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Présentée au sein du Panorama international au Festival Series Mania, cette fiction flamande au style chahuté et au propos âpre et sans fard met en lumière un ado en pleine galère tentant de tracer sa route à Bruxelles.

La galère, la vraie, Gianni (aka Gigi) la connaît depuis l’enfance. Entre lycée et plans B, il se débrouille et traîne avec ses potes Rania (Hind) et Snokkie (Felix Heremans vu dans le film Holly). À 17 ans, il veut devenir millionnaire et, à ses yeux, ce n’est pas une question de job mais d’état d’esprit. Une philosophie qu’admire son pote Yves (Pierre Boeraeve) aux deux mille cousins, dont l’humour absurde éclaire chacun de ses plans de boulots foireux…

Créateur de t-shirts au design léché, Gigi est aussi une boule de colère incontrôlée qui ne pardonne pas à sa mère, Anaïs, ses choix d’amants et son passé de toxico. Quand il découvre son ex, Fabrice (Roda Fawaz vu dans la série 1985), de retour dans leur appartement, l’ado part littéralement en vrille. Pourtant, Anaïs (Liesa Van der Aa, vue dans The Day) lui jure qu’ils sont tous les deux « clean ». Violent, buté, querelleur et faussement blasé, Gigi crâne beaucoup et se débat pour ne pas tomber, ne pas craquer, ne pas finir avec une vie trop naze. Il essaie même d’assurer une présence fiable auprès de sa petite sœur Lisa (Laura Darnovsky).

Une jeunesse précaire et en colère

« Putain », son juron préféré, est aussi le titre de cette série en dix épisodes qui tombe comme une claque sur un visage à peine réveillé. Cette série aux allures documentaires capture un réel sans fard où chacun cherche une échappatoire (enfumée ou alcoolisée) à un horizon bouché et des factures trop salées. Adeptes des paradis artificiels ou portés sur la bouteille, les adultes ne sont pas plus assurés que les ados de vivre des lendemains qui chantent. Coincés entre vente à la sauvette, jobs alimentaires et mauvais deals, ils ne leur offrent ni sécurité, ni perspective.

Le rappeur « Zwangere Guy » campe un père démissionnaire dans la série belge « Putain ».

L’histoire est inspirée de celle de Gorik van Oudheusden, plus connu sous son identité de rappeur Zwangere Guy. Passé à la création de série pendant le confinement, l’artiste s’affirme aussi comme comédien dans un rôle d’anthologie de père à la dérive.

Le résultat, brut de décoffrage, navigue entre dérive nocturne et école de la rue, version 100 % débrouille. Un apprentissage chaotique et sans concession. Gigi a beau crâner, sa détresse et sa déception sont palpables. Enfoui sous sa capuche ou la tête protégée par ses écouteurs, son parcours reflète le quotidien d’un gars agressif et paumé, qui repousse tout le monde de peur d’être à nouveau déçu ou blessé. C’est sa frustration qui rend sa relation avec Zola (formidable Victoria Djamasula) aussi électrique. Gigi ne supporte pas son côté « citoyenne modèle et engagée » qui fait d’elle une sacrée « donneuse de leçons » à ses yeux.

L’empreinte du réel

Portée par une bonne part de comédiens non professionnels, la série 100 % brusseleire circule entre métro, parcs, stade et gares où l’on suit aussi l’errance de quelques sans-abri… L’intrigue mixe le français et le néerlandais et mâtine même ses réparties bilingues de quelques mots d’arabe. Le résultat, criant de vérité, secoue à mesure que la détresse et la solitude de chacun éclatent au grand jour.

Victoria Djamasula est Zola, une élève engagée et activiste qui met les nerfs de Gigi à rude épreuve.

Putain n’est pas une série confortable à regarder. Le malaise s’y installe de façon insidieuse. Mais dès l’épisode 3, elle s’impose comme certaines séries ou drames sociaux britanniques qui nous assènent un grand coup et nous forcent à ouvrir les yeux sur la négligence, le manque d’encadrement et d’empathie, l’absence de solidarité ou de filets de sécurité qui laissent des enfants aux prises avec des problèmes d’adultes. Chaque épisode apporte son lot de défis à relever soulignés par une bande-son qui scande l’urgence.

La diffusion de la série sur la plateforme flamande Streamz a secoué le Nord du pays en décembre et janvier derniers. Certains citent Euphoria comme référence pour ce groupe d’ados à la dérive, mais c’est à Skins que cette pépite flamande fait le plus penser, en raison de sa tonalité réaliste et rugueuse et de ses personnages d’une justesse et d’un naturel confondants…

Réalisée par Deben Van Dam, la série, créée par Frederik Daem et Zwangere Guy, a été scénarisée par Daem et Van Dam avec Nadège Bibo-Tansia. La photographie magnifie Bruxelles filmée pourtant sous ses angles les moins glamours: métro, ruelles sombres, hall de gare et bistrots de footeux. Comme la Britannique Skins, la série met en lumière une série de talents émergents, à commencer par Liam Jacqmin, craquant dans le rôle de Gigi, lointain cousin de la Rosetta des frères Dardenne, prêt à tout pour trouver le bon filon qui lui permettra de ne pas perdre sa vie à essayer de la gagner… Une gueule d’ange plongée dans l’enfer de la précarité à cause d’adultes démissionnaires ou totalement bornés.

La série est attendue en mai sur Be tv et Proximus, côté francophone…

Karin Tshidimba, à Lille