damon lindelof.jpgComment écrit-on l’épilogue d’une série qui, depuis deux saisons, évolue en apesanteur en abordant le deuil et le réconfort, la fin d(‘)u(n) monde et un nouveau départ ?
Face à cette question essentielle et même existentielle, Damon Lindelof, le créateur de The Leftovers*** et Justin Theroux, son acteur principal, ne se sont pas dérobés.
Invités du Festival Séries Mania, ils ont répondu aux questions des journalistes avant que Damon Lindelof (photo) ne donne une masterclass samedi en début de soirée. Le tout à 24h du démarrage de la saison 3 sur HBO, qui sera aussi la dernière de la série.

« Pendant la saison 2, nous n’avions aucune certitude qu’il y aurait une saison 3 mais nous savions que nous étions plus près de la fin que du début. Nous avons fait en sorte que cette saison soit comme une nouvelle avec un début, un milieu et une fin, afin de ne pas laisser le public sans conclusion. Puis, HBO nous a donné le feu vert et nous leur avons dit que cette saison serait la dernière. »

« Nous savions que la saison 3 se passerait en Australie. Avec tous les auteurs, nous avons passé trois semaines à parler de ce que serait les scènes finales : qui serait là, de quoi ils parleraient et ce que nous voulions faire ressentir. Nous nous sommes posés la question : qu’attend le public et que pouvons-nous faire pour le surprendre en lui offrant tout le contraire » (Damon Lindelof sourit). « Même s’il est impossible de savoir exactement ce que le public souhaite… »

Mieux vaut avoir fini de regarder la saison 2 avant de lire ce qui suit…

« Le lien entre le réel et The Leftovers n’est pas compliqué à tracer »

damon lindelof the leftovers.jpg« Toute la saison a été une progression pour tenter d’atteindre ce point que nous voulions le plus satisfaisant possible pour tout le monde, tout en tentant de nous surprendre mutuellement. Depuis le début de l’écriture en janvier, jusqu’aux dernières scènes écrites en octobre. Nous voulions aussi que le fait que Kevin soit mort – et soit ensuite revenu parmi les siens – ait une conséquence car je déteste ces séries qui ramènent leurs personnages à la vie et tout le monde fait comme s’il ne s’était rien passé. Je voulais que tout le monde en parle, à l’exception de Kevin qui souhaite vraiment passer à autre chose… Cette idée et celle de l’Australie étaient nos points de départ pour les découvertes à venir », précise Damon Lindelof soucieux de préserver le mystère.

« Dans une Amérique où la peur, l’agitation, les faits alternatifs et une certaine vision apocalyptique du monde sont devenus des sujets de conversation quotidiens, le lien entre The Leftovers et le réel n’est pas si compliqué à tracer », souligne Damon Lindelof.

« Ces personnes ont dû affronter l’apocalypse et c’est ce que la série raconte si bien : ce qu’ils décident de faire à partir de là. A savoir : choisissent-ils de croire ou pas, d’embrasser un tout nouveau système de croyance… Ou vont-ils, au contraire, choisir de vivre retirés du monde extérieur. Chaque génération a l’impression que l’apocalypse est proche… Personnellement, j’évite de me poser la question. Entre religion et science, je choisirais le camp de la science », intervient Justin Theroux qui campe le policer Kevin Garvey (à droite sur la photo).

« C’est un signe » affirme Damon Lindelof, ébahi, en découvrant la procession

damon lindelof tom perrotta.jpg« Pour être honnête, je navigue entre les deux. Je pense être quelqu’un de pragmatique mais, par moments, la science me rend vraiment triste et inquiet. Si on se fie aux faits, les choses semblent évoluer dans la mauvaise direction. A ce moment-là, j’aimerais être moins adepte de la science et avoir une pensée davantage magique. Je ne veux pas croire qu’il n’y ait pas de but supérieur à la vie, je veux rejeter cette idée et en tant que scientifique me convaincre de devenir un homme d’espoir et de foi, ce qui me semble nettement plus attirant », poursuit Damon Lindelof

A ce moment précis, des chants religieux s’élèvent dans la rue en contrebas. L’interview s’interrompt et les deux partenaires de Mapleton se rendent à la fenêtre pour découvrir… une procession religieuse dans la rue Montaigne.

« C’est un signe… » affirme Damon Lindelof, ébahi. Après quelques photos et observations, l’entretien reprend tout naturellement autour des questions des mystères de la vie et de la foi.

« La série Lost tournait autour de mystères, de grandes questions et des réponses à y apporter. Plus les questions sont grandes, plus elles semblent appeler de grandes réponses. On a fait de notre mieux pour les donner. On a même apporté des réponses à des questions que le public ne se posait sans doute pas. Et puis, elles étaient parfois trop longues à arriver et cela a créé de la frustration. D’autres ont pensé que ces questions ne les intéressaient pas, alors que nous, oui. »

Lost.jpg« Sept ans après la fin de Lost, les choses ont changé. Je n’ai aucun contrôle sur l’héritage de Lost mais le fait que sa conclusion soit encore autant sujet à discussions est plutôt cool. J’ai éprouvé des sentiments très forts par rapport à cela mais aujourd’hui, je me dis : le but de l’art est de durer et s’il dure, cela signifie quelque chose… même si tout le monde n’est pas d’accord avec la fin proposée. Il y a une fixation sur la façon dont la série s’est terminée et cela fait partie de son héritage. On verra ce qu’il en sera pour The Leftovers… Parfois comme pour Breaking BadMad Men ou The Wire, la fin importe moins que le chemin parcouru » souligne Damon Lindelof.

Son co-créateur l’admet: The Leftovers poursuit la même réflexion que Lost.
« Je reste fasciné par l’ambiguïté et ces questions qui resteront toujours sans réponses parce que c’est comme cela que fonctionne la vie. Je comprends qu’il peut y voir une frustration du public mais cela n’enlève rien à la noblesse de la quête sur ces idées. Quand j’ai lu « Les disparus de Mapleton » de Tom Perrotta, j’ai trouvé cela extraordinaire qu’il annonce que le lecteur n’aurait jamais les réponses concernant la disparition de 2 % de la population mondiale. En tant que créateur, ça a été libérateur pour moi de me dire que je pouvais écrire une histoire où je n’étais pas obligé de donner toutes les réponses. Et où le public va davantage apprécier le chemin parcouru en sachant qu’il n’aura pas toutes les réponses à la fin. »

« Dans Lost, je me suis laissé dépasser par l’inquiétude de ce que tout le monde pensait, ce qui a conduit le public à douter de la finalité de la série. Aujourd’hui, je me dis : voici l’histoire que je veux raconter. Si ces questions ne vous intéressent pas, c’est cool parce que vous n’êtes pas obligés de regarder la série mais je continue à penser que ces questions valent la peine d’être posées. The Leftovers ne prétend pas apporter des réponses, elle porte sur les sentiments mêlés de deuil et de confusion et la volonté de trouver son chemin à travers les épreuves. Dieu ne va pas venir s’expliquer à propos de tout cela, du moins pas de façon conventionnelle. » Il sourit…

« L’espoir est plus fort que tout » constate Damon Lindelof fasciné par « l’ambiguïté »

Quant à savoir pourquoi il est à ce point intéressé par les questions de perte et de deuil, il n’en fait pas mystère…

damon lindelof trio.jpg« Je vais avoir 44 ans et j’ai forcément déjà vécu la disparition de personnes proches. Je suis toujours étonné de voir à quel point on peut être choqué par quelque chose qui est inévitable et qui reste dans l’ordre naturel des choses. Personne ne veut passer du temps à penser à la mort, mais on devrait y être préparé. C’est ce qui est étonnant dans la connexion humaine : nous nous rendons extrêmement vulnérables face à des relations qui s’étiolent. »

« La force de Tom Perrotta est d’avoir choisi d’écrire à propos de familles qui n’avaient perdu personne le 24 octobre mais qui étaient fracturées par l’impact que cet événement mondial avait eu sur elles. Ces questions émotionnelles m’ont parues très authentiques : nous nous impliquons dans des relations qui peuvent s’arrêter ou nous fuir, nous pouvons découvrir que tout n’était qu’un mensonge. Et même si certains ne voudront sans doute pas regarder une série qui aborde ces questions, je me suis dit que c’était une thématique humaine importante à explorer. En dépit de tout, nous tombons amoureux alors même que l’amour est sans doute le sentiment qui peut créer le plus de souffrance car nous trouvons que cette expérience en vaut la peine. Et nous ne pouvons nous en empêcher. J’ai trouvé ce paradoxe aussi fort qu’étonnant et très romantique, en fait… Car l’espoir est plus fort que tout » souligne Damon Lindelof.

Le scénariste a en tout cas trouvé avec l’aide du compositeur Max Richter (à gauche sur la photo) et de l’écrivain Tom Perrotta (à droite) les notes et les mots pour le dire…

Entretien: Karin Tshidimba, à Paris