agnieszka holland 2.jpgLa mini-série Burning Bush projetée en présence de sa réalisatrice Agnieszka Holland a été un des beaux moments du Festival Are you Series clos ce dimanche à Bozar.
L’occasion de revivre ce pan d’Histoire qui a vu un étudiant tchèque, en 1968, tenter de s’opposer à la mainmise soviétique sur son pays. Un souvenir fort pour Agnieszka Holland qui était partie étudier à Prague à l’époque.

Trente minutes avant la séance, la réalisatrice a répondu à quelques questions face au public venu en nombre pour découvrir sa mini-série sur grand écran. Vous n’y étiez pas ? Rassurez-vous, on lui a tendu le micro.
Compte-rendu o
ù il est question de The Wire, Treme, The Killing et bientôt d’House of cards

« Après mon bac, j’étais venue à Prague pour faire des études de cinéma. Dès 1968, on a senti monter le mouvement du printemps de Prague qu’on appelait à l’époque ‘le socialisme à visage humain’. C’était très ludique et très vivant car cela touchait tous les domaines : arts, politique, social, etc. C’était une expérience très formative. burning bush 4.jpgCette liberté a duré quelques mois et puis le mouvement a été écrasé par les chars soviétiques. Cela a été très troublant de voir qu’une révolution innocente pouvait être écrasée par la force brutale et de découvrir comment le monde, la politique fonctionnaient. Mais le plus marquant était de voir à quel point l’unité nationale et la solidarité pouvaient disparaître sous la pression insidieuse (chantages, etc.). Cela m’a fait découvrir un aspect de la nature humaine que je ne connaissais pas. »

Le courage d’un homme, d’un peuple

Le courage du jeune Jan Palach qui s’est immolé pour pousser son peuple à entrer en résistance l’a profondément marquée. “J’y avais déjà fait référence dans certains de mes films, indirectement. Mais quand ces trois jeunes Tchèques sont venus me voir et m’ont proposé de raconter cette histoire, j’ai pris cela comme un cadeau. Et en même temps, quand j’ai réalisé que mes collègues tchèques n’avaient encore rien réalisé d’essentiel sur cette histoire, je me suis dit que je pouvais aussi faire un cadeau au peuple tchèque. Car on voit bien aujourd’hui avec l’Ukraine que ces histoires n’appartiennent pas au passé et que les choses peuvent se reproduire. »

Et, aux yeux de la réalisatrice, les séries sont l’un des lieux où on peut évoquer ces questions fortes aujourd’hui. “Je pense qu’il y a des séries de qualité et courageuses dans quelques pays. On en voit certaines aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, dans les pays scandinaves et, un peu, en Israël. Mais, par exemple en Allemagne ou dans les pays post-communistes, beaucoup de choses restent à faire. On reste dans le domaine du divertissement ou d’une création vieillotte, de deuxième ordre, qui n’est pas du tout artistique. Canal+ a commencé à changer d’optique en France et on voit qu’il faut du temps et du travail pour y arriver. Si on veut changer les choses, il faut commencer par le scénario, c’est la raison pour laquelle les séries sont vraiment le domaine où les scénaristes sont rois.”

Raconter la complexité humaine et sociale

burning bush 5.jpgPour Burning Bush, les choses sont un peu différentes, reconnaît-elle. « Il faut distinguer les séries qui se déroulent sur plusieurs saisons qui sont très épiques. Dans le meilleur des cas, elles ressemblent aux grands romans réalistes du 19e siècle. Par exemple, quand j’ai fait ‘The Wire’ avec David Simon, j’étais éblouie par la complexité et l’importance de l’intrigue qui, selon moi, n’avait pas d’équivalent au cinéma ou dans la littérature. Et ‘Treme’ avait les mêmes ambitions en se penchant sur la Louisiane de l’après-Katrina.”

L’univers des mini-séries est différent. « Il faut bien sûr travailler la dramaturgie pour qu’il y ait une tension narrative telle que le spectateur ait envie de voir les 2e et 3e volets. Mais lorsqu’on le conçoit, cela se rapproche du travail sur un film sauf qu’on dispose de 4h au lieu de 2h. En général, le rôle du metteur en scène est essentiel dans les mini-séries. C’est un format où je contrôle beaucoup plus la situation contrairement au travail sur une série au long cours où on s’adapte au travail des autres réalisateurs même si on essaie de faire un peu mieux que les autres.” (Elle sourit).

Et bientôt un tournage avec Kevin Spacey

Ce savoir-faire lui a valu de travailler sur l’adaptation de The Killing aux côtés de la créatrice Veena Sud, rencontrée sur le tournage de Cold Case. Amarrée entre Paris, Los Angeles et la Bretagne où elle possède une maison où elle aime se retirer pour écrire, Agnieszka Holland planche en ce moment sur un projet en Pologne mais n’en dira pas plus…

rosemary's baby 4.jpgSa plus récente réalisation, la mini-série Rosemary’s baby est l’adaptation du roman d’Ira Levin sur laquelle sa fille a également travaillé. « C’est une vision plutôt pop du roman avec plus de sang et de glamour que dans le film que Polanski en avait tiré. Le couple maléfique dans le film de Roman était relativement banal alors que Jason Isaacs et Carole Bouquet sont nettement plus inquiétants et hors du commun que le duo originel. C’était un tournage compliqué, regrette-t-elle cependant, car Paris est une ville chère et pas évidente et que les 35 heures appliquéees par les techniciens n’arrangent rien à l’affaire. »

En revanche, la réalisatrice ne cache pas son enthousiasme face à l’un de ses prochains projets américains… “Je vais tourner quelques épisodes de la saison 3 d’ House of Cards avec Kevin Spacey et Robin Wright.”  Son visage s’illumine et son regard se fait mi-gourmand, mi-malicieux. Agnieszka Holland a raison de sourire. En télévision, lorsque votre savoir-faire est reconnu, le métier vous offre de belles opportunités.
Entretien: KT

nb: Si vous avez raté la projection, “Burning Bush” (« Sacrifice ») est à présent disponible en coffret 2 DVD publié aux Editions Montparnasse