Le réalisateur oscarisé Jean-Xavier de Lestrade revient avec un sujet brûlant  : celui des relations opaques entre politiques et lobbyistes dans le secteur agroalimentaire. Une série primée au Festival de la Rochelle, à suivre dès jeudi à 20h55 sur Arte.

Le point de départ de Jeux d’influence est une interrogation citoyenne : comment se déroule une prise de décision politique ? On entend les annonces politiques et puis, après un an, on voit qu’il ne s’est pas passé la moitié de ce qui avait été promis. Qu’est-ce qui s’est passé ? Qu’est-ce qui bloque ? C’est cet aspect-là qui nous a intéressés : les groupes de pression. Dans une démocratie, c’est important de savoir comment on gouverne et qui prend les décisions. Est-ce le politique ou les intérêts industriels et privés ? En France, les choses sont un peu brouillées. D’où l’idée de faire une série sur les relations entre le politique et les lobbies. L’agrochimie concerne tout le monde : c’est ce qu’on a dans nos assiettes trois fois par jour, tous les jours, c’est l’air qu’on respire. Sachant qu’en plus, il y a beaucoup de documentaires et de bouquins mais qu’il n’y avait pas de fictions, même au niveau international… Il y avait le défi de traiter ces questions de façon romanesque à travers des personnages pour que cela puisse toucher tout le monde et que ça ne soit pas théorique, mais vraiment concret. »

« On a commencé à écrire cette série en 2013. À ce moment-là on ne pensait pas du tout que c’était un sujet dans l’actualité. À l’époque, les relations entre les mondes politique et industriel n’étaient pas aussi tendues qu’aujourd’hui. On se demandait même si cela allait intéresser les gens. Finalement c’était une bonne piste« , sourit modestement le réalisateur et coauteur Jean-Xavier de Lestrade.

Venant du documentaire, un terrain sur lequel son travail a été récompensé à plusieurs reprises (Un coupable idéal, Soupçons) le contact avec le terrain et les gens sont la première passion de Jean-Xavier de Lestrade. « On s’est beaucoup documentés avant d’aller sur le terrain. Rencontrer des lobbyistes, c’est très compliqué mais on a rencontré des députés, des attachés parlementaires qui sont témoins des cadeaux et des pressions et ont pu nous raconter de nombreuses anecdotes qui ont nourri la crédibilité de notre histoire. Il y a un gros travail de documentation, pas pour être tout le temps dans le vrai – on fait parfois des raccourcis en terme d’agenda, pour gagner du temps -, mais on reste dans le juste. On a rencontré des gens qui ne vont jamais vous parler de ce qu’ils font aujourd’hui. Les anecdotes sont anciennes, les dossiers sont clos, mais les méthodes ne changent pas, en fait. Ce sont ces petits détails qui nourrissent la fiction. »

Sur un sujet comme celui-ci qu’apporte la fiction ?

JXDL : Il y a une force supplémentaire dans la fiction. Dans un documentaire ou un livre, on s’adresse à la réflexion, ici on est happé par ce que vivent les personnages, on est dans le ressenti donc on touche le public différemment. Ce n’est pas forcément plus efficace mais on peut toucher un public plus large.

Antoine Lacomblez, coauteur : Il y a la force de l’identification avec tel personnage, c’est moins une démonstration qu’une adhésion émotionnelle.

JXDL : L’idée a germé après 3x Manon, cela a été naturel d’aller vers Arte. Mais ça a été difficile à écrire. C’est un sujet fort mais il ne faut pas que le thème soit plus fort que l’histoire des personnages. Il ne faut pas que cela devienne des thèses, il faut trouver le bon équilibre pour raconter ce qu’on veut à travers le vécu et les bons passeurs humains. Il faut bien doser les choses pour que le public puisse s’impliquer et trouve des personnages auxquels il s’attache au fil des épisodes. La vraie difficulté était de trouver cet équilibre, ça a pris 4 ans.

Avez-vous écrit la série en pensant à des acteurs précis ?

JXDL : J’avais des idées de casting : Alix Poisson en faisait partie comme Laurent Stocker de la Comédie-Française. Il faut trouver le comédien adéquat entre ce qu’on rêve et l’être humain qui est comédien. Je n’avais pas forcément pensé à Pierre Perrier mais une fois qu’il a passé les essais, c’est devenu évident. Il lui fallait cette crédibilité pour incarner un jeune qui a fait Sciences-po et une école de commerce et qui fait de la politique comme on fait du marketing. En même temps, il y a chez lui un côté sauvage et éruptif caché.

C’est une série politique, militante ?

JXDL : C’est une série politique car elle interroge le rôle du citoyen et la place du politique dans la cité. Je prends position dans cette série et c’est très important à mes yeux, c’est donc une série engagée même si j’essaie de le faire avec nuance.

AL : Ce n’est pas un tract politique. Il y a trois personnages importants : un agriculteur, un député et une journaliste d’investigation qui est dans une zone grise et ne sait pas de quel côté elle va basculer face au monde politique. Ce qui est intéressant, c’est de voir comment ces plaques tectoniques bougent ensemble. Voir comment chaque plaque influence celle d’à côté. C’est un paysage plutôt qu’un message politique, même si on a un point de vue sur le sujet.

JXDL : Le gars qui a écrit la série Gomorra, lui, il prend des risques énormes, il est sur un côté brûlant, je ne pense pas que nous prenions le même type de risque avec cette série.

De son côté, Arte qui a déjà produit les deux documentaires de Marie-Monique Robin évoquant l’emprise d’une firme telle Monsanto se dit « engagée sur ce terrain. C’est un risque de fiction qu’on assume ».

Entretiens à La Rochelle: Karin Tshidimba