Dans « Icon of french cinema », la comédienne française revient sur ses débuts d’actrice « sous emprise » à 14 ans, lorsqu’elle est « devenue une femme entourée d’adultes » sans que personne ne s’en inquiète… Une mini-série qui retrace aussi son retour en France sur les plateaux de tournage, en 2022. Un récit à suivre sur arte.tv et en télévision dès ce jeudi à 20h55

Il y a dans la série Icon of french cinema, un côté très cathartique qui éclaire les dérives propres au milieu du 7e Art… Judith Godrèche, à la fois actrice, scénariste et réalisatrice de cette première mini-série, y retrace sa découverte du cinéma, à 14 ans, à travers le film La Désenchantée de Benoît Jacquot. Un récit nécessaire pour effacer l’emprise vécue alors ?

Quand Adèle Haenel s’est exprimée à propos de tout ce qui lui est arrivé et que le livre de Vanessa Springora est sorti, j’ai été contactée par des journalistes, des maisons d’édition, des producteurs de cinéma. On m’a incitée à raconter mes débuts dans le cinéma français. Évidemment, la fin de mon enfance est très liée à cette thématique du consentement…” Mais la comédienne pensait manquer de la distance nécessaire. “Au départ, c’était tellement enfoui en moi, je n’arrivais pas à en parler. Ces demandes m’ont fait encore plus refouler mon passé.”

Finalement, le déclic est venu par sa fille. “Un jour, à Los Angeles, j’ai eu une sorte de révélation en la regardant évoluer dans la maison. Je me suis dit : ah mais, c’est cela, une fille de seize ans ! Tout à coup, le regard que je n’arrivais pas à porter sur ma propre histoire, tout m’est revenu. Je me suis dit : il faut que je raconte cette histoire importante pour les autres filles de quinze ans.”

« On refoule ou on sublime comme on peut ce qui nous arrive »

Judith Godrèche, comédienne française

Le format de la série s’est rapidement imposé…

”Au début, c’était une lettre à ma fille qui allait peut-être devenir un livre. Mais l’écriture me menait toujours aux images. Je me suis dit qu’il fallait que j’écrive un script. L’aspect tentaculaire de la série était vraiment la forme la plus appropriée. Comme un arbre qui vous mène à des histoires qui s’entremêlent et se séparent en différentes branches. Mon univers est fait d’humour et de choses plus graves, cette dualité fait ma personnalité. Pour certaines personnes, ça doit être assez surprenant parce que la série, au présent, est très ludique. Je ne me prends absolument pas au sérieux.” Cette autodérision fait qu’on ne s’attend pas à être cueilli par l’émotion présente dans son récit en flashbacks. La série navigue entre désillusions et humour avec des épisodes nettement plus sombres, ancrés dans le passé de l’actrice. Une tonalité unique, très spécifique.

”On a tous intégré un rapport particulier à la réalité et aux drames de la vie”, explique Judith Godrèche. “On refoule ou on sublime comme on peut ce qui nous arrive. Il faut trouver le moyen de faire face aux choses. Ma façon me vient de mon grand-père, survivant de l’Holocauste. Il racontait beaucoup d’histoires folles, il amenait l’imaginaire dans la relation. Il avait ce côté ludique. On invente, on transforme la réalité pour s’en échapper. Mon père est comme cela aussi”, note la comédienne.

Judith Godrèche entourée de ses comédiennes dans la série « Icon of french cinema ».

La série suit un personnage de star solaire, un peu fantasque, plongé dans un monde de brutes. On la voit avec ses espoirs, son enthousiasme, sa fraîcheur, mais le monde n’est pas à la hauteur de ses attentes.

”Ça me touche beaucoup que vous la voyiez comme cela… (Silence) Si je voulais être un peu négative vis-à-vis de moi-même, ce rapport à l’enfance qui subsiste est aussi un trait sur lequel on pourrait m’attaquer. Je n’ai jamais eu d’adolescence au sens classique. Même si tous les adolescents ne sont pas insouciants et beaucoup vivent des choses difficiles… Mais j’ai été projetée dans la vie adulte tellement tôt, je me suis retrouvée à payer des impôts à quinze ans, à avoir un appartement, à n’être entourée que d’adultes de 45 ans. Rien n’était normal. Même si je pense que la normalité n’existe pas… La découverte de la vie adulte ou de sa sexualité, le fait de devenir une femme en passant par toutes sortes d’étapes, je n’ai jamais connu cela. Je suis devenue une femme à quatorze ans, entourée d’adultes et je crois qu’une partie de moi est restée très enfantine, en fait.”

Avec la nécessité d’établir une sorte de frontière entre la réalité et la créativité ou la fiction ?

”Pour être drôle, mon personnage a créé une sorte d’alter ego fictionnel. Vous ne pouvez pas le faire sans être extrêmement sincère. Mon personnage est une actrice qui vit dans un appartement du Xᵉ arrondissement que beaucoup pourraient lui envier. Elle est très bobo, elle a une employée de maison et, pourtant, elle se dit fauchée. Mais elle reste privilégiée par rapport à beaucoup d’autres.”

« Il y a toute une liste de réalisatrices avec qui j’ai envie de tourner »

Judith Godrèche, comédienne française

Les comédiennes Liz Kingsman et Judith Godrèche dans la série « Icon of french cinema ».

Judith Godrèche ne se voyait pas complètement transformer la réalité. ” Il me semblait qu’il fallait être honnête, sinon rien n’est ancré dans cette réalité et, notamment, le fait de se moquer de moi-même, de pousser le curseur très loin, de jouer avec les règles de ce monde d’hommes, du patriarcat. Mon personnage a bien compris ce qu’on attendait d’elle. En même temps, elle essaie de s’affirmer, de se libérer de ce que les hommes attendent. Elle joue avec ça : elle essaie de récupérer son boulot en s’habillant comme Ingrid Bergman dans Les Enchaînés. Elle utilise des stéréotypes qui correspondent à ce qu’elle pense qu’on attend d’elle. En même temps, elle met les pieds dans le plat, c’est ça qui m’intéressait. Si je n’étais pas honnête et que j’avais dépeint une sorte de Cosette, ce serait hypocrite. J’assume de filmer une femme privilégiée et ses problèmes. Elle va dans de beaux restaurants, elle mange des croissants aux amandes. Et en même temps, je parle de choses graves.”

Cette gravité ne la détourne pas pour autant du cinéma français… ” J’ai toujours envie d’être actrice. Il y a toute une liste de réalisatrices avec qui j’ai envie de tourner. D’ailleurs, je viens de jouer dans une série et je l’ai fait avec l’amour d’une actrice qui travaille pour la première fois. Je n’ai aucune aigreur. Je suis très heureuse quand je suis sur un plateau. Même si réaliser est vraiment ce que je préfère.”

La comédienne se dit conquise par le format sériel. “Je suis d’ailleurs en train d’en écrire une autre et un long métrage pour une actrice d’une soixantaine d’années. J’ai envie de filmer des femmes, de raconter des histoires de femmes avec des hommes, évidemment. Mais ce sont les personnages féminins, toutes générations confondues, qui m’attirent”, reconnaît-elle.

Entretien: Karin Tshidimba