La série, réalisée par Jean-Xavier de Lestrade, retrace le terrible récit d’un aveuglement généralisé qui a permis à un violeur de sévir durant trente ans sur les bords de la Sambre, entre France et Belgique. Six épisodes, portés par Alix Poisson, Olivier Gourmet, Clémence Poésy à voir dès ce jeudi sur Auvio et la RTBF.

Hébétée, sonnée, frigorifiée, sans mot. Lorsqu’elle se réveille sur cette berge humide du bord de Sambre, Christine (Alix Poisson) ne comprend rien à ce qui lui est arrivé. Elle ramasse son sac, rabaisse son pull sur son torse dénudé et tente de rejoindre la route qu’elle avait empruntée, à l’aube, en direction de son arrêt de bus habituel. L’heure et la raison de sa présence à cet endroit désert et peu rassurant plaident « en sa faveur », tout comme son emploi de coiffeuse et son statut de jeune maman. « Vous voulez quand même porter plainte… » lui demande le major qui consigne ses déclarations sans empressement et l’oblige à une reconstitution traumatisante juste après les faits. Le manque de tact hallucinant des policiers et l’absence de suivi lui font craindre le pire, car l’homme incriminé n’a pas été arrêté et ne le sera sans doute jamais, à moins de faire d’autres victimes.

Comment continuer à vivre normalement, alors que tout le monde lui prétend qu’elle a échappé au pire, mais que sa chair et son esprit lui hurlent le contraire à chaque heure du jour et de la nuit ? Alors que la vue d’une simple paire de chaussures de chantier, le frôlement d’un corps au supermarché ou la vue d’une nuque chez le coiffeur la fait sombrer dans un abîme d’anxiété insondable ?

La série « Sambre » pointe l’attitude négligente de la police et de la justice françaises.

Ce jour de novembre 1988 est également celui de l’entrée en service du gardien de la paix Jean-Pierre Blanchot (Julien Frison), nouvelle recrue de la police locale, sommé par son supérieur de s’arranger pour « éviter la paperasse inutile ». A travers son regard et son suivi plus ou moins distant de ces différentes agressions et viols, la série pointe l’absence totale de compréhension et de prise en considération par les forces de l’ordre, à l’époque, du traumatisme profond que constitue le viol.

Le déni et la violence continuent, après les faits

Ce que dit si bien Sambre, c’est l’aveuglement mais aussi le déni que la justice et la société opposent à ces faits pourtant graves et invalidants. Ainsi que l’extrême solitude dans laquelle sont laissées les victimes dont ni la famille, ni les proches ne comprennent la douleur.

La comédienne Alix Poisson est poignante de vérité dans le rôle de cette femme ordinaire incapable de revenir à sa vie d’avant, alors que tout le monde la pousse à se féliciter d’avoir eu la vie sauve. Première d’une longue liste de victimes que la série passe en revue au fil des trente années de rebondissements avant de mener à l’arrestation de l’homme surnommé par tous « le violeur de la Sambre ».

Jean-Xavier de Lestrad (Jeux d’Influence, Un coupable idéal) aborde avec le tact qu’on lui connaît cette sombre affaire inspirée de faits réels qui ont défrayé la chronique en France, dès la fin des années 80. Son documentaire Un coupable idéal et ses fictions 3x Manon et Laëtitia, notamment, ont déjà démontré l’extrême soin accordé à l’observation de notre société, dans ses errances et son fonctionnement hiératique, qui broient les êtres les plus fragiles qu’elle est pourtant censée protéger. Cette fois, Jean-Xavier de Lestrade n’est pas l’auteur du scénario qu’il met en scène au fil de six épisodes, abordant les différents points de vue sur l’enquête. Ceux de la victime et de la police, bien sûr, mais aussi de la justice et des élus municipaux, avant de recueillir celui du commandant (Olivier Gourmet) et d’aborder le parcours du violeur lui-même.

« Sambre »: Pauline Parigot campe la juge Irène Dereux dans la nouvelle série de Jean-Xavier de Lestrade.

Une enquête et un long procès

Librement adaptée de l’ouvrage homonyme d’Alice Géraud (paru chez JC Lattès), par Marc Herpoux et l’autrice elle-même, la série se veut un hommage à la cinquantaine de victimes répertoriées au fil de trois décennies. Elle cherche à éclairer la lente prise de conscience collective du poids des violences faites aux femmes et de la nécessité de changer notre regard et notre attitude vis-à-vis de cet angle mort de la justice. Alix Poisson, Noémie Lvovsky, le Belge Olivier Gourmet et Clémence Poésy prêtent leur voix et leur énergie à ce combat pour qu’émergent la vérité et cette quête maintenue trop longtemps sous les radars de la justice et des médias.

Ce qui frappe au fil des décennies et des époques, ce sont tous ces lanceuses d’alerte (une juge, une maire, une scientifique) qui avaient vu clair et que l’on a fait taire ou plutôt que l’on a ignorées dans l’indifférence généralisée… Ainsi, assiste-t-on au lent, très lent, trop lent changement de méthodes et de mentalités du côté des forces de l’ordre et de la société… Pour qu’enfin les victimes soient crues, écoutées et reconnues. Un constat d’autant plus amer et difficile à admettre qu’il souligne l’insolente banalité du mal et sa perpétuation en toute impunité, ou presque.

Karin Tshidimba

nb: La série sera aussi diffusée à partir du 13 novembre sur France 2.