Ce thriller psychologique interroge l’idéal féminin fantasmé dont les stéréotypes dépassent largement les seuls standards nippons. Le procès d’une mère devient celui de toutes les femmes et de la société. À voir sur Arte.tv

« Elle comparait les performances des enfants. Elle s’inquiétait tout le temps du risque de rendre sa fille bête si elle ne pouvait l’allaiter. Elle stressait… Je l’ai entendue dire : j’aurais préféré ne pas l’avoir… » A entendre ses amies et ses relations, Mizuho Andô (Miki Mizuno) n’était pas du tout une maman sereine, profondément inquiète du développement de sa fille Rin. Entre l’image idéalisée de la parfaite mère au foyer et sa réalité, le gouffre est tel que la jeune mère perd confiance et aussi, peu à peu, pied jusqu’au drame. Les premières images n’en font pas mystère : gyrophares dans la nuit, policiers en nombre, femme menottée et voisins attroupés : la vie de Mizuho et de sa fille vient de basculer.

Cette tragédie vient percuter une autre jeune femme de plein fouet : Risako Yamasaki (Kô Shibasaki) est désignée comme jurée suppléante dans le procès qui vise la jeune mère infanticide. Elle doit assister à toutes les auditions au cas où il faudrait remplacer un(e) titulaire. Elle a reçu une convocation du Tribunal du district de Kanagawa, elle espérait être dispensée en raison de la garde de sa fille de trois ans, en vain.

« La maison de la rue en pente », série éclairante de Yukihiro Morigaki sur les dessous de la société japonaise.

Soleil radieux et univers feutré, mères souriantes et apprêtées surveillant de loin leur progéniture. La mise en scène se joue du contraste entre cette image idyllique et les pleurs entêtants d’un bébé incapable de se calmer. Une distorsion que connaissent nombre de jeunes parents. Entre la quête de la maison parfaite, l’alimentation et l’éducation à surveiller et la compétition pour la meilleure école maternelle, la pression s’accroît sur des épaules souvent frêles.

Au troisième jour de procès, la fatigue et les soucis s’accumulent, sa fille Ayaka fait des caprices et malgré l’aide de sa belle-mère, Risako se sent dépassée. Mais le plus inquiétant est ailleurs. Plus le temps passe, plus Risako se projette dans les difficultés que l’accusée a rencontrées en démissionnant de son travail, en suivant un traitement contre l’infertilité et en entendant les commentaires et conseils de sa belle-mère.

« La maison de la rue en pente », série éclairante de Yukihiro Morigaki sur les dessous de la société japonaise.

Vers l’inaccessible étoile

Le titre anglais Behind the dooor ne fait pas mystère des enjeux dramatiques de la série. On pense à Douze hommes en colère de Sidney Lumet et à la série belge The Twelve qui s’intéressait aussi à l’impact d’un procès d’Assises sur les citoyens jurés.

« Le Japon, n’est pas tendre avec celles qui ont des enfants », note une des mamans interrogées. Au fil du procès, on voit bien l’impact que celui-ci a sur toutes les femmes et les hommes membres du jury et l’effet de loupe sur la société japonaise. Entre la jurée qui ne peut pas avoir d’enfant et fait mine de ne pas en souffrir, le mari qui ne parvient pas à assurer le standing de sa femme et en souffre et la douce Risako qui, face à un quotidien surchargé, perd confiance dans ses capacités à être une bonne mère et une parfaite épouse. Alors que les remarques insidieuses et dépréciatives de son mari et de sa belle-mère ne font que l’enfoncer. Risako comprend mieux que quiconque la force du jugement qui fait peu à peu perdre pied et confiance en soi. Sans oublier la pression extrême que subissent toutes les femmes pour cesser de travailler et s’occuper exclusivement de leur foyer.

« La maison de la rue en pente » sonde la lourde pression exercée sur les femmes dans la société japonaise.

En forçant chaque juré à s’interroger sur ses propres choix, la série éclaire des problèmes souvent sous-estimés, dépassant largement le cadre du seul Japon : dépression post-partum et épuisement maternel, mais aussi dénigrement et violences psychologiques. Par jeux de miroir successifs, la réalisation de Yukihiro Morigaki souligne avec justesse le poids des traditions et des injonctions dans une société japonaise toujours régie par le patriarcat.

Créée par Yukihiro Morigaki, sur base du roman de Mitsuyo Kakuta, publié en 2016, adapté avec la scénariste Eriko Shinozaki, la série sonde les règles tacites qui régissent le quotidien des femmes japonaises. Au fil de six épisodes, son intrigue pointe les pièges de la quête d’une maternité parfaite.

Karin Tshidimba