Plus de cent ans plus tard, il reste « le plus grand des voleurs » et un « parfait gentleman ». Retour sur une légende bâtie dès 1904 par un homme, Maurice Leblanc, qui lui a consacré 18 romans et 39 nouvelles

« Je suis né à Blois en 1874, d’une mère issue de la noblesse et d’un père professeur de gymnastique, d’escrime et de boxe. J’ai commis mon premier larcin à l’âge de 7 ans, comme vous le confirmera mon confident de toujours : l’écrivain Maurice Leblanc. Ma première apparition dans la presse remonte à 1904 : le magazine L’Auto publie alors ma première aventure intitulée Un gentleman… Je suis devenu un héros populaire, un an plus tard, grâce à la publication du feuilleton, portant mon nom, dans le magazine Je sais tout. »

L’homme, le mystère

« Je suis une figure publique de la Belle Époque mais mon aura dépasse de loin le cadre de ma Normandie natale et même de l’Hexagone. Aux yeux du grand public, je suis passé de ‘sympathisant anarchiste assez violent’ à ‘bourgeois résolument patriote’. » La canne, le haut-de-forme, le monocle et le champagne, ainsi qu’une élégance toute naturelle, figurent au nombre des signes distinctifs du « gentleman cambrioleur ».

Les pseudonymes

« Mes admirateurs assurent avoir répertorié pas moins de 47 pseudonymes dont j’aurais usé au cours de mon existence, retracée à travers 18 romans, 39 nouvelles et 5 pièces de théâtre écrits entre 1905 et 1941. Par mes capacités de déduction et mon goût pour les énigmes, je suis le cousin de Sherlock Holmes, même si j’ai affronté le génie britannique au cours de quelques affaires retentissantes. J’ai d’ailleurs terminé mon existence dans les mêmes fonctions que lui : détective privé. Mais ce sont mes exploits de gentleman cambrioleur à l’esprit chevaleresque qui ont fait ma réputation dans le monde. Je suis, je suis ? » Arsène Lupin, pour vous servir.

Le « témoin » biographe

Dans ses premières nouvelles, Maurice Leblanc dit avoir recueilli les « confidences » du gentleman cambrioleur, ancien anarchiste devenu un « bourgeois plutôt cocardier ». C’est donc la forme du récit qui fait croire à l’existence d’Arsène Lupin. Maurice Leblanc a toutefois été surpris du succès de son feuilleton, né de la commande d’un magazine. Lui qui rêvait d’entrer à l’Académie française et admirait Flaubert et Maupassant, deux écrivains normands comme lui, a longtemps peiné à s’accommoder de son succès populaire. Maurice Leblanc a d’ailleurs beaucoup souffert de l’insuccès de ses autres romans.

Progrès techniques, ésotérisme et géographie

L’époque d’Arsène Lupin est celle de l’invention du téléphone, de l’automobile, du vélo… Le feuilleton de Leblanc magnifie ce mélange de passé et de modernité, d’histoire et de géographie, d’ésotérisme et de progrès technique.

La plupart des énigmes sont devenues des mythes car leur résolution est liée à l’histoire et à la géographie de la France. Leblanc a eu un trait de génie en utilisant des éléments géographiques si puissants qu’aujourd’hui, encore, les lieux restent attachés à la mémoire d’Arsène Lupin. De sorte que l’on peut arpenter la Normandie, par exemple, sur les traces du gentleman cambrioleur jusqu’à Etretat…

Le premier des quatre feuilletons, chanté par Dutronc

Son générique de fin, chanté par Jacques Dutronc, a permis à la première série de Jacques Nahum de passer à la postérité. Produite par la France, l’Allemagne, le Canada, la Belgique, les Pays-Bas, la Suisse, l’Italie et l’Autriche, elle a été diffusée en France entre 1971 et 1974. Campé par Georges Descrières (photo), secondé par Yvon Bouchard, dans le rôle du fidèle Grognard, Lupin bénéficiait du talent de Roger Carel dans le rôle du commissaire Guerchard. Soit 26 épisodes en 55 minutes : un rythme et une narration surannés.

Trois autres séries suivront, en 1980 (Arsène Lupin joue et perd, sous les traits de Jean-Claude Brialy), mais aussi en 1989 (Le Retour d’Arsène Lupin) et en 1995 (Les Nouveaux Exploits d’Arsène Lupin), portées par François Dunoyer. Trois séries également créées et produites par Jacques Nahum.


« Arsene Lupin joue et perd » 1980 – Jean Claude Brialy

Dans ces deux dernières collections (12 épisodes en 55 minutes et ensuite 8 épisodes en 90 minutes), Lupin (François Dunoyer) troque le monocle contre le cigare et vit des aventures internationales avec son fidèle Grognard (Éric Franklin en 1989 et Franck Capillery en 1995). Des intrigues ancrées dans les années 1930 et, ensuite, dans les années 1940. À la fois aristocrate dandy et bandit intrépide et gouailleur, Lupin y arbore un profil à la James Bond , les armes et les gadgets en moins : séduction, disparitions, voyages, corps-à-corps, poursuites automobiles et déguisements en pagaille donnent un aperçu de sa maîtrise de l’escamotage et de la psychologie humaine. Malgré une intro jazzy et sifflotante – signée par Vladimir Cosma -, le charme du premier générique reste inégalé.

De la France aux Etats-Unis et au Japon

La première adaptation au cinéma, aux États-Unis, remonte à 1908. En France, Lupin s’illustre sur grand écran en 1947 sous les traits de Robert Lamoureux et sous l’œil de Jacques Becker. Une suite est imaginée en 1949 par Yves Robert. Un troisième volet, en 1962, est signé par Édouard Molinaro avec Jean-Claude Brialy et Jean-Pierre Cassel en tant que « fils de Lupin ».
La dernière adaptation en date remonte à 2004, avec Romain Duris, mais elle ne présentait « aucun intérêt », assure notre collègue Fernand Denis. Les aventures du gentleman ont également été déclinées dans divers films d’animation et des mangas très populaires.

Karin Tshidimba