Le tournage de la série portée par Olivier Gourmet, Panayotis Pascot et Margot Bancilhon, pour Arte, vient de s’achever entre Le Havre et Anvers. Une première expérience pour le réalisateur Vincent Maël Cardona, césarisé avec son film Les Magnétiques.

Les bords de mer ne font plus rêver aux grands voyages. En tout cas pas ceux-ci, hérissés d’un dédale de hangars faisant face à une armada de porte-conteneurs remplis jusqu’aux cieux. Devant les cargos aux cales encombrées, le petit peuple des dockers s’active sans bruit, vareuse sur le dos et casque vissé sur la tête. De loin, on jurerait une armée de Playmobils slalomant entre les tractopelles, les semi-remorques et les machines porteuses de bobines de métal gigantesques.
Avec leurs visages noircis, leur dos voûté et ce “ciel si bas” sur lequel se détachent leurs silhouettes, la proximité avec le monde des mineurs saute aux yeux. La référence à l’univers du Belge Jacques Brel n’est pas fortuite puisque ce n’est pas à Amsterdam ni au Havre, mais bien dans le port d’Anvers que se tournent les scènes du jour. Un “détournement de réalité” autorisé par le scénario de la série De Grâce qui a achevé son tournage le 21 novembre pour Arte.

Briques de Lego et trafic de drogue

Imaginé par Maxime Crupaux et Baptiste Fillon, ce drame familial au parfum de thriller a été mis en images par le jeune réalisateur césarisé Vincent Maël Cardona (Les Magnétiques). Du Havre, où l’aventure a débuté en août dernier, à Anvers, où elle a pris fin mi-novembre, l’équipe a entraîné quelques acteurs et de nombreux techniciens belges à la clé : Olivier Gourmet et Astrid Whetnall, notamment, y donnent la réplique aux jeunes Panyotis Pascot et Margot Bancilhon ainsi qu’au rappeur Gringe. Pour donner vie à une histoire mêlant trafic, héritage non assumé et fuite des corps.
Une intrigue à laquelle l’univers des dockers et du port donne toute sa force. Un paysage social et humain très inspirant aux yeux du réalisateur pour qui la série file avant tout une métaphore politique et sociale très forte. “Les grues, les quais, les containers sont partout les mêmes à travers le monde. Ce qui est fascinant dans le container, c’est l’unité de mesure imposée par la mondialisation. C’est comme une brique de Lego et grâce à cette unification, le trafic peut tourner à plein régime. Filmer le port ici à Anvers, c’est même presque une démonstration de cette logique. Partout, on retrouve les mêmes villes portées par leur port et, en même temps, victimes de celui-ci à travers le trafic de drogue qui est finalement une métaphore de toutes les marchandises pures et de la plus-value qu’elles représentent. Sans commune mesure avec leur valeur de base. C’est à la fois menaçant et fascinant. En toile de fond, il y a l’image de la corruption, envahissante comme la rouille, et de l’effondrement qui guette.”

Totalement en adéquation avec une actualité des trafics de plus en plus violente au Havre comme à Anvers, la série pointe cet engrenage fatal pour les personnages. “Sur 2 300 à 3 000 travailleurs, on parle de 250 personnes impliquées, précise le scénariste Maxime Crupaux. Mais c’est vrai que pendant l’écriture, on a été rattrapé par la réalité de la violence et des faits divers.”

À travers cette famille, la série interroge une économie souterraine et la façon de fonctionner d’une ville “avec ses ouvriers, sa police, sa justice et ses hommes politiques. Cela permet de comprendre de nombreux problèmes de façon incarnée”, détaille le scénariste.
“Dès que tu as trempé le petit doigt dans ce trafic, c’est terminé, tu ne peux plus t’arrêter, souligne l’acteur Panayotis Pascot. Personne ne dit qu’on t’a forcé à continuer à le faire. Le personnage MicKaël Blain en parle bien : une fois que tu as touché à ces sommes, à ce confort, que tu comprends que sur n’importe quelle marchandise ou presque, tu peux faire des marges de ouf, tu es cuit. Tout l’enjeu est là : comment et pourquoi réguler alors que chacun, à son niveau, réalise les bénéfices qu’il peut en tirer ?”

Le site de toutes les convoitises

“La meilleure alliée des trafiquants, c’est cette mondialisation et ce commerce délirant de containers. Il y a un tel volume que c’est matériellement impossible de tout contrôler. Ils le disent très bien dans les enquêtes. Soit la douane a reçu un tuyau, soit c’est un énorme coup de chance”, précise le réalisateur Vincent Maël Cardona.
“Les plus grands bateaux peuvent transporter vingt-sept mille containers et les dockers déchargent trente bateaux de ce type chaque jour au Havre. Ici à Anvers, comme à Rotterdam ou Hambourg, le volume est quatre à cinq fois supérieur à celui du Havre”, souligne le producteur Vincent Mouluquet (Ego Productions). De quoi aiguiser bien des convoitises…

Entretiens: Karin Tshidimba, à Anvers

Photos: Alexandra Fleurantin (Arte)