à peine, ce touche-à-tout de talent a en effet annoncé avoir l’impression d’avoir bouclé la boucle de ses obsessions.
Karin Tshidimba