Caroline Proust vit depuis 2005 dans la peau de Laure Berthaud. Elle dresse son bilan à l’heure de l’au revoir adressé à Engrenages**. À voir sur Be Séries, ce jeudi à 21h25.

« C’était la toute première série de Canal qui s’autorisait des choses comme on pouvait en voir sur HBO. On s’est senti pionniers mais avec, parfois encore, des réflexes de la tradition française qui faisaient qu’on n’avait aucun contact avec les scénaristes. »
Entrée dans la peau de Laure Berthaud en 2005, Caroline Proust a tout vu, tout vécu auprès des scénaristes qui se sont succédé à la tête de la création originale de Canal : Guy-Patrick Sainderichin (saison 1), Virginie Brac (saison 2), Anne Landois (saisons 3 à 6), Marine Francou (saisons 7 et 8). Un quatuor de directeur et directrices d’écriture qui a assuré le succès de la série vendue dans près de 70 pays et connue à l’international sous le titre de Spiral. Trois des saisons d’ Engrenages (2, 4 et 5) ont même été coproduites par la BBC. La classe.

Trois directrices d’écriture se passent le relais

« Nous avons eu majoritairement des femmes scénaristes qui ont étonné par leur façon d’aborder les enquêtes et de s’autoriser certaines choses. Quelques scénaristes hommes sont d’ailleurs partis parce qu’ils trouvaient les idées d’Anne Landois trop trash. C’est aussi avec Anne qu’on a commencé à travailler en collaboration, via les lectures« , souligne Caroline Proust. « Au début, il y a quinze ans, quand les scénaristes venaient sur le plateau, on ne savait même pas qui étaient ces gens. Virginie Brac passait de temps en temps, on pouvait lui poser des questions mais on n’a jamais fait de lectures avec elle. Les choses ont commencé à changer en saison 4 avec l’arrivée de Vassili Clert, fils du producteur originel, qui est allé voir comment les choses s’organisaient aux États-Unis. C’est lui qui a imprimé de nombreux changements, notamment via l’instauration d’échanges réguliers avec les scénaristes. Cela a transformé les choses : on était sollicités, on pouvait exprimer des désirs et les personnages ont pris le pas sur l’enquête. C’est la patte d’Anne Landois. C’est ce que les Américains font depuis très longtemps » rappelle la comédienne.

Caroline Proust (Laure Berthaud), Thierry Godard (Gilou), Valentin Merlet (Arnaud Beckriche).

Une série en prise avec la société

À la fin de la saison 6, Anne Landois quitte le navire pour passer à d’autres projets, via la société de production qu’elle a créée. Marine Francou prend alors la barre. « Marine avait travaillé avec Anne. C’est elle qui a proposé de faire la dernière saison car la fin n’avait pas été communément décidée. On ne pouvait pas laisser les personnages comme cela. L’arrivée de Marine a été compliquée parce qu’Anne avait fait quatre saisons et tissé des liens très forts avec nous. Ça a été une nouvelle approche progressive et on a trouvé la façon de faire en sorte que tous les ingrédients fonctionnent. »

Au fil des enquêtes, chaque scénariste imprime sa patte. « Anne et Marine ont toutes les deux abordé des sujets de société très forts. Anne a beaucoup insisté sur le fonctionnement du système judiciaire, sur les personnages et leurs dérapages, Marine a encore accentué la recherche sur les sujets de société. Avec un côté, peut-être, encore plus politique. Marine a travaillé sur les criminels en col blanc, les « cadavres » étaient donc très différents de ceux des précédentes saisons. Mais même s’ils se voient moins, c’est la plus grande criminalité à mes yeux. C’était un sujet passionnant et très ancré dans le réel. La saison 8 est née d’un article, vu en 2017 dans le journal Libération, je crois. »

Au fil des enquêtes, on retrouve des affaires qui ont défrayé la chronique judiciaire en France. Travailleurs clandestins ; gangs de filles et violence dans les cités ; ultra-gauche ; trafic d’êtres humains et corruption des élus ; drogues et blanchiment d’argent… Toutes les sphères de la société sont auscultées. Avec dans cette dernière saison, un invité de taille : Kool Shen, ex-chanteur de NTM, qui délaisse la scène pour l’écran.

« A la longue, la vie de votre personnage s’inscrit dans votre corps »

La série va laisser une trace indélébile dans la vie de la comédienne… « Je vais conserver une façon de travailler très rapide, c’est un acquis pour la vie. Je l’applique même au théâtre. Cela permet de se lancer tout de suite dans la fournaise des répétitions. Il nous est arrivé de faire dix-sept prises au cinéma contre deux ou maximum quatre pour Engrenages, cela m’a appris la concentration et la rapidité d’exécution. Il faut travailler à l’instinct. C’est super car cela fait de moi une spécialiste de la reprise de rôle (Elle rit). Je peux très rapidement sauter dans le bain. »

« Je suis contente de laisser Laure derrière moi parce qu’elle a quand même une vie très difficile et lourde à porter. Une personne autant investie dans son métier, c’est compliqué. Une personne qui voit autant d’horreurs et qui souffre autant, c’est usant. Vous jouez un personnage et, à la longue, cela s’inscrit dans votre corps. Je suis contente de me séparer de Laure Berthaud car j’ai envie de camper d’autres personnages qui ne soient pas aussi désespérés. Même si la désespérance est très cinématographique et suscite l’empathie du téléspectateur. C’est un personnage qui m’a apporté une reconnaissance et de la notoriété, c’était super… Je suis aussi très fière d’avoir joué dans une série aussi appréciée à l’international. Ça m’a pris beaucoup d’énergie mais j’en ai encore. » Elle rit.

Après Laure Berthaud, d’autres rôles se profilent pour Caroline Proust, en télévision, au théâtre et ailleurs…

Une troupe est née, d’autres histoires se profilent

Entre-temps, Caroline Proust est devenue productrice et se lance dans la fiction via la branche « Illi Mama » de la société Eléazar Productions. Elle s’apprête à reprendre la pièce L’Eden Cinéma de Marguerite Duras, créée à Strasbourg, au Théâtre de la ville – Les Abbesses, début décembre, à Paris.

L’actrice continuera aussi à voir la troupe rencontrée sur la série Engrenages. « Les vraies rencontres, ce sont les acteurs avec lesquels j’ai joué : Thierry (Godard), Fred (Bianconi), Audrey (Fleurot), Philippe (Duclos). On se voit beaucoup parce qu’on a formé une troupe dans la troupe, comme le dit Philippe. C’est une amitié qui ne s’arrêtera jamais. »
Et qui s’illustre dans le documentaire que la comédienne a réalisé sur l’aventure Engrenages à découvrir le 29 novembre prochain sur Be tv.

Entretien: Karin Tshidimba