Portés par leur intime conviction et leur respect pour les victimes, Jean-Xavier de Lestrade (réalisateur), Alice Géraud (scénariste) et Alix Poisson (comédienne) font front. La série est à voir sur Auvio et La Une RTBF (le jeudi à 20h30), ainsi que sur France 2, à partir du lundi 13 novembre à 21h10.

“Toutes ces femmes dont la vie s’est arrêtée, qui ne sont plus que des fantômes.” La phrase semble tourner en boucle dans l’esprit des principaux témoins de l’affaire. Au premier rang desquels se trouvent une juge d’instruction, une maire, une experte de la géomatique (mariant statistiques et géographie comme le font les profileurs du FBI). Trois femmes qui ont tenté de stopper la vague, qui ont lutté pour que soit arrêté le violeur de la Sambre, chacune à leur manière. Lorsqu’elles ont découvert l’ampleur des dégâts et le nombre de victimes touchées, elles ont mis toute leur énergie dans la bataille, en vain…
Remontant le fil du temps, le récit de la série Sambre*** emboîte le pas à ces trois personnages, rassemblant les caractéristiques de plusieurs personnes réelles, comme c’est le cas pour Christine (Alix Poisson), la toute première victime, que l’on suit de 1988 jusqu’à l’épilogue de l’affaire, en 2018. En retraçant leurs tentatives et leurs échecs, la série pointe l’absence de volonté politique et l’indifférence policière, déjà mises en lumière dans l’ouvrage Sambre, radioscopie d’un fait divers, écrit par Alice Géraud au sortir de l’affaire Dino Scala.

Enrayer la mécanique de l’échec policier

« C’est ce ballet de l’échec qui est mis en scène au travers des personnages de la série. Seules quelques personnes, par leur courage, leur ténacité, leur humanité ont tenté, presque seules contre tous, d’enrayer la mécanique de l’échec policier et judiciaire, d’écouter la parole de ces femmes”, souligne la journaliste et scénariste. Ainsi, il faudra attendre l’entrée en piste d’un officier de la police judiciaire de Lille (campé par l’acteur Olivier Gourmet) pour qu’enfin, l’affaire soit traitée avec le sérieux requis.
“La fiction et le collectif peuvent sauver des vies”, insiste la comédienne Alix Poisson, très marquée par son interprétation de l’une des victimes du violeur de la Sambre. Un projet lourd” qu’elle ne pouvait toutefois pas refuser : c’est rare de rencontrer une histoire qui raconte à ce point le monde dans lequel on vit et le regard – certains auront envie de dire “le retard”, NdlR – que nous avons eu pendant trente ans sur la culture du viol” et sur l’impunité dont bénéficient ses auteurs.
Comparse de Jean-Xavier de Lestrade depuis de nombreuses années, Alix Poisson est coutumière de ces fictions qui portent la caméra dans la plaie, jouant le rôle de lanceurs d’alerte, tout en proposant une radioscopie des failles de nos sociétés. Qu’il s’agisse d’adolescence blessée (3x Manon, Manon 20 ans), d’enfance en danger (Laëtitia) ou de magouilles politiques et de lobbies de l’agroalimentaire (Jeux d’influence).

Clémence Poesy dans la série « Sambre » de Jean-Xavier de Lestrade.

Ouvrir des perspectives de changement

Venu du documentaire et oscarisé pour son remarquable travail sur l’affaire Brenton Butler (Un coupable idéal, 2001) Jean-Xavier de Lestrade ne pouvait qu’être interpellé par l’enquête journalistique menée par Alice Géraud sur ce fait divers tristement célèbre. Habitué à s’immerger dans des faits de société emblématiques, sa réalisation sobre et respectueuse pointe les mécaniques grippées, les prises en charge ratées et les fausses certitudes qui persistent dans notre société. Et qui permettent à des individus, en apparence « parfaitement ordinaires », de passer entre les mailles du filet. Une absence de considération et une indifférence généralisée qui mèneront, in fine, à l’éclatement du mouvement de dénonciation #Metoo sur les réseaux sociaux en 2006.
La série opte pour une narration à l’anglo-saxonne qui ose les ellipses et les changements de points de vue à chaque épisode. Si le travail sur les décors, la musique et le vieillissement des personnages a été ardu, la réalisation repose sur quelques évidences, aux yeux de Jean-Xavier de Lestrade, dont celle du choix du Belge Olivier Gourmet, pour sa capacité à imposer d’un regard une autorité morale sans concession, dans le rôle du commandant Winckler”.
“Cette histoire est terriblement sombre et nous tenions à ce que ces figures lumineuses, héroïques, rencontrées pendant mon enquête, portent le récit et ouvrent des perspectives de changement”, souligne Alice Géraud… Pour montrer qu’un changement est possible, mais qu’il est l’affaire de tous.

Une fiction ancrée dans le réel

En 2022, Dino Scala est jugé par la Cour d’Assises du Nord à Douai pour 56 faits de viol, de tentatives de viols et d’agressions sexuelles s’étalant sur plus de trente ans. En suivant les audiences, Alice Géraud, autrice et journaliste, est frappée par la façon dont les victimes de tous ces crimes ont été traitées tout au long de l’enquête et de la procédure : suspicion, minimisations des faits, pertes de documents, absence d’informations ou simple courrier annonçant le classement de l’affaire. Pour certaines, cet “après” se révélera aussi violent que les faits eux-mêmes. Ce triste constat est au cœur de son livre Sambre, radioscopie d’un fait divers publié chez Jean-Claude Lattès qui se concentre sur la lente évolution du regard posé sur les victimes de viol par la société, en trente ans. Un livre triplement couronné : Prix du livre du journalisme 2023, Prix Polar et Justice 2023 et Prix du Livre du réel 2023.
Karin Tshidimba, au Festival de la Fiction TV de La Rochelle