Un témoignage à l’humour grinçant et au réalisme glaçant, un diagnostic sans appel concernant l’état du service de santé publique britannique. A voir sur Be tv, ce samedi à 20h30

Le titre ne ment pas et le premier épisode donne d’emblée le ton: plutôt rude et déconseillé aux âmes sensibles. Lors de ses gardes interminables, le Dr Kay (Ben Whishaw vu dans A Very English Scandal et The Hour) gynécologue-obstétricien est confronté à de nombreuses urgences et complications potentielles ainsi qu’à des moments de grande détresse humaine. Or les scènes réalisées en salle d’accouchement ou d’opération sont très réalistes. Comme ce jour où une erreur de jugement, en fin de garde, a failli coûter la vie à une mère et à son enfant. Depuis, les images de l’accouchement en urgence de ce bébé grand prématuré hantent le Dr Kay jour et nuit.

This is going to hurt*** parle de ces moments où la mécanique bien rodée des accouchements s’enraye, mettant les mères et futurs bébés en difficulté et le personnel hospitalier sous pression. Car la souffrance auquel se réfère le titre est aussi celle des soignants et particulièrement celle des tout jeunes médecins.
La force de cette mini-série, produite par la BBC, est de choisir un personnage a priori peu sympathique. Sarcastique et cassant, le Dr Kay n’hésite pas à rabrouer ses collègues internes et à leur dire exactement ce qui lui passe par la tête. Comme lorsqu’il croise la route de la débutante et hésitante Dr Shruti Acharya (Ambika Mod) qui peine à trouver sa place dans le service.

Hôpital au bord de la crise de nerfs

Par moments, Adam Kay commente en aparté, face caméra, son quotidien mouvementé comme il le ferait dans un documentaire ou un reportage sur le front, l’humour pince-sans-rire en plus. Sur la forme, on songe forcément à la série Fleabag de la formidable Phoebe Waller-Bridge, par son ton désabusé et sarcastique, le Dr Kay se rapproche aussi du Dr House, la misanthropie en moins.

Lucide et épuisé, Adam Kay parle crûment de sa réalité hospitalière qui semble parfois en roue libre. Pour autant, cette série n’est pas celle des excès ou des dérapages mais celle de la vérité nue. Elle n’a pas peur d’aborder frontalement la réalité du surmenage, des dépressions et des rémunérations indignes. Une situation que le véritable Adam Kay connaît bien puisque le scénariste est aussi l’auteur des mémoires, parues en 2017*, dont la série est inspirée.

Hippocrate et This is going to hurt: mêmes combats

La situation de décrépitude de l’hôpital public britannique, les horaires démentiels et les salaires indigents renvoient à une réalité déjà dénoncée par la série médicale de Canal+, Hippocrate. Qui, au fil de deux saisons, décrit avec une précision quasi documentaire, la crise des hôpitaux publics français et le risque de burn out qu’elle engendre parmi le personnel soignant. Une série également écrite par un vrai praticien, Thomas Lilti.

Autre nation mais situation identique avec cette clinique publique londonienne qui semble littéralement au bord de l’implosion, manquant à la fois de personnel et de moyens, devant sans cesse faire face à un service d’urgences débordé et exigeant des soignants qu’ils assurent en outre une rotation toujours plus rapide des patients afin de « libérer des lits ». A la pression administrative s’ajoute le chaos qui règne souvent dans les salles d’accouchements et d’opérations. Autant d’images vraiment impressionnantes.

Souffrir en travaillant

La réalisation nerveuse et sous tension du duo Lucy Forbes (The end of the F***ing world) – Tom Kingsley nous plonge au cœur de la tourmente dans cet hôpital où le dévouement du personnel suscite l’admiration.

La série aborde, en filigrane, l’effet que cette pression a sur les relations personnelles d’Adam avec sa mère, avec son meilleur ami, en passe de se marier, ou avec son compagnon, le très compréhensif Harry (Rory Fleck Burn) à l’écoute en toutes circonstances. En cela, This is going to hurt perpétue la grande tradition du cinéma britannique social cher à Ken Loach, la touche d’humour noir en plus. Proposée en février dernier sur la BBC et présenté en avant-première lors de Séries Mania, la série sera prochainement diffusée aux Etats-Unis sur AMC.

Karin Tshidimba

*Le livre d’Adam Kay s’est vendu à 2,5 millions d’exemplaires.