Sa créatrice revient sur la genèse de la série très populaire sur Netflix qui brise les tabous avec humour et lutte pour plus d’inclusivité. Deux qualités qui lui ont valu de recevoir le prix de l’engagement le 8 octobre lors du Festival CanneSeries. La saison 3 de Sex Education, lancée depuis un mois, figure toujours dans le top 10 de la plateforme mondiale.

« Au moment où j’ai écrit Sex Education, je pensais vraiment me reconvertir ou reprendre une formation. Je pensais que je ne deviendrais jamais scénariste. Toute cette histoire est un peu surréaliste : la façon dont la série a été accueillie et dont le public y a répondu d’une façon si touchante. Je ne m’y attendais pas du tout… » La surprise de Laurie Nunn, trentenaire à la tête de l’un des dix plus grands succès d’audience de Netflix, n’est nullement feinte. Elle se souvient très bien de cette période après son master en screenwriting où, jeune diplômée, suivie depuis peu par un agent, ses idées « n’étaient jamais retenues. »

Les ados parlent aux ados

Ses qualités d’auteure seraient-elles dues à une enfance singulière et au décalage culturel entre Grande-Bretagne et Australie ? Difficile à dire… « J’ai grandi en Grande-Bretagne, mais j’ai déménagé en Australie lorsque j’avais 14 ans et je ne suis revenue qu’au début de la vingtaine. Je ne sais pas si cela a contribué à ma façon d’écrire, mais j’étais assez bonne dans l’observation des situations. Ado, je connaissais bien ce sentiment d’être la nouvelle personne discrète, assise dans le fond de la classe, qui observe sans rien dire et repère les nouveautés et différences culturelles. J’étais un peu cette fille bizarre et timide qui tente de comprendre comment les choses se passent… Et je pense que cela a sans doute contribué à ce que je devienne autrice. »

De là à dire qu’elle ressemble à son personnage principal Otis Milburn (campé par Asa Butterfield), garçon effacé et perspicace à la grande empathie et intelligence émotionnelle, il n’y a qu’un pas que l’on franchit aisément lorsqu’on rencontre la jeune femme discrète et posée, à l’humilité non feinte, que le succès tapageur de sa série ne semble avoir nullement ébranlée. Comme Otis, qui guide et renseigne ses camarades du lycée Moordale pour se faire un peu d’argent et se rapprocher de l’envoûtante Maeve (Emma Mackey), la série Sex Education contribue à éclairer toute une génération d’ados et à libérer leur parole sur des sujets encore souvent tabous : maladies sexuellement transmissibles, angoisse de la performance, troubles bénins, plaisir féminin, agressions, avortement, masculinité toxique… Elle ne se contente pas de secouer le cocotier, mais permet à des millions de jeunes adultes de trouver les mots pour le dire, qu’il s’agisse d’exprimer leurs envies, leurs peurs ou leur désir.

Briser les tabous entre parents et enfants

La réception d’un film, d’un livre ou d’une série est souvent une question de moment-clé. Sans doute le temps était-il venu de parler autrement des aspirations des adolescents d’êtres vus, entendus, reconnus… « Oui, la série a été diffusée en pleine période post-#MeToo. Beaucoup de personnes commençaient à comprendre que les questions d’identité, de consentement et aussi la façon d’aborder tous les types de corps de façon positive étaient cruciales. Ces questions étaient justement au cœur de la série, donc je pense que beaucoup de jeunes ont trouvé qu’il était grand temps qu’on en parle. »

Même si Laurie Nunn a le sentiment que Sex Education « s’inscrit dans un mouvement plus large et prolonge le travail d’autres films et séries apparus avant elle, qui traitaient déjà des questions de ce genre, tels que Freaks and Geeks, Angela 15 ans, Dawson… »

Sa série a surtout permis à des personnages le plus souvent anecdotiques ou invisibles de trouver une place face à la caméra et de raconter leurs propres histoires avec leurs propres mots. Elle montre aussi que la vraie difficulté est le dialogue intergénérationnel : les sujets deviennent surtout tabous lorsqu’il s’agit d’en parler avec ses enfants ou ses parents… Laurie Nunn acquiesce : « Même si je le comprends bien, je pense vraiment que nous devons tous nous améliorer sur le sujet, parce que si nous nous sentons mal à l’aise lorsqu’il s’agit de parler de sexualité, les personnes qui nous entourent vont toujours penser que c’est un sujet honteux ou stigmatisant. Je comprends bien que ce fossé générationnel existe et ce n’est pas simple pour des parents d’en parler avec leurs ados, mais j’espère que la série les aide à comprendre que si certains sujets sont délicats, bizarres ou embarrassants, ils peuvent aussi être drôles et ne doivent en tout cas pas être douloureux. »

« L’idée est vraiment que l’on s’amuse en apprenant »

Dans la série, les sujets sont d’autant plus faciles à aborder qu’ils sont souvent enrobés d’humour ou de tendresse. « Exactement. On a toujours voulu écrire une dramédie. J’aime ce mélange entre rire et émotion. Et puis, je pense que cela nous autorise à parler de sujets sérieux, parce que les gens rient et sont détendus. Cela évite aussi que l’on puisse penser que nous prêchons la bonne parole ou que nous pensons tout savoir sur tout. L’idée est vraiment que l’on s’amuse tout en apprenant. »

Mimi Keene as Ruby Matthews

Au-delà des images crues et des blagues salaces qui ont pas mal fait parler de la série au début, la qualité des conseils délivrés par Otis, la bienveillance et l’écoute ainsi qu’une meilleure représentation du genre et de la communauté LGBTQI + ont rapidement attiré un public bien au-delà de la cible adolescente. Une qualité d’écriture essentielle, récompensée par le prix de l’engagement décerné lors du récent festival CanneSeries, qui n’est pas le fruit du hasard. Tout le bénéfice en revient à Laurie Nunn et à la grande diversité de talents, principalement féminins, dont elle a su s’entourer.

Créer une équipe d’écriture la plus inclusive possible

« La composition d’une ‘writers room’ est vraiment un processus de longue haleine. Ma volonté était que notre équipe soit la plus inclusive possible. Quand j’étais une scénariste débutante, j’ai trouvé vraiment compliqué d’entrer dans une équipe d’écriture et donc je me suis toujours dit qu’il fallait prendre le risque d’incorporer des scénaristes moins expérimentés. C’est un endroit rassurant où il n’y a pas de jugement et où des personnes de toutes les origines et les horizons collaborent. Ce microcosme reflète la population scolaire de Sex Education que vous voyez sur l’écran. »

D’où le choix de scénaristes « vraiment talentueux qui peuvent aussi beaucoup apporter à la série parce qu’il est très important que nous ayons des points de vue et des perspectives différentes. Cela ajoute de la fraîcheur et de la nouveauté à l’écriture. »

Otis (Asa Butterfield) et Maeve (Emma MacKey) dans la saison 3 de la dramédie « Sex Education ».

Ces deux qualités sont indispensables lorsqu’on veut créer des histoires de longue haleine. « J’espérais pouvoir créer deux saisons, je savais que certaines histoires avaient besoin de temps pour se développer comme le parcours de Sam (Connor Sindwells, NdlR), par exemple, mais j’ignorais si la série serait bien reçue. Je trouve aussi grisant de se laisser surprendre sans toujours savoir exactement où l’histoire va vous emmener. Même si cette liberté peut parfois aussi être effrayante… »

La saison 4 est en cours d’écriture depuis quelques mois déjà et Laurie Nunn se dit « très impatiente de développer les histoires que nous avons imaginées ». « Il y aura quelques nouveaux personnages et ce sera aussi l’occasion de prolonger les parcours de certains anciens personnages moins exposés », confie-t-elle.

Genèse et prémisses : Laurie Nunn à l’école des séries

Le métier de scénariste n’était pas la première aspiration de Laurie Nunn. « Toute ma famille est dans le domaine artistique, donc je me doutais que j’aurais un métier créatif mais, au départ, j’étais plus intéressée par le jeu et le chant. Ce n’est que plus tard que j’ai compris que ce que je préférais, c’était la façon de raconter les histoires. J’ai toujours écrit des histoires, des petites pièces et réalisé des petits films depuis mes 18 ans. Je pense que tout est parti de là… »

Le déclic est venu de sa rencontre avec certaines séries fondatrices qui lui ont permis de suivre des parcours de vie étonnants. « Un de mes créateurs préférés est Alan Ball qui a imaginé Six Feet Under, ma série préférée de tous les temps… C’est un scénariste formidable. J’aime beaucoup aussi la productrice Shonda Rhimes et la Britannique Sally Wainwright. » Avec Scandal et Bridgerton pour l’une, Happy Valley et Gentleman Jack pour l’autre, les deux créatrices ont posé d’importants jalons dans la création sérielle.

Lancée en 2019, la série Sex Education a atteint les 40 millions de vues lors de son premier mois de présence sur Netflix. Si les chiffres d’audience de la saison 3 ne sont pas encore connus, la série figure toujours dans le top 10 de la plateforme. Laquelle soigne ses fans et vient de leur distribuer gratuitement quelque 55 000 jeux de cartes Sex Education entre le 17 et le 19 septembre dernier. Objectif ? « Délier les langues autour de l’amour, la sexualité, l’estime de soi et l’empowerment. » Et prolonger le plaisir d’apprendre par le jeu.

Entretien: Karin Tshidimba, à Cannes