La série La Trêve a affirmé sa belgitude jusque dans le choix de son générique aux sonorités « country » collant si bien aux images de la Wallonie des rivières et forêts.
Un univers sonore porté par Balthazar, jeune groupe de rock flamand célébré également au sud du pays, notamment pour son titre « The man who owns the place ». Le reste de la bande-son, soit 5 heures sur les dix que dure la série, est le fruit de l’imagination d’Eloi Ragot, jeune compositeur français vivant en Belgique que le trio de scénaristes-créateurs Matthieu Donck, Benjamin d’Aoust et Stéphane Bergmans a rencontré via Anthony Rey, le producteur de la série (Hélicotronc).
« C’était au moment de l’appel à projets. Lorsqu’ils ont su qu’ils étaient retenus, ils m’ont demandé de faire la musique de leur pilote de 10 minutes. Ils ont beaucoup aimé ce que j’avais fait et m’ont pris en tant que compositeur pour la suite. »
Ce lundi le Festival Are You Series se penche sur la place de la musique dans les séries avec Eloi Ragot en tant que guide, qui songe déjà à la saison 2 de La Trêve en tournage au printemps…
Comme souvent, le succès a attiré d’autres regards sur son travail, c’est ainsi qu’Eloi Ragot s’est ensuite penché sur le destin d’une des webséries de la RTBF. « Le réalisateur de Euh avait vu mon boulot sur « La Trêve » et il m’a contacté pour que j’accompagne les images de la saison 2. J’aimais beaucoup leur univers, j’ai accepté. »
Imaginer le son des lieux, des personnes
Ce lundi à 15h, son travail de compositeur sera au cœur de l’une des masterclasses proposées par le Festival « Are You Series » à Bozar. L’occasion pour le jeune multi-instrumentiste de revenir sur les étapes de son travail de composition.
« Je suis arrivé en fin d’écriture. Lorsque les scénaristes ont eu fini, ils m’ont envoyé les scriptes et on a commencé à réfléchir aux ambiances. Ils avaient des idées assez claires sur les couleurs qu’ils voulaient glisser dans la série mais ils m’ont laissé libre de mes choix. »
Avant même que la première image ne soit tournée, Eloi Ragot propose une dizaine de thèmes courts (1 à 2 minutes) que les scénaristes emportent avec eux sur le tournage. Un univers sonore est là, en germe, qui induit déjà le trouble, la fragilité, l’étrangeté.
« Parfois ce sont des scènes ou des personnages qui m’ont inspirés. Nos discussions portaient sur l’ambiance musicale de façon générale. Ils voulaient des musiques folks pour tout ce qui concernait le village, les habitants et puis des musiques plus sombres pour l’enquête, le meurtre. Je leur ai envoyé trois, quatre musiques folks auxquelles j’avais donné des noms de lieux, de décors : ‘la forêt’, ‘la rivière’. J’ai fait différents thèmes d’enquêtes et puis, il y avait une troisième couleur baptisée « chairness » qui concernait ces moments où il se passait quelque chose d’assez émotionnel entre plusieurs personnages. J’ai aussi proposé un thème pour Camille, la fille de l’inspecteur Peeters (photo ci-dessous), car je voulais exprimer sa fragilité. Cette musique-là est arrivée assez tôt, elle a été la base du thème principal pour Camille et a inspiré le thème final de la série. »
Cinq heures de musique pour « La Trêve »
On a beaucoup parlé du style visuel de « La Trêve » et de son empreinte sonore. La musique acquiert-elle ses lettres de noblesse avec les séries ?
« Tout dépend du format. On attend d’une musique de série qu’elle soit assez forte, qu’elle amène vraiment quelque chose alors que dans beaucoup de films on ne va pas vouloir de musique. Aujourd’hui, on ne conçoit pas de série sans musique, il y a donc vraiment la volonté d’impliquer le compositeur plus que dans le documentaire ou au cinéma. »
Chaque format a ses spécificités, précise Eloi Ragot. « C’est pour cela que j’aime travailler sur ces différents supports. Sur « La Trêve » il y a une demi-heure de musique par épisode, ce qui fait 5 heures en tout. Cela ne veut pas dire cinq heures tout à fait différentes car il y a des thèmes complémentaires (variations) ou qui reviennent (jamais de façon totalement identique). C’est très enrichissant d’écrire pour un format si long et d’avoir des musiques qui évoluent au fil des épisodes. Ce que j’aime dans le documentaire, c’est la partie recherche. J’ai appris beaucoup de choses en m’inspirant des thématiques sur lesquelles j’ai travaillé : le lieu, l’Histoire,… Par exemple, dans un documentaire sur le travail des enfants dans les champs de coton en Ouzbékistan, en tentant de comprendre les enjeux du reportage. En se laissant ou non influencer par la musique du lieu, en fonction des désirs du réalisateur… »
Créer une harmonie grâce à la bande son
Une grande partie du travail de composition a lieu lors de la post-production. L’idée est de proposer une musique qui aide à relier les épisodes entre eux et permet de créer une harmonie d’ensemble, qui souligne ou crée des atmosphères.
« On avait une semaine pour finaliser chaque épisode de ‘La Trêve’, on a fait cela pendant deux mois et demi, un épisode après l’autre. Cela représentait un boulot monstre. Ce rythme endiablé est propre aux séries et au planning de la production. J’ai l’impression qu’on se dirige vers le même type de planning pour la saison 2. Mais je me réjouis car c’est excitant de faire partie de l’équipe et d’écrire autant de musique. »
Comme une bonne partie du public, Eloi Ragot attend la saison 2 de La Trêve avec impatience. « Ils sont encore occupés à l’écrire mais le tournage est prévu pour le printemps. J’espère avoir les scénarios le plus tôt possible, ce sera une bonne base. En préparant la masterclass avec Stéphane Bergmans, l’un des trois cocréateurs, on a parlé de la saison 2 et j’en sais un peu plus sur l’histoire. On va reprendre quelques éléments musicaux de la saison 1, car l’histoire se poursuit, mais il y aura aussi beaucoup de nouveautés. »
Bio – Entre partitions et images: l’alchimie d’une passion
Piano, guitare puis trompette, Eloi Ragot jongle avec les instruments qu’il a d’abord apprivoisés en autodidacte, avant de s’inscrire au Conservatoire de Troyes. Même s’il s’en défendait, il a très tôt eu envie de vivre de sa vraie passion, mais il a prudemment mené ses études d’ingénieur en physique chimie jusqu’à leur terme afin d’assurer ses arrières. Pendant trois ans, Eloi Ragot commence donc par jouer en dehors de ses heures de travail avant de les diminuer progressivement (passant à mi-temps) afin de s’offrir de l’espace pour jouer et composer.
Sa première rencontre avec l’univers de la composition remonte à un séjour d’échange aux Etats-Unis où une copine, réalisatrice australienne, lui propose de composer la musique de son court métrage. Eloi Ragot ressort convaincu par cette expérience qui rassemble ses deux passions : la musique et le cinéma. A son retour, il s’installe à Berlin et contacte divers jeunes réalisateurs et leur propose ses services. C’est comme cela qu’il finit par se faire remarquer par des producteurs et par passer à des projets de moyens et de longs métrages.
A l’image. Après s’être illustré dans un groupe de rock, puis dans un big band de jazz, c’est un autre chemin qui s’ouvre devant Eloi Ragot : celui de compositeur ou de réalisateur de « musique à l’image » : musique pour jeux vidéo, pour livres audio, pour des films ou des documentaires… Cela fait 4 ans qu’Eloi Ragot se consacre à la musique à temps plein et trois ans qu’il s’est installé en Belgique.
Entretien: Karin Tshidimba
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