Fan de peinture, Gérald Hustache-Mathieu a retrouvé son complice, l’acteur Jean-Paul Rouve, pour mettre en scène un nouveau jeu de piste dans la neige au cœur de sa série Polar Park pour Arte.

Quand les planètes s’alignent aussi parfaitement, il est parfois difficile de distinguer l’étincelle initiale. Face au tableau final, les questions affluent… On a fait le point avec le duo de la série Polar Park – Jean-Paul Rouve, comédien et Gérald Hustache-Mathieu, scénariste et réalisateur – pour retracer leur trajet sur cette piste enneigée.

Pourquoi une série ?
Jean-Paul Rouve : C’est l’histoire qui est importante et qui décide comment elle doit être racontée : court métrage, long métrage ou série. J’avais travaillé avec Gérald en 2011 sur Poupoupidou. On s’était très bien entendu et on ne s’était pas perdus de vue. J’aimais son côté lynchien. J’avais été touché par l’histoire, par son ton, son décalage. Je les ai retrouvés dans la série. Il faut qu’il y ait un univers et un metteur en scène au cœur de son monde pour que je me lance. Je ne comprends pas toujours ses choix, je suis étonné mais je le suis. On a tourné dans un sauna nudiste, par exemple. Ça, c’est lui… Je ne sais pas pourquoi les personnages se retrouvent là, mais c’est cela que j’aime.”
Gérald Hustache-Mathieu : “Si cette série existe, c’est presque de ta faute. Dans ma tête au départ, c’était une série. Mais, on n’en faisait pas, en France, sur des sujets comme celui-là. Quand je lui en ai parlé, j’ai vu qu’il adhérait. Le temps a passé et j’ai vu que le lieu de l’originalité était devenu le monde des séries, donc on s’est lancé. On va faire la saison 2 et la saison 3.”
Jean-Paul Rouve : “Pas à la montagne, au soleil…”

Jean-Paul Rouve et Guillaume Gouix dans la série « Polar Park ».

Reste que face à sa détermination, on peut s’étonner du délai entre son précédent film et cette série.
Gérald Hustache-Mathieu : “J’avais du mal à monter mes films. Le milieu du cinéma est devenu plus frileux. Mon univers est un peu entre deux chaises. Mon cinéma n’est pas super populaire, ce n’est pas non plus un cinéma d’auteur pur et dur. Dans la tête des financiers, cette position intermédiaire résonne avec le mot ‘niche’ et c’est un terme qu’ils n’aiment pas. Alors que dans le monde des séries, au contraire, lorsqu’on évoque des chapelles, cela fonctionne. Les fans de séries, c’est comme les spectateurs de festivals. Vous avez des passionnés, des aficionados de courts métrages, par exemple, ce sont des gens qui aiment les surprises et qui sont curieux. Aujourd’hui, il y a tellement de séries qu’il faut absolument se démarquer, être un peu fou, original. Et Arte aime creuser ce sillon-là. Il faut être courageux pour faire le pari et s’embarquer dans une aventure qui marche sur un fil. Jean-Paul, aussi, m’a suivi depuis le début et je leur en suis très reconnaissant.”
Comment avez-vous construit cet univers visuel très singulier ?
Gérald Hustache-Mathieu : “On est tous le reflet de ce qu’on a aimé : films ou séries. Je suis suffisamment âgé pour avoir vu Zorro, Chéri-Bibi, Happy days, Columbo, Starsky et Hutch, mais aussi Twin Peaks, X-Files, Fargo, Breaking Bad… On a été abreuvés par ces histoires et ces images. Il y a peu de choses que je n’aime pas. Et tout ce que j’aime, j’en fais les ingrédients avec lesquels je cuisine,… Quand j’écris, c’est naturel, cela fait partie de moi. Je n’y pense pas, je n’ai pas l’impression d’en faire un hommage. Parfois, je ne m’en rends compte qu’après. Comme lorsque, dans une scène de Poupoupidou, on a l’impression que les frères Coen rencontrent Fellini. Cela me fait plaisir car c’est comme si j’avais organisé la fête.”
Pourquoi revenir dans la ville de Mouthe, déjà mise en scène dans le film « Poupoupidou » ?
Gérald Hustache-Mathieu : “Mouthe, c’est une rencontre très bizarre due à un reportage vu sur Canal. J’ai dû reconnaître quelque chose car je viens de Grenoble et cela symbolise de façon exacerbée l’endroit où j’ai grandi. Au fond, je suis un provincial, je porte ce côté authentique en moi, comme Jean-Paul. Avec la tendresse que l’on a pour les gens et l’univers dans lequel on a grandi. Mouthe est devenu un endroit de fiction. Tout m’a ramené là. En cas de saison 2, je vais essayer d’aller ailleurs quand même.” (Il rit.)

Soliane Moisset (Niki) dans Polar Park (2022), réalisé par Gérald Hustache-Mathieu.

Pourquoi le choix d’un tueur en série amateur d’art ?
Gérald Hustache-Mathieu : “Il fallait maintenir le suspense et faire en sorte qu’on continue à être surpris. Plus je travaillais sur ce sujet, plus je me suis rendu compte que ce qui me fascinait dans le travail des serial killers, c’était cette hyper-préparation. L’idée du contrôle qui se prolonge, fait penser au travail du réalisateur qui prépare ses plans et tente de maintenir le suspense jusqu’au dernier épisode. Il y a un côté sadique dans notre métier. C’est ça, le rôle du cliffhanger : maintenir le suspense à tout prix…” (Il rit)
D’où vient cet attrait pour les œuvres d’art ?
Gérald Hustache-Mathieu : “Je suis fasciné par la peinture. J’aurais voulu être peintre, cela m’a fait peur, plus que la réalisation, en tout cas. Ce qui est compliqué, c’est de faire un tableau alors que 50 personnes veulent venir apposer leur coup de pinceau. Même si cela vous aide, il faut garder une harmonie d’ensemble. Je suis fasciné par certains artistes et des toiles qui m’inspirent. Au fond, je pense que c’est le même métier que le cinéma. Tous les cinéastes que j’aime, ont fait les beaux-arts : Lynch, Almodovar, Fellini… Ils sont très visuels et parlent en images. En France, le cinéma et les séries ont une trop grande filiation avec le roman, alors que mon travail n’est pas un roman, mais un univers visuel et sonore, comme on conte une histoire, en fait.”
Jean-Paul Rouve : “On tourne assez vite avec Gérald, mais il prend beaucoup de temps pour préparer ses plans. Vraiment, il les compose… J’adore me moquer de lui pour cela : il peut déplacer un objet de quelques centimètres parce que la proximité de deux couleurs ne lui plaît pas. Parfois, il fait repeindre des trucs… C’est rare de travailler comme cela. Aujourd’hui, on veut tellement aller vite parce que cela coûte cher et on pense que cela ne sert à rien, économiquement. Alors que lui pense que ces compositions de plan sont capitales. Il m’arrive de m’énerver parfois sur les tournages, mais lui, j’adore le regarder faire ces compositions.”

Jean-Claude Drouot et Jean-Paul Rouve dans la série « Polar Park ».

Gérald Hustache-Mathieu : “Il faut être obsessionnel à un point qui n’est pas permis pour mener des projets à bien sur un tel délai dans le temps. Ce souci du détail peut rendre fou. J’ai ce projet en tête depuis 2017…”
Quant au choix de Jean-Claude Drouot pour camper le Père Joseph, outre sa stature, l’acteur était porteur d’un clin d’œil savoureux, à ses yeux : “la filiation à travers Thierry la fronde avec la grande tradition des feuilletons populaires qui plaisaient tellement à sa grand-mère, notamment. Ce lien d’intimité m’a beaucoup touché, c’était très ludique”, confie le cinéaste.
Entretien, à Lille: Karin Tshidimba