Scénariste vedette né en Israël (In Treatment, The Affair, Our Boys) et Président du jury à Series Mania, il avoue ses obsessions nées au contact d’une oeuvre-phare des années 70 signée par le Sédois Ingmar Bergman…

C’est un homme discret, presque effacé qui réfléchit toujours quelques instants avant de répondre aux questions. Souvent, il passe sa main sur son crâne presque chauve comme s’il voulait aider les mots à sortir de son cerveau. Un cortex remarqué et remarquable d’où se sont échappées quelques-unes des séries les plus originales de ces dix dernières années : BeTipul, Our Boys, The Affair… et bientôt Scenes from a Marriage, adaptée du chef-d’œuvre de Bergman, attendue le 16 septembre sur Betv.

Vous pensez ne pas connaître Hagai Levi ? Pourtant sa série la plus célèbre a fait le tour de la terre. Depuis sa transposition aux États-Unis sous le titre d’In Treatment, elle a connu un destin international et pas moins de 19 adaptations dont la dernière en date, En Thérapie, a connu un retentissement phénoménal sur Arte.

La cause n’en est pas seulement à rechercher du côté du dernier confinement qui nous a tous vus rester davantage accrochés à nos écrans… Hagai Levi a imposé un type de narration d’un naturel et d’une simplicité confondante et d’une grande richesse émotionnelle.

Ce qui fait lien et ce qui nous sépare

Bien sûr, les hommes et les femmes qu’il filme, cherchent à dompter leur trauma et surtout à trouver les mots pour le dire. Ils nous ont accompagnés avec chaleur et sagacité au cœur de semaines difficiles, parfois douloureuses, souvent angoissantes. Mais, surtout, ses fictions sans esbroufe ni effets de manche nous ont prouvé une fois de plus que l’homme, animal social par excellence, a avant tout besoin de mots et d’écoute pour aller bien. Un constat basique mais imparable.

Il y a une filiation claire entre les séries créées par Hagai Levi : cette importance donnée à la parole, à l’écoute, à la perception que les personnages ont de leur vie et de celle de ceux qui les entourent, aux interactions entre les humains. Ce qui fait lien et ce qui nous sépare.

Le goût des mots et de la thérapie

Ce rapport aux mots, cela fait des années qu’Hagai Levi le cultive. Fasciné par la psychothérapie qu’il a longtemps pratiquée lui-même, il en creuse les ressorts depuis de nombreuses années. Né dans un kibboutz religieux en Israël, il a trouvé son chemin à travers la psychologie et l’écriture, sondant inlassablement les tréfonds de l’âme humaine.

Rien ne le passionne plus que le combat entre le Bien et le Mal, “entre le désir et la morale. J’ai grandi dans un milieu très orthodoxe et mes vingt premières années ont été régies par ce conflit. Dans la religion, il y a des milliers de choses que pouvez et ne pouvez pas faire et, en même temps, vous avez votre propre volonté, vos désirs, vous devez apprendre à gérer les deux en permanence. Ce conflit intérieur est fondamental. Il est à la base de tout.” Et effectivement, il régit les personnages de toutes ses séries : les patients de BeTipul (En Analyse), le couple qui se déchire dans The Affair, les religieux qui « dérapent » dans Our Boys

La part de la vérité et du mensonge

Président du jury à Series Mania, Hagai Levi vient de passer une semaine à Lille à visionner des séries en compagnie d’autres passionnés de ce format narratif qui ne cesse de le surprendre. “Quand je vois les foules qui viennent découvrir les séries en salle et que je compare Séries Mania à ses débuts et aujourd’hui, je suis très étonné. Jamais, je n’aurais pu prédire que le festival prendrait une telle ampleur.” Pourtant, cela n’a rien d’étonnant : les séries plongent leurs racines dans le terreau fertile de la nature humaine, territoire qui intrigue et fascine. Comme l’a prouvé En Analyse (BeTipul) qui, au rythme d’une séance par semaine, recueille les confidences de cinq adultes…

Généralement, tout le monde cache des choses ou ment… Là, même si le patient peut se cacher des choses à lui-même, il n’a aucun intérêt à les cacher à son thérapeute. La série s’apparente donc à une enquête, car chacun cherche sa vérité. C’est fascinant pour le téléspectateur” qui peut s’identifier aux problématiques posées. “En plus, cette série est facilement adaptable car elle répond à une question qui nous concerne tous : ce que c’est qu’être humain” poursuit Hagai Levi.

L’étincelle initiale: l’oeuvre d’Ingmar Bergman

Bien plus que la question du conflit moral ou de la religion, l’histoire qui a le plus inspiré Hagai Levi est une série d’Ingmar Bergman, découverte alors qu’il était jeune adulte: Scènes de la vie conjugale (Scenes from a Marriage)“Je n’avais jamais vu cela : deux adultes qui parlent de façon rude et à voix haute… J’étais fasciné, je suis revenu voir les épisodes chaque semaine au cinéclub jusqu’à la fin.”

Malgré sa grande déférence, Hagai Levi n’a pas eu peur de réinventer ce chef-d’oeuvre pour HBO en créant une nouvelle histoire de couple et de conflit moral, serait-on tenté d’écrire. Le réalisateur-scénariste la transforme en modifiant le profil du couple qui est inscrit en son centre, insufflant au récit une modernité qui entre brillamment en résonance avec notre époque “prônant le dépassement de soi et la réalisation de ses désirs profonds”. Il fallait un certain culot pour s’attaquer à Scènes de la vie conjugale, mais le fait d’y être invité par le fils du maître suédois était une opportunité “qui ne se refuse pas”, a confié Hagai Levi, et qui lui a donné des ailes…

Le résultat est bluffant, remarquable de pertinence et de justesse, tant au niveau de la réalisation que des dialogues ou du jeu des acteurs principaux, Jessica Chastain et Oscar Isaac. Pas de quoi rougir, donc, face à la série originale produite en 1973 pour la télévision suédoise. Une version dont nous reparlerons également dans une de nos prochaines éditions.

Karin Tshidimba, à Lille