L’acteur belge est à l’affiche d’Hippocrate, l’excellente série créée par Thomas Lilti. La saison 2 colle à la réalité de la crise hospitalière de façon magistrale, sans jamais laisser de côté son âme, ses personnages. À voir samedi, à 20h30 ou lundi à 19h35 sur Be Séries. Bouli Lanners nous parle aussi de son goût pour les séries.

« Je connaissais le travail de Thomas Lilti au cinéma mais ce qui a été déterminant dans mon choix, c’est ma rencontre avec lui« , explique le comédien belge Bouli Lanners. « J’ai senti un type complètement investi dans sa mission, car c’en est une. Ce qui m’a rassuré – j’avais peur de rentrer dans le cliché des séries hospitalières – c’est qu’il m’a dit : tu restes comme tu es avec tes tatouages. Je me suis dit que c’était intéressant parce que cela voulait dire qu’on allait être hors code. » L’autre aspect d’Hippocrate qui lui a plu ? « J’ai lu les premiers scénarios et j’ai vu qu’on était dans une série assez revendicatrice par rapport à l’effondrement du système sanitaire en France. Tout ça m’a fait dire que c’était intéressant. »

Hippocrate est sa première expérience en série. « J’attendais d’avoir une belle proposition pour dire oui et elle est arrivée. Je ne regrette pas du tout, je suis très fier d’avoir fait cette série. »
Avant de commencer le tournage, il a regardé toute la saison 1 (8 épisodes). Et puis, ses discussions avec Louise Bourgoin (« On est dans la même agence »), Zacharie Chasseriaud (« Je l’ai rencontré quand il avait 14 ans sur Les Géants ») et Karim Leklou ont fait le reste. « Ils m’ont tous dit que cela allait être super… La rencontre avec Thomas Lilti, la matière à jouer et ses projets précédents ont fait que j’ai accepté. Plein de choses entrent en ligne de compte quand on a la chance de pouvoir faire des choix. »

La vision d’un homme pris au cœur de la tempête

Le personnage du Dr Brun s’est construit petit à petit « avec ce qu’on a travaillé sur le plateau, car beaucoup de choses s’écrivent sur le plateau. Thomas ne s’est pas beaucoup étendu sur sa personnalité. Il m’a juste expliqué ce que c’était qu’être chef des urgences dans une configuration comme celle-là, avec un hôpital en déficit et un service qui doit être déplacé. Le Dr Brun doit être ferme. Plus ça avançait, plus j’étais à l’aise dans mon personnage. Parce que j’étais le bleu, je débarquais au milieu d’une équipe très soudée qui avait vécu beaucoup d’événements en saison 1. Et le Dr Brun est directement envoyé au front. Sa pratique est proche de la médecine de guerre. C’est un homme très dur parce qu’il fait appliquer des protocoles qui permettent aux internes d’être protégés de la charge émotionnelle qu’ils sont amenés à vivre tous les jours. Les urgences, ce n’est pas anodin. »

Au début, Bouli Lanners confesse qu’il était « plus dans la retenue mais je m’étais bien préparé, j’avais bien intégré tout le jargon médical. Il fallait amener une forme d’urgence tout en étant très clair dans les instructions. Il y avait un gros stress de ma part, au départ et puis, je me suis senti de plus en plus à l’aise vis-à-vis de Brun et de ce qu’il est devenu. »
« Thomas trouvait le rythme trop rapide, au début, mais, au fil des jours, on a affiné les choses. On ne s’est pas planté dans la définition du personnage. Assez vite, on a été d’accord sur la voie à suivre. »

Son admiration face au capitaine du navire Hippocrate est réelle : « Thomas est auteur, réalisateur, producteur et médecin, il nous explique le jargon et la justesse des gestes techniques. Il maîtrise tout, et tout est d’une véracité extrême. On n’est vraiment pas dans une série américaine avec deux, trois réalisateurs et un staff de scénaristes dans une pièce. Ici, il y a un mec qui tient tout le truc. Je reste impressionné par son travail, c’est juste hallucinant. »

On avait la certitude faire une série essentielle

Le tournage, démarré en janvier, a été arrêté en mars 2020. « Juste au moment où on commençait à prendre nos marques… Cela a été dur d’appliquer un protocole Covid sur le plateau, à la reprise en plein été, dans des couloirs étroits et parfois remplis de figurants. On prenait régulièrement notre température, mais on sait bien que si on a de la température, c’est déjà trop tard. Ils tentaient d’aérer les décors mais avec les éclairages, tout était très compliqué. On mangeait séparément et, paradoxalement, tout cela a ressoudé les liens au sein de l’équipe parce qu’on était tous dans la même galère. »

Thomas Lilti a réécrit la fin de la saison en lien avec la pandémie. « C’est très rare d’avoir un lien aussi étroit à l’actualité. C’était troublant et en même temps, on avait la certitude de faire quelque chose d’essentiel, non seulement artistiquement, mais aussi parce que tout prenait un sens particulier. On était dans une aile désaffectée d’un hôpital réel, avec des membres du personnel qui étaient figurants dans certaines scènes. Ils nous apprenaient les gestes techniques et nous racontaient à quoi ils étaient confrontés. On était complément immergé dans la réalité. »

Une catastrophe hospitalière largement annoncée

Tout, dès le départ, parle de l’hôpital débordé et des soignants à bout de souffle soumis à un rythme délirant. C’est la chronique d’une catastrophe annoncée… « Complètement. C’est la force de cette série. En plus du discours politique et de coller à un réel problème de société et de santé publique, on suit l’évolution des personnages pour lesquels on a de l’empathie et c’est très prémonitoire de la part de Thomas. C’est cela qui est fort : on suit une narration, l’histoire de personnages et il y a un côté aussi très documentaire. Ce n’est pas uniquement pamphlétaire ou dénonciateur, on est porté par une histoire. C’est la grande force de cette série. Thomas a eu le nez fin mais il en parle depuis longtemps : c’est la mission de sa vie de dénoncer la précarité du système hospitalier en France. Et en Belgique aussi, avec les quelques spécificités propres à notre pays mais avec les mêmes constats à la base. On vit une crise sanitaire mais surtout hospitalière. C’est pour cela qu’on a dû mettre la société civile sous cloche : à cause du flux tendu dans les hôpitaux qu’on n’arrive pas à résoudre. À cause des coupures budgétaires et des mauvaises décisions prises au cours des vingt dernières années. C’est de cela que je parle chaque fois que je rencontre la presse. Je suis en contact étroit avec les hôpitaux puisque je parraine la Fondation Léon Fredericq qui soutient la recherche médicale au CHU de Liège. » Après une campagne de sensibilisation au don d’organes, une campagne de lutte contre l’obésité s’y prépare.

Zacharie Chasseriaud (Hugo Wagner), Alice Belaidi (Alyson Lévèque), Anne Consigny (Muriel Wagner)

Comment Bouli Lanners se retrouve-t-il aussi impliqué dans des campagnes dans les hôpitaux, lui qui est hypocondriaque ?
« Un gangster a inconsciemment plein de copains avocats car il se dit qu’il aura besoin d’eux un jour. Moi, inconsciemment, j’ai plein de copains médecins. (Il rit) Non, j’ai toujours été très intéressé par l’évolution de la médecine et toujours été fasciné par les hôpitaux et les médecins. Ma mère travaillait dans un hôpital. Je n’ai pas peur des urgences, ce sont les microbes qui me font peur ! Il aurait fallu mettre à la place de Maggie De Block, un ministre de la Santé hypocondriaque parce que moi j’anticipe tout hyper fort ! Dès le mois de décembre, je sentais qu’une épidémie allait venir, on pensait que ce serait H1-N1… Avant même que De Block ne minimise le truc. Il y a eu un défaut de prévoyance hallucinant ! Il ne faut plus mettre des gens en poste qui sont remplis de certitudes, il faut mettre des gens qui doutent, hypocondriaques. Avec moi, on aurait refinancé les hôpitaux depuis bien longtemps ! Si je fais une série comme celle-ci, c’est parce que cela me fascine, me permet d’exorciser et de comprendre. J’ai besoin de me battre pour que le système hospitalier aille le mieux possible puisque je suis hypocondriaque. »

Ce qui signifie qu’on pourrait le revoir dans une future saison d’Hippocrate ? « C’était tellement dur que je me disais que je ne ferais plus jamais cela, même Thomas s’est dit cela… Mais on a tous décidé que s’il y avait une saison 3 et que Thomas en prenait les commandes, on signerait. »

« On voit bien qu’il y a de plus en plus de scénarios intéressants de séries »

« Je suis hypocondriaque, mais cette série est un excellent remède, car on voit qu’on est pris en main par des gens qui aiment leur métier et qui ne savent faire que cela », nous précisait Bouli Lanners en présentant son personnage dans la série Hippocrate . « Il y a aussi le côté romanesque de la série qui est prétexte à un joli déploiement des sentiments humains. » Une raison de plus qui fait que le comédien belge se dit « grand amateur de séries ».

Karim Leklou (Arben Bascha), Alice Belaidi (Alyson Lévèque), Bellamine Abdelmalek (Lazare Pintao)

Pour lui, on assiste « clairement à un basculement dans la façon de consommer même le cinéma. Depuis longtemps, le cinéma est un peu délaissé au profit des séries et les plateformes prennent de plus en plus d’importance. À partir de Roma (le film d’Alfonso Cuaron, NdlR), il y a eu un vrai changement. Lorsque Netflix s’est mis à produire des films qui ne sortaient même plus en salles mais étaient quand même sélectionnés dans des festivals comme Cannes, ça a été le signe du glissement de terrain qui s’annonce ». Un processus renforcé par le confinement. « En tant que comédien, on voit bien qu’il y a de plus en plus de scénarios intéressants de séries qui arrivent. Inévitablement, on sait qu’on va être amenés à jouer dans une série. Le tout est d’en avoir une bonne… Jusqu’ici les meilleures étaient plutôt américaines et anglaises, mais les choses évoluent. »

La toute première série qui l’a « scotché », c’était Deadwood, « et ça reste tout bon. L’âge d’or, pour moi, c’est The Wire et Six Feet under, c’était le top et puis, plus récemment, il y a eu Happy Valley et Top of the Lake. J’ai aussi beaucoup aimé les deux premières saisons de Fargo et de Peaky Blinders ; la série danoise The Bridge aussi, pas la version américaine. Et puis, il y a Boardwalk Empire sur la prohibition que j’ai adorée. Quelques séries étaient bluffantes au départ et puis j’ai décroché : Breaking Bad ou Sons of anarchy, qui s’essouffle très vite. J’ai beaucoup aimé les deux premières saisons de The Walking Dead, par exemple, mais après… Il y a beaucoup de séries où on sent que les types tirent sur la ficelle. C’est pour cela que j’aime les séries courtes comme Top of the Lake et True Detective aussi, ce sont des super formats. Ah, j’ai vu Versailles et Game of Thrones aussi. J’aimerais beaucoup tourner dans une série en costumes ou un film d’époque, d’ailleurs ». L’appel est lancé…

Entretien: Karin Tshidimba