De retour dans les champs, le documentariste français oscarisé dévoile la face sombre du travail des lobbies face aux agriculteurs, puisant dans le réel les éléments de ses fictions. A voir sur arte.tv et en janvier sur Arte.

C’est une série qui vous laisse par moments atterré et sans voix face à la gravité de ce qu’elle dénonce et qui soulève un tas de questions auxquelles le téléspectateur n’est pas forcément préparé. La saison 1, qui abordait le problème des pesticides, était déjà cinglante. Mais celle-ci, qui porte sur le scandale du lait contaminé, risque de secouer encore plus l’opinion publique. D’autant que sa très grande proximité avec la réalité des dernières crises sanitaires enregistrées en France n’échappera à personne. A la fois scénariste et réalisateur de ce thriller politique plus vrai que nature, Jean-Xavier de Lestrade s’est d’ailleurs « préparé à la violence de certaines réactions ».

L’homme, il faut le dire, est un spécialiste des longues enquêtes et des documentaires qui dérangent. Qu’il s’agisse d’Un coupable idéal (2001), son film oscarisé ou de Soupçons: la dernière chance qui avait largement fait parler de lui outre-Atlantique. Passé à la fiction avec succès en 2014, Jean-Xavier de Lestrade s’est emparé de sujets sociétaux tout aussi forts, en lien direct avec la protection de l’enfance: 3 x Manon et sa suite Manon 20 ans (en 2017) ou, plus récemment, Laëtitia (2020) sur un fait-divers tragique. Trois mini-séries qui ont durablement marqué les rétines et les esprits.

Entre le champ et l’assemblée

En retournant au chevet de l’agriculture française, Jean-Xavier de Lestrade semble rendre un double hommage à ses origines. Celles de son père et de son grand-père, qui tenaient une ferme où il a grandi et celles de ses grands-parents réfugiés espagnols républicains, arrivés en France en 1939. «L’engagement politique personnel a parfois des conséquences graves qui peuvent modifier le cours d’une vie», souligne-t-il. Au risque de peiner les premiers, qui «ont cru, comme beaucoup d’agriculteurs à l’époque, au progrès scientifique sans précédent que représentaient les engrais et les pesticides». Tout en rendant infiniment fiers les seconds. Comme si sa place était forcément située entre les champs et l’assemblée, à égale distance entre les tracteurs et le perchoir. Un rôle de lanceur d’alerte qui renvoie à celui tenu par Alix Poisson dans sa fiction Jeux d’influence.

Guidés par des sommes folles

La fiction permet de toucher le cœur du téléspectateur là où les chiffres restent souvent abstraits, rappelle-t-il. «Il y a trop de scandales dont on entend parler sans y prêter réellement attention. Un problème dans un élevage peut cacher des dérives bien plus graves. Les sommes en jeu dans le secteur de l’agroalimentaire sont tellement colossales qu’elles occasionnent forcément des dérives.»

Ces comportements irresponsables sont pourtant rendus possibles par notre propre laisser-faire ou l’absence de mémoire de l’opinion publique, rappelle la fiction. «On oublie vite les scandales. Qui se souvient de la salmonelle ou de la vache folle ?» ironise le personnage de lobbyiste Mathieu Bowman. La course aux coûts les plus bas et au plus grand profit a un prix, qui pourrait bien être celui de notre santé…
Karin Tshidimba
nb: La saison 1 et la saison 2 sont disponibles pour six mois sur le site Arte.tv