Dans cette cruelle comédie humaine, Ryan Murphy et Gus Van Sant retracent les multiples conflits larvés entre l’auteur tourmenté et ses muses qui ont bouillonné au sommet de la bonne société new-yorkaise. A voir sur Disney
Soirées mondaines, bijoux, coups de feu, venin, romans et haute bourgeoisie : à travers ses trophées, le générique de The Swans donne d’emblée le ton de querelles et passes d’armes aussi raffinées que mortelles.
Après s’être intéressé, en 2017, à la longue rivalité qui opposa Joan Crawford et Bette Davis sur le tournage du film `Qu’est-ce qui est arrivé à Baby Jane ?’, Ryan Murphy se penche sur le destin trouble de Truman Capote (1924-1984), éminent écrivain et échotier rendu aussi célèbre par ses excès que par ses écrits (De sang froid). Le parcours de l’écrivain est intimement lié à celui de ses bienfaitrices, un groupe de riches new-yorkaises que Truman avait surnommées Les Cygnes, tant elles régnaient avec panache sur la haute bourgeoisie des années 60 et 70.
Le rôle et la place des femmes
A travers The Swans, Murphy façonne un portrait de groupe et d’époque. D’Hollywood – qu’il connaît si bien – à Manhattan, il n’y a en effet qu’un pas et le sexisme, la misogynie et l’âgisme en cours sur la Côte Ouest sont à peine voilés dans les artères de la Grosse Pomme.
En huit épisodes, à travers les portraits de Joan Crawford et Bette Davis, campées respectivement par Jessica Lange et Susan Sarandon, Murphy a dépeint – avec ses complices, Jaffe Cohen et Michael Zam – les ressorts dramatiques d’une querelle soigneusement entretenue par le petit monde du 7e Art. Dans cette nouvelle saison de son anthologie Feud, Murphy explore les trahisons vénéneuses de l’écrivain fantasque, prêt à clouer ses plus proches amies au pilori pour un bon mot ou l’incipit d’un nouveau roman. Oubliant que Les Cygnes ne lui pardonneraient pas le contenu de son récit, baptisé La Côte basque 1965, paru dans le magazine Esquire, en 1975.
Au cœur de l’élite new-yorkaise
Confident de ces dames, Truman les a toutes dépeint sous un jour particulièrement peu flatteur, révélant au passage quelques vilains secrets d’alcôve, les faisant ainsi tomber de leur piédestal. Un crime de lèse-majesté que ces reines de la Ve avenue, intelligentes et fortunées, vont s’employer à lui faire lourdement regretter.
Tout en elles traduit l’élégance et le raffinement extrême d’une « élite » soigneusement façonnée et décidée à tenir son rang. Elles sont ainsi prêtes à tous les sacrifices pour s’en montrer dignes. Formant un club select et fermé, ces dames se révèlent intransigeantes quant au respect des règles sociales induites, au risque de la plus grande cruauté et d’une certaine perfidie.
La série adopte le style du monde qu’elle dépeint entre clinquant et décadence, coups bas et confidences. Portée par une myriade de stars dont Naomi Watts (digne et déchirante), Demi Moore (impériale), Chloë Sevigny (trouble), Calista Flockhart (intraitable) et Diane Lane (intransigeante), elle donne à voir Tom Hollander (The White Lotus), méconnaissable dans le rôle du dandy évanescent, à la voix doucereuse et au ton affecté. Le tout serti par le style flamboyant de Gus Van Sant (Elephant) à la réalisation.
Le modèle d’Audrey Hepburn
Face à ces dames, l’auteur américain apparaît sous son jour le plus déprimé, fébrile et fielleux, renvoyant Breakfast at Tiffany’s au rayon des œuvres de charité, dans tous les sens du terme. Et on voit bien à quel point son livre – immortalisé sur grand écran par Audrey Hepburn et George Peppard dans l’adaptation de Blake Edwards – lui a été inspiré par sa « chère Babe », alias Barbara Paley. En dévoilant les dessous tragiques de son mariage naufragé, Truman Capote lui a pourtant bien mal rendu hommage, pourfendant ainsi sa plus noble amitié.
Ce tournant de la vie de l’écrivain, relaté par Laurence Leamer dans une biographie parue en 2021, a servi d’inspiration au scénariste Jon Robin Baitz pour imaginer The Swans.
L’ascension fulgurante de Capote suivie de sa mise au ban ne feront qu’aggraver sa dépression et ses addictions, l’entraînant peu à peu vers le fond. Cruelle comédie humaine, grinçante et désespérée, The Swans semble redéfinir les frontières de la vanité au fil de ses huit épisodes (de 50 minutes à 1h).
Si la série, fascinante, sonde bien le besoin viscéral de reconnaissance de Truman Capote et son propre sabotage, elle échoue malheureusement à embrasser son génie littéraire, l’autre facette unique de sa personnalité.
Karin Tshidimba
★★★ Feud: Capote versus The Swans Comédie humaine Création Ryan Murphy Réalisation Gus Van Sant Avec Naomi Watts, Tom Hollander, Demi Moore, Chloë Sevigny, Calista Flockhart et Diane Lane Sur Disney+ Le 17/04 ( 8 x 52’)
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