Depuis le 12 septembre Alain Brunard est sur le pont, en mode combattant. Il dispose de 70 jours pour réaliser les 10 épisodes de la nouvelle série belge eLegal qui explore les méandres de la Toile et les dessous de la lutte contre la cyber-criminalité à travers le quotidien d’un cabinet d’avocats spécialisés (cf. note précédente).
« Sept jours pour réaliser un épisode d’une heure, ça veut dire que les journées sont longues et qu’on n’a pas vraiment l’occasion d’explorer les choses. Il faut être très clair, dès le début, dans le rapport que l’on avec les comédiens et avec l’équipe. Il faut qu’ils sentent où on va parce que très vite, cela peut partir dans tous les sens. Exemple dans une scène de procès où il faut gérer beaucoup d’intervenants, d’éléments de procès et de jeux de regards entre les comédiens…” explique Alain Brunard (au centre sur la photo).
Le réalisateur belge connaît bien les séries pour en avoir réalisé quelques-unes au gré des épisodes (RIS, police scientifique) ou dans leur intégralité (A tort ou à raison) sans oublier les fictions dont il était aussi le scénariste (Pasteur, l’homme qui a vu; Marie Curie, une femme sur le front).
Alors que le tournage reprend ce lundi jusqu’au 23 décembre, le réalisateur nous parle du nouveau vent de créativité qui souffle sur les séries belges.
Pour tenir le cap, rien ne vaut une bonne préparation, souligne-t-il.
« On a fait quelques répétitions en amont avec les trois comédiens principaux et avec certains des guests principaux sur les différents épisodes. On a répété un certain nombre de scènes choisies mais on court quand même après le temps. Et puis, le texte bouge au fil des jours parce que les comédiens se sentent de plus en plus à l’aise et font des propositions. Un climat de confiance s’établit qui fait qu’il y a une évolution dans le travail. »
Choisir soigneusement acteurs et décors
Dans ce chaos apparent, Alain Brunard a une règle d’or: toujours travailler avec la même équipe.
« C’est important parce que des automatismes se créent. On se connaît bien, ils savent que j’aime bien anticiper donc tout le monde prépare deux ou trois plans à l’avance. Ce qui m’intéresse, c’est le travail avec les acteurs. »
Selon lui, deux ingrédients font les séries réussies. « D’une part, le repérage, les bons décors. C’est capital surtout dans une série qui bénéficie de peu de moyens. Trouver des décors qui correspondent aux personnages, qui sont vraiment incarnés. Parce qu’on n’a pas d’argent pour redécorer. Si les décors ressemblent à l’histoire qu’on raconte, c’est déjà ça de gagné. »
D’où le choix des musées royaux d’Art et d’Histoire dont l’escalier extérieur ressemble à s’y méprendre à celui d’un Palais de Justice. Un choix qui se révèle bien plus pratique (question sécurité) que le mastodonte de la place Poelaert et bien moins onéreux que certains bâtiments communaux dont les prix ont bizarrement augmenté de 300 % en très peu de temps. La faute au succès récent des séries belges, La Trêve et Ennemi Public ?
« Au-delà du décor, ce qui compte, c’est avant tout le choix des acteurs car, là non plus, il ne faut pas se tromper. Parfois, vous avez des comédiens qui sont meilleurs en impro que lorsqu’ils ont des kilomètres de texte à ingurgiter. Et, pour certains, c’est très compliqué car je n’ai pas le temps de faire 10 prises. Donc, il faut qu’ils connaissent leur texte au cordeau. Cela leur permet de s’en détacher et de partir sur de l’improvisation pour obtenir quelque chose de “vrai” à l’écran. On ne peut pas se permettre d’improviser sur des termes judiciaires, en revanche. » Raison pour laquelle une juriste a révisé tous les textes d’eLegal, afin de s’assurer de leur crédibilité.
« Sur A tort ou à raison, la demande était de faire une série classique. Je n’en étais pas l’auteur donc j’ai fait ce qu’on me demandait. Ici, j’ai choisi les comédiens, c’est très différent. Même si c’est plus serré financièrement, je fais vraiment ce que je veux. Je ne crache pas dans la soupe parce qu’A tort ou à raison était super et cela a installé la série belge auprès du public. Mais je pense que j’aurai un regard un peu différent sur le résultat, cette fois. Je serai sans doute plus satisfait de mon travail. »
Les chaînes françaises ont peur
Pour Alain Brunard, « Matthieu Donck a vraiment ouvert la voie. Si La Trêve n’avait pas été un succès, on continuerait à être cadenassé par les chaînes. C’est tout à l’honneur de la RTBF d’avoir fait confiance. Matthieu avait sans doute la personnalité qui fait qu’on l’a laissé faire mais cela a ouvert une brèche. Aujourd’hui, ils se rendent compte qu’en laissant vraiment travailler les gens sur le terrain, on obtient de meilleurs résultats. Cette liberté-là, ils nous la laissent et c’est ce qui va tout changer, j’en suis sûr. Quand les chaînes françaises décident d’acheter La Trêve et Ennemi Public c’est parce qu’elles se rendent compte de cette différence. »
Pour avancer cela, Alain Brunard se base sur ses expériences passées en France avec les fictions « Pasteur », « Marie Curie », etc. « Je connais bien les chaînes françaises, on y est cadenassé. Ils nous disent ce qu’on doit faire, parce qu’ils ont peur, en fait. Une scène comme celle de tout à l’heure, ils seraient venus me dire : ça ne va pas du tout, il faut qu’on voie les acteurs de face. Et c’est ça qui fait que certaines séries manquent de personnalité. »
Le réalisateur pointe une recherche constante de souligner les évidences.
« Ce qui est extraordinaire pour cette série, c’est qu’on vous laisse une vraie liberté de mise en scène, ce qui n’est pas souvent le cas à la télévision. Ici, j’essaie de mettre les personnages en situation et que ces situations ne soient pas simplement de la démonstration. Soit vous avez un point de vue sur la mise en scène et vous savez ce que vous voulez. C’est le cas de Matthieu Donck sur La Trêve, très clairement. Soit vous tournez tous les plans dans tous les sens et vous ne décidez qu’au montage. Lorsqu’on sait ce qu’on veut, forcément on gagne du temps. »
Ne pas niveler par le bas
Cette façon qu’ont les chaînes d’assurer sans cesse leurs arrières, exaspère profondément le réalisateur. « Tout ça parce qu’ils disent qu’ils connaissent leur public. Quelle prétention… Et souvent, on prend les gens pour beaucoup plus idiots qu’ils ne le sont. Ça me rend dingue. Pourtant, il suffit de voir ce que la BBC propose à 20h : des choses intelligentes et les gens regardent… Ça me rend dingue d’entendre qu’il faut niveler pas le bas sinon les gens décrochent. En France, si vous vous appelez Eric Rochant ou Mathieu Kassovitz (pour la série Le bureau des légendes, NdlR) ou si vous travaillez avec Canal, alors là, oui, vous pouvez faire ce que vous voulez… Heureusement, conclut-il, l’étiquette belge est plutôt un label de qualité aujourd’hui. »
Entretien: Karin Tshidimba
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