Les adieux du comédien à son personnage de Guy Béranger dans la série Ennemi Public sont teintés d’une grande envie de changement. La saison 3 se clôt ce 26 mars sur La Une RTBF.

C’est l’un des grands paradoxes du petit écran. Une grande partie du public belge a découvert Angelo Bison dans Ennemi Public alors que le comédien affiche plus de trente ans de carrière sur les planches. Une reconnaissance qu’il veut prendre comme une bénédiction, car il croit beaucoup aux signes.

« Quand on s’est croisé au début de la saison 1, j’avais peur de ne pas arriver à le camper mais la peur a disparu peu à peu. La consultante psy a dit des choses très intéressantes sur le rôle, elle était troublée parce que ma prestation ressemble très fort à celle d’un vrai psychopathe… Je ne sais pas pourquoi j’ai une facilité à aborder cela alors que je n’ai jamais rencontré ces thématiques. » Même si au théâtre, Angelo Bison a joué pas mal de personnages proches de la folie : Althusser, etc. « L’ univers mental me plaît terriblement. Pourquoi, je ne sais pas trop… »

Jouer aux frontières de la folie

Ces très nombreux rôles tenus sur scène, tout au long de sa carrière, l’ont visiblement bien préparé à celui de Béranger. Après quatre ans, le voici de retour dans les pas de l’Ennemi Public

« Il y avait une telle attente… Les trois saisons étaient un rêve des concepteurs. Donc c’était important d’arriver à clôturer cette série. J’aime rendre les rêves possibles, surtout les rêves des autres, c’est un grand plaisir pour moi. Quand on a reçu le feu vert, c’était extraordinaire. Et même si les deux saisons précédentes ont été largement diffusées dans le monde, le fait d’être diffusé sur Netflix ajoutait encore à l’aventure. » La série est disponible sur la plateforme depuis octobre dernier.

« C’est la première série belge à boucler trois saisons. Avec une fin que je trouve intéressante. C’était important, mais cela nous met aussi une charge terrible. Parce que, quatre ans après, on ne sait pas si les gens seront au rendez-vous. »
Pourtant, il assure quil lui a été facile de se remettre dans la peau de Béranger« Oui, il fait partie intégrante de moi. On ne peut pas côtoyer un rôle pendant autant d’années sans qu’il interagisse avec vous ou que vous interagissiez avec lui. »

Ce qui n’empêche pas les hésitations ou les doutes. « On a beaucoup discuté pour savoir ce qu’on allait amener de plus. On sait que Béranger a marqué les téléspectateurs mais on sait qu’on peut aussi rapidement décevoir. Parce qu’on attend beaucoup, voire trop. Quelle facette allions-nous explorer ? On entre un peu plus dans la tête de Béranger. On essaie de comprendre ce qu’il pense et ressent. On découvre son humour. »

Les thématiques de la rédemption et de la récidive sont très présentes puisqu’il a déjà fameusement rechuté en fin de saison 2. « Oui, cela pose la question de ses pulsions. Va-t-il parvenir à les surmonter ? C’est tout l’enjeu de la saison 3… »

Pour se préparer à cela, il a un peu discuté avec les auteurs mais n’a pas eu recours à la consultante psy.

« Il faut croire que je suis tellement rentré dans le personnage que je n’ai même plus besoin de préparation, plaisante-t-il. Cela se passe assez naturellement. C’est bien écrit. Et pour moi, c’est très important. Les dialogues dans Ennemi Public amènent cette dimension de manipulation chez Béranger. À travers ce qu’il dit, j’ai matière à défendre différentes thématiques et traits de caractère que l’on veut mettre dans le personnage. On a essayé d’oser plus de silences et de regards. On voit la tension monter à l’intérieur de lui, cela peut amener le spectateur à voir cet espace de vide terrifiant qu’il y a dans sa tête. »

Angelo Bison aime répéter pour savoir ce que les réalisateurs attendent vraiment de lui. « Je suis à l’écoute. Une fois que j’ai un peu cerné les désirs de Matthieu et de Gary (les deux réalisateurs, NdlR) j’essaie de rendre ce qu’ils me demandent en m’impliquant, mais ce sont eux qui m’apportent la nourriture pour ce personnage. »

Quitter Béranger, pour retrouver une autre liberté

Avec une pointe d’émotion au dernier jour de tournage ?
« Oui, même s’il y a eu plusieurs derniers jours, finalement à cause de problèmes de luminosité et de scènes qu’il a fallu retourner. Cela fait quelque chose, même si… (Il hésite quelques instants, NdlR) Cette année, j’ai tiré un trait sur ma carrière théâtrale après 43 ans et peut-être avais-je aussi besoin de clore le chapitre Béranger pour pouvoir en ouvrir un autre. Pour que les gens puissent me voir dans autre chose, car c’est un rôle très pesant. Mon agent me dit : « le problème quand on réussit un personnage comme celui-là, c’est que c’est difficile que les réalisateurs te voient dans autre chose ». J’espère, en clôturant ce triptyque, qu’on puisse enfin me voir dans d’autres rôles foncièrement différents. Un vieux ppa ou un jeune grand-père gentil, aimant, drôle. Je n’ai pas joué que des assassins, j’ai joué des Arlequins, des personnages fantaisistes ou poétiques… » rappelle-t-il comme pour convaincre.

Il ne renie pas Béranger pour autant. « J’ai abandonné ce personnage mais il restera toujours au fond de moi. J’ai appris beaucoup à son contact. Humainement, je retiens énormément de cette aventure. Notamment ma fascination vis-à-vis de l’être humain et sa propension à aller vers le bien ou vers le mal. »

Une fin qui va lui permettre de montrer d’autres facettes, de ne pas rester associé à cette image-là« J’aime jouer tout et son opposé. Je voudrais jouer une femme, des choses totalement différentes. Mais cela ne dépend pas que de moi. Mon grand plaisir, ce serait de jouer un grand gentil. Pour déstabiliser un peu le spectateur. » Il sourit…

Entretien: Karin Tshidimba