Qui a dit que regarder des séries était une activité passive ?
Féministes, activistes, engagées, de plus en plus de séries ne se contentent plus de coller à la réalité, elles s’en emparent pour la défendre, la revendiquer ou la modeler à leur image. A travers leurs personnages, ce sont les normes de notre société qui sont questionnées et les mentalités qui sont appelées à changer.
Si sexe et violence sont deux ingrédients quasiment incontournables des séries d’aujourd’hui, certaines scènes ne se veulent pas gratuites ou « décoratives ». Dans le cas des ébats, elles luttent même contre l’ignorance dans laquelle la société tient la majorité des individus concernant les spécificités du sexe féminin. Rappelant à quel point le discours sur ce sujet est hétéronormé et surtout étroitement encadré par les notions de bienséance et de patriarcat.
Passant outre tout ce qui « ne se dit pas » ou « ne se fait pas », Iris Brey, spécialiste des questions de genre au cinéma et dans les séries, détaille dans son ouvrage justement intitulé «Sex and the series» les nombreuses avancées sur le sujet permises par la fiction et soulignées dans des études féministes, américaines pour la plupart. Qu’il s’agisse de relations majoritaires (considérées dès lors comme licites) ou pas. Elle démontre à quel point les séries permettent, aussi, de combattre l’ignorance et les préjugés.
Citant en exemple des séries récentes comme Grey’s Anatomy, Orange is the new black et Masters of sex (photo) ou, au contraire, plus anciennes, comme Desperates Housewives et Sex and the city, Iris Brey rappelle à quel point les tabous multiples sont des enjeux de scénarisation permettant aux créateurs d’aider les téléspectateurs à rire de leur propre méprise ou ignorance et de s’éduquer dans le même temps. Que les personnages se prénomment Bree (Desperate Housewives) ou Bill et Virginia (Masters of sex) leurs découvertes sont aussi celles d’une partie de l’auditoire masculin et féminin.
Dans un domaine où l’ignorance, les tabous et les peurs sont légion, le livre, comme les séries dont il parle, joue un rôle de guide en mettant tranquillement des mots précis et reconnus sur des réalités physiques et physiologiques scientifiquement établies afin de stopper l’ignorance et la stigmatisation communément répandues.
Iris Brey amène ainsi une distinction précieuse entre scènes racoleuses et significatives, celles où il est juste question de montrer des performances censées émoustiller le téléspectateur (masculin) ou, au contraire, d’amener le public vers une connaissance plus fine et moins caricaturale de la sexualité féminine. Celle-ci restant l’un des grands tabous de notre société. « Cette dimension éducative explique en grande partie la place que les séries ont prise dans la culture populaire aujourd’hui », souligne Iris Brey.
Détaillé, étayée, circonstanciée, l’analyse de l’auteure franco-américaine éclaire tout un pan de la création contemporaine avec sérieux mais sans prise de tête, là où certains s’attendaient peut-être à ce que la question soit traitée, une fois encore, à la légère.
En consacrant tout un chapitre aux violences exprimées ou subies notamment par les femmes, Iris Brey, également docteure en cinéma, démontre que le sujet est loin d’être anodin et que ces violences restent monnaie courante. Surtout dans une société où la norme (masculine, blanche, hétérosexuelle) reste étroitement définie…
Entre les séries policières qui confèrent le plus souvent aux femmes le statut exclusif de victimes et les séries feuilletonnantes plus récentes, le focus a changé. Il s’agit de coller à la réalité statistique et de ne plus envisager seulement des inconnus tapis dans l’ombre, mais des proches, collègues, voisins, internautes qui, pour des raisons de pouvoir ou de domination passent soudainement à l’acte, physiquement ou verbalement. Que ce soit dans House of cards, The Americans, Jessica Jones ou Mad Men, le point de vue de la personne agressée est enfin pris en compte.
Accompagnant l’évolution télévisuelle, le livre souligne à quel point les stéréotypes de genre et d’origines sont déjoués dans des séries comme Scandal, The Good Wife ou Transparent avec la montée en puissance d’un certain nombre de scénaristes, créatrices et productrices à Hollywood.
Et il confirme l’impact de personnages comme Buffy, Kalinda, Virginia ou Big Boo pour changer les mentalités. Une lecture à recommander.
KT
« Sex and the series. Sexualités féminines, une révolution télévisuelle », Soap Editions, 240 pp., environ19 €
nb: la saison 4 de Masters of sex est en cours de diffusion sur BeTV; la saison 4 d’Orange is the new black est dispo depuis vendredi sur Netflix.
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