Pourquoi tant d’enquêtes scientifiques ou criminelles s’ancrent-elles dans les paysages polaires ? Alors que s’ouvrent les trois volets de la série Arctic Circle, on en a parlé avec Zal Batmanglij (The OA), moitié du duo créateur d’Un meurtre au bout du monde qui explore les avancées technologiques et les craintes de notre époque en terre arctique. Une série à voir sur Disney+
La série A Murder at the end of the world se joue de notre fascination pour les énigmes et les enquêtes. Qu’est-ce qui a poussé ses auteurs, Zal Batmanglij et Brit Marling, à se glisser dans les pas d’Agatha Christie pour donner naissance à cette histoire ?
« Brit m’a dit quelque chose qui m’a donné la chair de poule, se souvient Zal Batmanglij. Pourquoi toutes les enquêtes démarrent-elles avec une fille nue dont le visage est taché de saletés et de sang ? Ne peut-on pas rhabiller cette jeune femme, nettoyer son visage et l’inviter à résoudre le mystère plutôt qu’à en être la victime ? » C’est comme cela qu’est né le personnage de Darby, une idée qui a grandi très vite… « Cela remonte à 2019 et aujourd’hui, on constate que toutes ces formidables créatrices – Greta Gerwig, Justine Triet,… -, à la fin de la trentaine ou au début de la quarantaine, ont créé ces histoires féministes. C’est frappant que cela se soit produit exactement au même moment dans différents drames sur différents continents. Comme pour Issa Lopez avec True Detective. C’est fou… Alors que cette année au Festival Series Mania, je n’ai pas vu une seule histoire emmenée par un personnage principal féminin« , s’étonnait le créateur, président du jury international de l’édition 2024.
« Deux grandes séries, écrites par des femmes et mettant en scène des enquêtrices, se déroulent aux confins de la terre, dans des régions glaciaires. Je ne pense pas que ce soit un simple hasard mais bien un reflet des inquiétudes de notre époque », poursuit Zal Batmanglij.
Le fait que Brit Marling et lui aient souhaité inscrire Darby Hart au cœur de leur série ne doit rien au hasard non plus. « Cette fois, nous voulions raconter l’enquête du point de vue d’une jeune femme car cela permet aussi un autre regard sur le dérèglement climatique et l’avancée technologique.«
« J’ai tout de suite su qu’Emma Corrin serait une formidable Darby »
Ce chaos, ils l’explorent dans A Murder at the end of the world, visible sur Disney+. « Le genre du whodunit permet d’interroger l’époque et les perturbations que nous constatons tous. Un mystère permet d’explorer autrement notre anxiété actuelle sur ces sujets. Lorsqu’on voit le nombre d’inondations et d’incendies de forêts à travers le monde, impossible de ne pas être frappé par la fréquence de ces phénomènes et par leur impact. Je trouve d’ailleurs étrange qu’il n’y ait pas plus de séries qui en parlent. »
Une série internationale s’est est récemment emparé, en choisissant la voie de la Science-Fiction : The Swarm (Abysses, en VO). Est-ce pour cette raison qu’elle n’a pas convaincu un très large public ? Mystère…
« Souvent on ne comprend qu’après les effets secondaires des choses. Comme le radium de Pierre et Marie Cury. Nous allons trouver un équilibre avec l’IA mais cela prendra du temps et cela risque d’impacter beaucoup de gens, j’en suis sûr. »
L’imbrication des différents sujets abordés par la série a demandé une longue réflexion. « Cela nous a pris du temps pour trouver notre chemin dans cette histoire car il n’existait pas de modèle pour ce type de personnage très particulier (on n’en dira pas plus par crainte de spoilers), surtout que Darby n’a ni arme, ni badge. Il a fallu deux ans pour écrire les 7 épisodes, avant de tourner et de réaliser le montage. »
Une véritable épopée rendue encore plus complexe par le choix du lieu de tournage… Mais pour porter cette histoire, ils disposaient d’un atout indéniable : la comédienne Emma Corrin. “Elle m’a époustouflé dans la série The Crown, car je n’avais pas l’impression qu’elle jouait mais bien qu’elle était devenue Diana. J’ai tout de suite su qu’elle serait une formidable Darby .»
« Les histoires ont façonné ma vie »
Depuis tout petit, Zal Batmanglij, est fasciné par les histoires. « Chaque soir, mon père me lisait 10 ou 20 pages de romans de Roald Dahl ou de livres de SF. C’était une invitation à aller dans un autre monde. Plus tard, je les lisais moi-même. Les histoires étaient déjà ma vie, j’y pensais sans cesse. Je jouais, je les construisais en Lego. Pendant un temps, j’ai perdu cette sensation et je me suis dit, à l’âge adulte, qu’il fallait que je retrouve cette liberté. Le sentiment donné par les lectures de mon père était éphémère, mais la version tangible de cela, c’était les films.«
À côté des VHS, des films à la télévision et au cinéma vus en famille, Zal Batmanglij s’est mis à faire des petits films avec ses amis, des sketches. Il a tout de suite su qu’il ne serait pas acteur mais scénariste et réalisateur, « car c’était le lieu où se construisait le récit et se trafiquaient les images« .
Moitié du duo créateur de l’inoubliable série The OA, le réalisateur tient au dialogue par-dessus tout. Ainsi, lors de cette interview, il parle à moitié en anglais et à moitié en français comme lorsqu’il était enfant et qu’il a vécu 5 ans à Vence, près de Nice. Il jonglait alors entre iranien, français et anglais.
« Quand on grandit, la vie, la liberté, vos perceptions des couleurs s’émoussent. C’est comme rentrer dans le rang. Ce qui est formidable, c’est que je n’ai jamais vécu cette période en France. Les souvenirs de mon enfance sont donc restés intacts dans mon esprit. »
« Brit a la plus grande imagination que j’ai jamais rencontrée »
Tout a changé pour lui lorsqu’il a rencontré Brit Marling à l’université, ils avaient 21 ans. « J’ai immédiatement réalisé qu’elle était magique. » L’admiration n’a pas faibli depuis, que du contraire. « Elle a «ce je ne sais quoi» comme vous dites en français. Ce n’est pas seulement la beauté, mais aussi sa voix, ses idées. Elle a la plus grande imagination que j’ai jamais rencontrée. »
« C’est difficile de dire comment notre duo fonctionne, poursuit-il. Nous avons beaucoup de rituels d’écriture et un cadre strict: horaires, promenade, discussions… Mais à l’intérieur de cela, nous avons beaucoup de liberté. C’est comme un jardin qu’on définit entre nous: nous allons planter des graines, puis ajouter de l’eau, du soleil. Et c’est là qu’intervient la magie: certaines plantes grandissent vite, d’autres pas, mais elles demeurent là en attendant que cela prenne.. Mais je sais qu’un jour, elles grandiront », affirme Zal Batmanglij avec un grand sourire.
L’annulation de leur série The OA, après deux saisons, par Netflix a laissé des millions de fans inconsolables. « D’une façon ou d’une autre, nous trouverons le moyen de terminer cette histoire« , affirme-t-il avec un large sourire un peu énigmatique.
Entretien à Lille, Karin Tshidimba
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