A l’heure de refermer la dernière saison de la série judiciaire française Engrenages, nous avons discuté avec sa showrunneuse, Marine Francou, formée à l’école d’Un village français. Entretien

« J’aime profondément cette série, j’ai toujours pensé qu’il y avait l’espace pour respecter son ADN en y mettant des choses vues et aimées dans l’une ou l’autre saison précédente. » La scénariste Marine Francou s’est inscrite dans la continuité d’Anne Landois et de ceux qui l’avaient précédée à la direction d’écriture de la série Engrenages. Tout en « faisant évoluer les personnages, en leur permettant de connaître une fin de parcours satisfaisante pour tous. »

Cette quête est l’idée centrale de la saison 8 dont elle dresse le bilan pour nous. « La réflexion sur la trajectoire intime des personnages est centrale pour notre équipe d’auteurs. Ensuite, on se pose la question de l’univers d’enquête à explorer. Et puis, on se demande comment l’enquête va nous aider à raconter l’intimité de chaque personnage. En saison 7, déjà, on les avait emmenés très loin. Pour Gilou (Thierry Godard, NdlR) et Laure (Caroline Proust), plusieurs éléments induisaient une fin de vie pour leurs personnages. On pouvait se dire : c’est bien, on s’arrête là. »

La discussion a eu lieu très en amont avec le producteur, avec Canal + et avec les comédiens principaux. « Ce n’est pas une décision que j’aurais pu prendre seule », explique Marine Francou. Mais si on ne veut pas baisser en qualité, il faut pouvoir accepter certaines limites, « sinon les trajectoires personnelles deviennent folles. »

Grâce à Engrenages, Marine Francou a découvert que le polar était un genre qui l’intéressait. « Et même l’institution policière m’intéresse parce qu’elle est au cœur de la société et des tensions qui la traversent. C’est un corps qui doit réagir et maintenir l’ordre mais qui est aussi dans un état de souffrance important du fait des turbulences de la société que le politique ne prend pas forcément bien en charge aujourd’hui. C’est cet intermédiaire-là qui sert de fragile rempart ou de tampon. Même si les policiers ne sont pas tous des Mahatma Gandhi. Donc, cela a un impact sur eux. »

Y a-t-il trop de séries policières ?

Les événements récents, en France, font réfléchir à l’image que les séries montrent de la police. « Oui, mais la police judiciaire n’est pas celle qui est mise en cause aujourd’hui. Je ne me dis pas que je suis passée à côté de quelque chose parce que ce ne sont pas ces policiers-là qui sont au contact des manifestants et de la population, qui font les contrôles d’identité à répétition, etc. Cela me donne aussi l’envie de m’intéresser à la police sous cet angle. Mais ce ne serait plus la police judiciaire, alors, qui reste une police à part, celle des enquêteurs. »

Est-ce l’image qui est biaisée ? Y a-t-il trop de policiers ? Quid du décalage entre les séries et la réalité ? Autant de questions qui doivent vous traverser l’esprit lorsqu’on est scénariste…
« Le polar permet de parler des déséquilibres dans la société qui provoquent de la violence, de la délinquance. C’est la raison pour laquelle je me suis passionnée pour l’univers d’Engrenages. C’est ce que me disait un de mes contacts au sujet des mineurs isolés : cette problématique n’est pas terminée. Ces phénomènes s’ancrent dans la durée. Cela fait plus de trois ans qu’ils l’observent. Il y a une notion policière, mais aussi juridique, politique et sociologique. C’est cela qui m’intéresse dans le polar : la possibilité d’explorer la société en profondeur. »

« Je n’aurais pas pu faire Engrenages sans être passée par « Un village français »

Le nouveau projet sur lequel Marine Francou travaille, pour Canal, est aussi ancré dans le domaine du polar. Mais c’est Un village français qui lui a appris son métier. « J’ai côtoyé Frédéric Krivine, showrunner unique sur toute la durée de la série, durant presque dix ans et c’était des saisons de 12 épisodes donc cela demande de la méthodologie. Je n’aurais pas pu faire la direction d’écriture d’Engrenages sans être passée par la case Un village français. Il faut vraiment apprendre à gérer cet espace de narration. J’ai aussi appris, auprès de Krivine, le mélange entre une grande rigueur dramaturgique et une grande finesse psychologique. Et à quel point, l’un et l’autre sont liés. Plus la dramaturgie est forte, plus on peut explorer en finesse la psychologie d’un personnage : ses contradictions, etc. Ce sont vraiment des fondamentaux dans mon travail. »

Engrenages lui a permis de « s’essayer à être aux commandes : donner l’impulsion et trancher les débats pour aller dans des directions claires et intéressantes. Cette nouvelle expérience m’a beaucoup appris » confie-t-elle. D’où une nouvelle direction d’écriture qui s’esquisse déjà et sera même « une création de série, si cela fonctionne bien. Présider à la destinée de ces personnages, dont j’ai hérité, cela reste un superbe cadeau et une expérience très marquante » conclut la scénariste.

Karin Tshidimba

nb: La série termine sa diffusion linéaire vendredi sur Be Séries, mais reste disponible à la demande jusque fin janvier.