La découverte de la caméra, son rapport à la folie, son envie de cinéma, ses 40 années passées sur scène et, bien sûr, la difficulté d’endosser un rôle comme celui de Béranger: Angelo Bison n’a évité aucune de nos questions. Rencontre (et vidéo) avec l’hypnotique comédien alors que la saison 2 d’Ennemi Public reprend de plus belle (épisodes 5 et 6 ce dimanche; dès ce soir sur Auvio)


Dire que le rôle de Béranger a bouleversé la vie d’Angelo Bison est un euphémisme. Amateur de petites salles (70 à 100 places) qui « permettent une rencontre plus intime avec le public et de ne pas trop porter la voix pour ne pas faire théâtre », le comédien a été projeté dans le foyer de millions de téléspectateurs à travers la Belgique, la France et de nombreux autres horizons. Un phénomène qu’il observe avec recul et un petit sourire en coin.

Angelo Bison, c’est ce regard noir et perçant « hérité de (sa) mère, alors que tout le reste de mon corps, c’est mon père » analyse l’acteur belgo-italien. Des yeux dont les spectateurs lui parlent très souvent à l’issue d’un spectacle. Un regard « qui combine un côté dur et inquiétant avec une certaine tendresse qui trahissent la complexité du personnage de Béranger » dans la série belge « Ennemi Public ». Et qui illustre bien la richesse de jeu de son interprète.

Sonder la folie, ne pas sombrer dans l’hypocrisie

Homme souriant et d’une grande douceur dans la vie de tous les jours, Angelo Bison a beaucoup travaillé sur le thème de la folie au théâtre. Un autre paradoxe…

« J’aime aller vers cette faille qui ne s’explique pas, j’adore ce qu’on ne comprend pas. Trop souvent, on reste avec nos certitudes, on veut tout comprendre. Il y a plein de choses que je ne comprends pas, à commencer par la raison qui a fait que j’ai choisi mon épouse. Pourquoi me suis-je dit : c’est elle et pas quelqu’un d’autre ? Cela ne s’explique pas. Et moi, c’est ça qui m’intéresse dans l’être humain. On veut trop expliquer et par conséquent, on enferme l’être humain. Il faut laisser parler les envies…. Attention à l’hypocrisie aussi. C’est formidable tout ce qui se passe en ce moment par rapport aux femmes mais attention de ne pas créer une société d’hypocrites. Je peux éprouver un désir vis-à-vis d’une femme et la trouver belle mais ce n’est pas pour cela que je vais lui sauter dessus. »

Angelo Bison ne s’en cache pas : il a voulu profiter de l’intérêt suscité par la saison 2 d’Ennemi Public pour « tenter de faire venir davantage de gens au théâtre. » Et leur faire notamment découvrir un auteur belge tombé dans l’oubli mais apprécié en France, André Baillon. « Les gens sont venus voir Un homme si simple, mais c’étaient des gens de théâtre principalement. On espère reprendre la pièce, la saison prochaine et lui donner une chance de participer aux Doms à Avignon en 2020. Le spectacle d’Althusser avait très bien fonctionné à Avignon, on va voir si on peut aussi monter ce spectacle-ci en France où Baillon est d’ailleurs beaucoup plus apprécié qu’en Belgique », souligne-t-il avec ironie.
Après 40 années passées sur scène, la découverte de la caméra amène l’acteur à envisager de nouvelles aventures cinématographiques dans le futur…

Un rôle lourd et impressionnant à endosser

Homme de texte, admirateur des grands auteurs, Angelo Bison apprécie « le silence qui s’instaure sur scène, silence du public qui est à l’écoute et qui, à un certain moment, communie avec l’acteur. Ce qui m’a intéressé dans Ennemi Public , c’est que le silence face à la caméra, je ne connaissais pas. Donc je laisse faire la caméra ; les réalisateurs et le chef opérateur m’ont guidé pour cela et m’ont donné beaucoup de conseils. Le scénario d’Ennemi Public est très écrit, il y a très peu de place pour l’improvisation, ils savent où ils veulent en venir. J’apprécie beaucoup cela. Le texte est connu, on le travaille parfois un peu avec les réalisateurs. On peut modifier un mot, ce n’est pas strict mais j’adore cela : les histoires bien écrites. »

Quand on voit tous les comédiens qui ont joué des psychopathes, cela donne le vertige

Force de l’histoire, beauté de l’image, choix des interprètes : un tiercé indispensable pour une réussite à l’écran. Les années de pratique n’empêchent pourtant pas le doute de s’immiscer dans l’esprit de l’acteur.

« Quand on voit tous les comédiens formidables qui ont joué des psychopathes au cinéma et au théâtre, cela donne le vertige et cela fait peur. À un moment donné, je me suis dit : je fais fi de tout cela, sinon, on ne peut plus jouer. C’est un rôle terriblement risqué : ça passe ou ça casse et si ça casse, ça fait très mal… Le problème aussi c’est que lorsqu’on réussit un rôle comme celui-là, il est parfois difficile d’en sortir. C’est ce que me dit mon agent… Et comme j’ai envie de faire une petite pause après 40 ans de théâtre, pour prendre du recul et me ressourcer pour, peut-être, réinventer mon métier de comédien de théâtre ensuite, on verra… Aujourd’hui, la caméra m’attire car je ne connais pas cet univers-là. »

Avant toute chose, Angelo Bison compte bien profiter de la diffusion de la série tous les jeudis soirs sur grand écran (au cinéma UGC Toison d’Or à Bruxelles) avant que ne se pose la question de la saison 3, déjà bien présente dans l’esprit des scénaristes.

Entretien: Karin Tshidimba