manon 20 ans 4.jpg« Manon ne nous a jamais quittés. Pour moi, c’est comme une petite sœur qui m’accompagne, précise en souriant Jean-Xavier de Lestrade, réalisateur de Manon, 20 ans*** , la nouvelle trilogie d’Arte.
« Durant ces trois ans, j’ai toujours pensé à elle presque comme un exercice : que fait-elle, ou va-t-elle, de quoi a-t-elle envie ? On ne voulait pas la quitter, on avait le secret espoir de la retrouver et de savoir ce qui lui était arrivé. Comme la première trilogie avait bien fonctionné » en 2014, le rêve est devenu réalité.

Trois ans après 3 x Manon, la trilogie de Jean-Xavier de Lestrade et Antoine Lacomblez reprend avec une Alba Gaïa Bellugi toujours aussi bluffante. Rendez-vous est fixé ce jeudi à 20h55 sur Arte. Dans cette nouvelle tranche de vie en trois parties, la jeune comédienne partage notamment l’affiche avec deux acteurs bien connus en Belgique: Déborah François et Yoann Blanc de La Trêve (photo).

Entretien croisé avec Jean-Xavier de Lestrade, réalisateur, et Antoine Lacomblez, coscénariste, deux hommes heureux. Lors des festivals de Biarritz et de Luchon, la mini-série a en effet raflé six prix.

Une adolescente tourmentée

manon 20 ans 5.jpgDans la mini-série 3 x Manon diffusée en 2014, le public suivait les errements d’une adolescente en guerre contre le monde entier, envoyée en centre fermé. « Elle y a été sauvée par la rencontre avec l’éducateur Lucas Remy et avec son professeur de français, Madame Barthélémy, mais on se demande que lui arrive-t-il après ? On en connaît tous des histoires où des gens sont remis debout. On se dit : ça va marcher, ça va marcher et puis, soudain, il y a une forte rechute; c’est fréquent. »

L’histoire de Manon, « c’est la rencontre entre un personnage auquel on est vraiment attaché et le monde qu’on observe car il y une vraie difficulté à trouver sa place dans la société, aujourd’hui. C’est compliqué pour des adolescents qui ont été abîmés par la vie et par d’autres êtres humains. Pour eux, c’est absolument nécessaire qu’ils puissent rencontrer des gens qui se substituent à ceux qui ont fait défaut. Cela a permis à Manon d’accéder à sa propre sensibilité, à sa personnalité. Elle a pu penser qu’elle était une personne à part entière, qui avait de la valeur aux yeux des autres et à ses propres yeux. Elle a ce petit acquis et la question est de savoir : quatre ans plus tard, que peut-il lui arriver ? »

Une époque violente vis-à-vis des jeunes

manon 20 ans 8.jpg« J’avais envie de me poser ces questions car on vit une époque qui est assez violente pour les jeunes. Ils ne sont pas du tout protégés, les pressions commencent dès l’école et le lycée, puis au travail. C’est plus fort qu’avant parce qu’il n’y a plus de repères idéologiques, que ce soit au niveau de la religion ou au niveau politique. Cela peut sembler énorme de dire cela, mais c’est en partie vrai… Sur quelles figures peuvent-ils s’appuyer ? Qui va les aider à se construire ? Quel est le modèle qui va faire rêver un jeune de 20 ans ? Kardashian ? » interroge Jean-Xavier de Lestrade.

« Avant il y avait du travail, on n’était pas plombé comme on l’est maintenant. Aujourd’hui, la flexibilité, c’est comme une punition, alors qu’avant c’était une chance, un bonheur absolu de pouvoir vivre plein de vies différentes », poursuit son co-scénariste Antoine Lacomblez.

« On nous dit qu’il faut se préparer à une société où l’emploi deviendra une denrée rare alors que depuis l’école, on se prépare et on se structure à travers le travail. Cela constitue une partie importante de soi, une façon pour chacun de trouver sa place dans la société. »

manon 20 ans 7.jpgManon découvre notamment qu’un boulot, ça ne se refuse pas… « Oui, tu prends ce qu’on te propose, pas ce dont tu as envie. Dans la première trilogie, il y avait une violence à fleur de peau entre la mère et la fille, avec les cris, etc. Aujourd’hui, c’est une violence plus déguisée, plus masquée avec de la convoitise ou de l’abus de pouvoir. Tout le monde est obligé de composer et de se protéger », poursuit le réalisateur.

« Les gens autour de Manon sont défaillants, elle est dans une solitude immense. Elle le dit : ‘les gens qui ont cru en toi, cela sauve’. Manon est tout le temps en train de jouer sa vie, elle est très excessive parce qu’elle est à vif et continuellement en danger. Elle doit se méfier aussi d’elle-même. Elle est en train d’acquérir une forme d’autonomie en se heurtant au monde des adultes et à elle-même. »

Il est difficile de connaître son désir

manon 20 ans 6.jpgSavoir qui on est et par qui on est attiré semble aussi plus compliqué…
« Les ados sont exposés à la pornographie beaucoup plus tôt et je pense que c’est vraiment compliqué à gérer. On a vu ces dérapages avec le film ‘Bang Gang’, par exemple. Ces dérapages existaient avant, mais cela arrivait beaucoup plus tard, entre adultes consentants. Aujourd’hui il y a vraiment une confusion et une perte de repères plus forte », souligne Jean-Xavier de Lestrade.

« Je pense que cela a toujours été extrêmement difficile d’avoir 15 -20 ans et de connaître son désir. C’est une problématique qui nous poursuit jusqu’à la fin de notre vie, précise Antoine Lacomblez. On n’est jamais totalement apaisé, il y a toujours une part d’inquiétude sinon on arrêterait de penser et de désirer. Il faut des obstacles à franchir pour attiser le désir. Si tout est permis, tout perd de sa saveur. Jean-Xavier parlait de pornographie. C’est vrai que c’est épouvantable de confondre le désir avec ce marchandage qui est l’inverse du désir, qui a besoin de secrets, d’alcôves, de jeux, de manque et de frustration. »

Un retour espéré, des deux côtés

Convaincre la jeune comédienne Alba Gaïa Bellugi de reprendre le personnage de Manon n’a pas été du tout compliqué, confie Jean-Xavier de Lestrade.

« Je pense qu’elle attendait cela, en fait. C’est quelqu’un qui est très différent du personnage parce qu’elle n’a pas ce vécu, c’est quelqu’un de très doux. Alba recherche tout le temps l’harmonie entre les gens, la violence lui déplaît au plus haut point. Mais elle partage avec Manon une vraie intransigeance vis-à-vis de la vie et le fait qu’elle ne veut pas faire de concession. En même temps, Alba n’exprime jamais de désir personnel parce qu’elle a toujours peur de décevoir, ce qui rejoint le personnage. Elle est très en retenue mais elle n’attendait que cela. Je l’ai compris dès le premier jour du tournage : elle était archi-prête comme si la vie reprenait, après trois ans. »

Entretien: Karin Tshidimba