La série I May destroy you*** est arrivée chez nous cet automne mais à l’heure de refermer cette année, le visage d’Arabella Essiedu plane encore dans tous les esprits. Ce mélange d’humour et de profond désarroi, de force de vie et de vulnérabilité, de perspicacité et d’aveuglement font de la jeune femme plus qu’un personnage, presque un modèle. Icône d’une année où il a fallu lutter pour rester debout et aller de l’avant…
Mais revenons au début de l’histoire.
Arabella (Michaela Coel) est une fêtarde magnifique, une noceuse pratiquement sans limite. Elle adore sa bande de potes qui le lui rendent bien. Un soir pourtant, la virée va tourner court. Alors qu’elle est censée travailler sur un projet de livre à rendre pour le lendemain matin, Bella file boire des coups dans un bar avec deux copains. Au petit matin, vaseuse, elle se remet au travail mais, au fil des heures, les traces d’ecchymoses sur son corps et son visage lui donnent l’étrange sensation d’avoir été agressée sans qu’aucun souvenir ne puisse étayer ses dires. Concernant la fin de la nuit, c’est le black-out total, au point d’être persuadée d’avoir été droguée. Bien décidée à tirer cette histoire au clair et à ne pas se laisser faire, Arabella décide de porter plainte. Une démarche longue et difficile dans laquelle elle reçoit le soutien inconditionnel de ses deux piliers et amis ultimes: Terry et Kwame (les inégalables Weruche Opia et Paapa Essiedu).
La série pourrait s’appeler «I may destroy you ou comment s’en sortir» car c’est bien de stratégies de survie en milieu hostile dont il est question ici, avec une densité, une humanité et même une dose d’humour inattendue. On y parle de thérapie, d’apprendre à (s’)écouter et à prendre soin de soi par la peinture, le sport, le yoga,… On y met aussi le focus sur l’écoute et la force irremplaçable de l’amitié.
Regarder son traumatisme bien en face
On ne va pas se mentir, c’est un sujet qu’on préférerait éviter mais qui s’impose avec une force inédite. Un peu comme un rendez-vous médical auquel on se rend à reculons. On sait que c’est nécessaire, que cela nous fera sans doute du bien à terme, mais on appréhende le moment de la confrontation.
La mini-série écrite, réalisée et interprétée par la comédienne britannique aborde des vérités souvent amères, parfois crues avec intelligence et style. Michaela Coel excelle à capter l’essence de son époque, même dans les réalités les plus borderlines comme l’a fait Lena Dunham à travers Girls, de 2012 à 2017 ou Issa Rae dans Insecure.
La jeune Britannique possède une voix unique qu’elle a déjà fait entendre dans sa série précédente (Chewing Gum). Une écriture à la première personne, sans tabou ni concession qui la rapproche de Phoebe Waller-Bridge, l’auteure de Fleabag, par sa justesse et sa finesse dans le ressenti et la détresse exprimée. Le caractère cash et réaliste de la série explique pourquoi elle est assortie du logo -16 car Michaela, fidèle à son habitude, n’y va pas par quatre chemins. Viol, agression sexuelle, consentement, applications de rencontres, représentation des Noirs, droits des LGBTQ, addictions multiples et dérives des réseaux sociaux sont au cœur de son récit en 12 épisodes.
Image d’une génération, d’une communauté, d’une année
L’histoire démarre comme une version tragique de Very bad trip, symbole d’une quête incessante de sensations qui ne mènent pas forcément les millennials à l’extase escomptée. La force de son récit ne tient pas à l’accumulation de poncifs ou de provocations mais à la complexité et à l’entrelacs des zones grises abordées. On y suit Bella buvant la coupe jusqu’à la lie, explorant toutes sortes de pistes et de confrontations dans ses tentatives de reconstruction. Comme dans Black Earth Rising, on est frappé par le mélange de puissance et d’extrême fragilité qui caractérise son jeu.
Sur ce sujet hautement délicat et personnel, Michaela Coel imagine une fin compte triple à la fois perturbante et symbolique de son écriture unique et foisonnante.
Toutes ces semaines où Arabella rassemble les pièces de son parcours et explore les facettes de son histoire sont la métaphore du travail d’auteur et du processus de création de Michaela. Elles trouvent aussi un écho singulier au sein de notre époque emplie de doutes, de peurs, de frustrations, de questionnements et de regrets. Bella prouve qu’il n’est jamais trop tard pour tout recommencer.
Une série HBO-BBC disponible sur Be à la demande jusqu’au 14 janvier.
Karin Tshidimba
nb: Bella devance un trio de jeunes femmes tout aussi attachantes qui ont marqué cette année 2020, à retrouver demain dans notre top20.
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