Pour sa toute première série, le réalisateur oscarisé (Moonlight) adapte avec brio le célèbre roman The Underground Railroad qui a valu le prix Pulitzer à Colson Whitehead. A voir sur Amazon Prime
Depuis la disparition de sa mère – une fuite soudaine sur laquelle plane un profond mystère – Cora (Thuso Mbedu) n’est plus la même. Taciturne et renfermée, comme éteinte, la jeune fille se méfie de tout le monde, Blancs et Noirs confondus. Même la prévenance de Cesar (Aaron Pierre) ne parvient pas à l’amadouer.
Peu après le décès de leur maître James, remplacé par son frère Terrance, aussi cruel qu’impavide, le quotidien de la plantation s’enfonce encore plus profondément dans les ténèbres. Finies les rares fêtes entre esclaves ou les occasions de mettre un peu d’argent de côté ; humiliations et menaces ; contrôle renforcé des naissances et des corps. Le nouveau maître des lieux tient absolument à « être craint et respecté ». Lorsqu’un jeune enfant est roué de coups devant elle, Cora ne réfléchit pas et s’interpose. Punie à son tour, elle ne supportera pas la vision cauchemardesque du châtiment barbare infligé à un pauvre fuyard, ramené peu de temps après par l’un de ces chasseurs d’esclaves sans morale ni scrupule.
Prenant la fuite, sur un coup de tête, la nuit suivante en compagnie de César, Cora découvre le chemin de fer clandestin et avec lui, les premiers effluves d’une liberté si difficile à gagner.
Un roman fondateur des États-Unis
Il fallait bien une fresque d’envergure pour rendre compte de l’épopée inscrite au cœur du plus célèbre roman de Colson Whithead, The Underground Railroad****, publié en 2016 et couronné du prix Pulitzer. Le fameux auteur américain ne s’est pas arrêté en si bon chemin puisque son roman suivant, Nickel Boys, a également reçu la récompense suprême en 2020. Fait presque unique dans les annales.
Pour s’attaquer à ce récit majeur, cimenté au cœur du deuxième plus grand massacre ethnique qui a scellé la fondation des États-Unis, il fallait bien un homme de la trempe de Barry Jenkins.
Réalisateur oscarisé pour le film Moonlight et à nouveau acclamé pour son Si Beale Street pouvait parler (If Beale Street could talk, 2018), Jenkins prête toute sa puissance poétique et sa force d’évocation au récit du destin de la jeune Cora, esclave en fuite traversant les États-Unis du XIXe siècle.
Un réseau de soutien clandestin
Doté de moyens impressionnants, le cinéaste a choisi de rendre concret et tangible ce chemin de fer clandestin, nom métaphorique donné au réseau de routes et refuges secrets qui a permis à des milliers d’esclaves en fuite de quitter les états esclavagistes du Sud pour rejoindre les états libres du Nord.
Inscrit pas à pas dans le sillage de la frêle Cora, Jenkins retrace son épopée d’angoissantes rencontres en fuite effrénée, d’instants de répit en piètres abris, entre peur irraisonnée et méfiance assumée. Dix épisodes auxquels le cinésate prête sa maestria.
Même si Twelve Years a Slave de Steve McQueen a marqué un tournant dans la représentation du passé esclavagiste et raciste de l’Histoire américaine, Jenkins parvient à surprendre et à imposer un nouveau souffle dans ce récit emblématique de l’expérience passée de tant de familles afro-américaines. L’occasion de rappeler que malgré l’oppression et la mortalité importante dans les plantations, des hommes et des femmes se sont levés, ont résisté et ont sauvé leurs proches.
Poésie des images, cruauté des actes
Convoquant des images d’une beauté inattendue, Barry Jenkins alterne moments de pause et de tensions pour parler de la brutalité abjecte et de la lie de l’humanité. Une histoire où les exactions d’hier préfigurent certaines plaies d’aujourd’hui et renvoient à d’autres oppressions et ségrégations à travers les siècles et les continents.
Maître du suspense et de la métaphore, le réalisateur et scénariste agrippe le cœur du téléspectateur pour ne plus jamais le lâcher, permettant à chacun de vivre cette traversée de la façon la plus intime possible.
En dix épisodes déchirants et d’une beauté inspirante, Barry Jenkins signe de façon magistrale son entrée dans le monde des séries. Une saga à découvrir et vivre sur la plateforme Amazon Prime Video.
Karin Tshidimba
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