Leur style original et leur imaginaire irrévérencieux leur valent une renommée mondiale. On ne compte plus les réalisateurs et les ambassadeurs de prestige de la fiction “made in UK”. Pleins feux sur les huit caractéristiques de la British touch*** pour prolonger le documentaire que le journaliste Olivier Joyard leur consacre ce dimanche à 14 h 05 sur Be tv.

The Crown, Downton Abbey, Broadchurch, Peaky Blinders, Fleabag, Killing Eve, Sex Education, This is going to hurt
Autant de créations britanniques qui constituent des succès incontestables sur le marché mondial. Et que dire de la série Succession ? Elle affiche le nombre record de 25 nominations aux prochains Emmy Awards, son scénariste et son principal interprète sont britanniques, tout en étant produite aux États-Unis. Comment expliquer cette présence et ce triomphe à l’international ? Quels sont les secrets de la potion magique british ? C’est à cette question que s’attache le dernier documentaire d’Olivier Joyard, spécialiste séries pour le magazine Les Inrockuptibles.
Interrogeant spécialistes et critiques de séries, le documentariste pointe les caractéristiques qui constituent cette British Touch★★★. Il jette aussi un œil dans les coulisses de la formation des acteurs et du travail des scénaristes les plus en vue tels que Julian Fellowes (Downton Abbey), Laurie Nunn (Sex Education), Steven Knight (Peaky Blinders) ou Bryan Elsley, créateur de Skins. Mettant ainsi en lumière leur incroyable faculté à écrire avec leurs tripes, convoquant à la fois la raison et les sentiments chez le téléspectateur.

1. Les séries, un art majeur

“Bien faites, bien jouées, bien réalisées”, les séries britanniques cumulent les récompenses et les fans à travers le monde. Une réputation d’excellence et d’impertinence acquise au fil des décennies. À quoi tient ce succès ? Au sérieux avec lequel elles sont imaginées, à n’en pas douter… Les Britanniques maîtrisent l’art de charmer par la série. Il faut dire qu’aux yeux de la fière Albion, la télévision n’est pas un art mineur. Considérée comme un “trésor national”, elle s’affirme ambitieuse et radicale tout en restant populaire. Son objectif : “éduquer et divertir” comme le rappelle le leitmotiv de la BBC, reine de tant de foyers.

2.  Une pépinière de talents tous écrans

Longtemps, les séries ont fleuri plus vite que les films au Royaume-Uni. Avec une tonalité originale très personnelle mais aussi rapidement internationale, de Chapeau melon et bottes de cuir ou Le Prisonnier… jusqu’à nos jours. Il était impossible d’imaginer faire carrière uniquement dans le cinéma à moins, bien sûr, de faire le voyage jusqu’à Hollywood, comme l’ont entrepris tant de grands noms britanniques : Kate Winslet, Idris Elba, Olivia Colman, Daniel Day-Lewis – si bien que certains ignorent qu’ils ne sont pas Américains…
Pour vivre de son art en Grande-Bretagne, il faut forcément combiner cinéma, télévision et théâtre comme l’ont fait Judi Dench, Maggie Smith ou David Tennant. Celui-ci n’a pas seulement prêté son visage à Doctor Who ou à Broadchurch, il a aussi longtemps brûlé les planches. Et c’est grâce aux fictions de la télévision qu’ont éclos nombre de talents du grand écran tels Ken Loach, Alan Clark…

3. Une identité très ancrée, tensions sociales incluses

Saluée à la fois pour son réalisme et son courage pour affronter les questions qui fâchent ou divisent, la fiction britannique se singularise par son sens critique de l’identité made in UK, n’hésitant pas à dépoussiérer vigoureusement son héritage, comme le fit Steven Moffat avec Sherlock en 2010. Elle ose aussi l’ancrage dans différents paysages aux accents savoureux. Comme celui du pays de Galles dans Keeping Faith portée par Eve Myles (la saison 3 débute ce 4 août sur la RTBF et Auvio).
La fiction britannique est aussi traversée par un certain esprit punk et rebelle, se nourrissant de l’énergie de la rue et du souk qui, parfois, y règne. “On appuie là où ça fait mal, on ne fait pas semblant que les classes sociales n’existent pas”, note une productrice. On montre aussi le panache et le courage de la classe ouvrière comme dans Peaky Blinders (dont la saison finale est disponible sur Netflix). Au-delà de leur condition, on voit leurs aspirations profondes. Comme dans Happy Valley aussi.

4. Adeptes de la catharsis

Les séries anglaises ont ce côté viscéral, cette volonté d’aborder frontalement des problèmes du quotidien. En aidant le public à affronter ses peurs, elles provoquent la catharsis… Qu’il s’agisse de la dépression et du deuil comme dans Fleabag de Phoebe Waller-Bridge ou du traumatisme consécutif à une agression comme dans I May Destroy You. L’humour, le décalage et la créativité permettent d’y passer du rire aux larmes et vice-versa. Tandis que nos peurs secrètes sont révélées à travers le quotidien d’une famille ordinaire comme dans Years and years, qui a imaginé avant tout le monde (2019) la crise des réfugiés ukrainiens.

5. Le (trop) plein de sentiments

Parfois, on sait d’emblée que “cela pourrait mal finir” mais les scénaristes ne détournent pas les yeux pour autant. Ce fut le cas avec le malaise, les amours et les excès de la jeunesse de Bristol, capturés par la formidable radiographie ado de Skins. Et avec les traumas d’une enfance ou d’une adolescence douloureuse auscultés dans The Virtues et Three Girls, deux séries aussi déchirantes qu’édifiantes, inspirées de faits réels.
Une façon de souligner la résilience et l’art de rester debout de certains personnages, grâce à l’humanité, à l’ironie et au regard décalé qu’ils ont pu développer. L’acuité et la beauté des sentiments qu’elle explore, sans mièvrerie ni facilité, offrent aussi un bel écrin aux Normal People.

6. Un humour noir et grinçant

Souvent amusantes et loufoques, les comédies britanniques optent parfois pour l’humour noir ou même l’embarras, le cringe comme le définit le néologisme. La reine incontestée du genre est The Office, comédie du malaise énorme qui a connu une adaptation aux États-Unis. On y pratique un mélange d’arrogance et d’excès testé dès 1992 par le duo déjanté d’Absolutely Fabulous. “La télévision fait tellement partie de la culture et du quotidien britannique que certaines particularités échappent aux étrangers”, note un critique de série.

7. Une tradition souvent imitée, rarement égalée

La fiction britannique est encore très majoritairement portée par la tradition du scénariste solitaire et de la saisonnalité de diffusion (printemps, été, automne, hiver) qui détermine le nombre d’épisodes prévus pour chaque mini-série : six épisodes, en général. Même si la tradition de la salle d’écriture, si chère aux États-Unis, commence à se répandre et que le format de la mini-série a fait des émules à travers le globe, ce qui tend à homogénéiser cette particularité so british, au départ.

8. Toute une vie sur petit écran

Bien avant Plus Belle la vie ou Un si grand soleil, les soaps Coronation Street (1960) et EastEnders (1985) ont ouvert la voie du rendez-vous quotidien en télévision. Cette incroyable longévité des séries britanniques a un troisième avatar en la personne du Doctor Who, né en 1963, toujours fringant et déjà rebooté plus de douze fois.
Cette fidélité au sens du drame brasse les grands thèmes universels – famille, amour et vengeance – de façon très britannique, à travers de nombreux clins d’œil à Shakespeare. Il n’y a ni petit conflit, ni petit personnage dans la fiction anglaise. Cette ligne de conduite a façonné la grandeur d’une création emblématique dont les maîtres-mots sont imaginaire, humanité et singularité.

Karin Tshidimba