La série belge Pandore revient mardi sur La Une et sur Auvio avec six nouveaux épisodes ancrés dans les mondes politique et judiciaire. Ses trois autrices retracent le processus de création de ces six nouveaux épisodes teintés de défis technologiques et de menaces pour la démocratie.
« Bravo Madame la Juge ! » À travers la multiplicité des rôles endossés au cinéma et en séries, Anne Coesens n’avait jamais connu une telle adhésion du public.
«Tellement de gens sont heureux que la série se passe à Bruxelles. Tellement de femmes sont reconnaissantes qu’on évoque ce type de combat.» Les remerciements évoquent la pugnacité de son personnage de juge d’instruction, Claire Delval, découverte en février 2022 dans la série politico-judiciaire Pandore.
«Je n’ai pas de souvenir de critiques négatives, ou alors je suis dans le déni», plaisante-t-elle. Et si quelques hommes politiques ont pu trouver certains éléments de la saison 1 «trop manichéens», elle ne s’en préoccupe pas davantage. « Leur avis, on s’en fiche… Et je ne m’attendais pas à une autre réaction de la part de certains… Ce n’est pas surprenant » confie la comédienne, également co-scénariste de ce thriller aux contours toujours plus psychologiques.
« On espérait que cette histoire ait un côté universel »
Le succès de Pandore dépasse largement les frontières de la Belgique. Preuve que les thématiques politiques et judiciaires abordées par la série belge préoccupent les citoyens.
Comme La Trêve et Ennemi Public avant elle, la série effectue un beau parcours à l’export. De quoi surprendre son trio de créatrices – Anne Coesens, Savina Dellicour et Vania Leturcq – face à la diversité des publics intéressés, tant en Europe du Nord et du Sud qu’au Canada ou aux Etats-Unis…
« Quand on fait un film, on suit vraiment toutes les étapes, on est au courant de tout. C’est très différent de faire une série car cela nous échappe un peu, détaille Vania Leturcq. Les gens nous ont appris que la série avait été vendue ou diffusée dans tel pays. Quelqu’un fait un commentaire Instagram, ou on reçoit un mail des Etats-Unis nous disant «je viens de regarder toute la série, c’était super» et on est surprises. En tout cas, je n’ai pas le sentiment d’avoir compris d’un coup, d’un seul que c’était un succès. Les gens nous disent «c’est super», mais c’est tout ce qu’on sait… »
« C’était une chouette surprise, poursuit Savina Dellicour. On espérait, évidemment, que cette histoire, même si elle est ancrée en Belgique, ait un côté universel. Quand on l’a écrite, on s’est effectivement inspirées de l’actualité internationale. »
« Pandore est la somme de ce que nous amenons toutes les trois sur la table »
En 2016, lorsque le trio commence à écrire la saison 1, Trump et le Brexit secouent la scène internationale. « On s’est demandé ce qui se passerait, si cela arrivait en Belgique. C’est assez chouette d’avoir la confirmation que ce problème de la course aux électeurs – qui fait que la politique semble, parfois, manquer de rigueur morale -, est quelque chose d’universel, malheureusement. » Et ressemble à une espèce de bataille de com’, comme le souligne la série. « C’est cela qui fait que, quand on en parle à l’étranger, les gens sont touchés. Même en France, la thématique leur a semblé hyper d’actualité, alors que la série était sortie beaucoup plus tard que chez nous. Les critiques, reçues l’année passée, disaient que le sujet était « au cœur de l’actualité », alors qu’on avait peur que la série ne soit plus tout à fait en phase. Mais elle l’était toujours, voire même plus : certaines choses qu’on avait écrites, qu’on ne jugeait pas tout à fait plausibles, se sont concrétisées entre-temps. C’est un phénomène qu’on a beaucoup constaté. On imaginait quelque chose et cela se produisait dans l’actualité peu de temps après…«
Un exemple, parmi tant d’autres ? La récupération d’un fait divers dramatique, en l’occurrence un viol, par une personnalité politique. « Cela a été le cas de Giorgia Meloni, en Italie… Et cela s’est passé deux ans après l’avoir décrit dans la série. »
La réception de la saison 1 et l’actualité ont en partie guidé l’écriture de la saison 2.
« On a eu le sentiment que ce qui avait fonctionné dans la saison 1, c’était de parler de choses qui nous touchaient, de plonger dans l’actualité, de s’imbiber de tout ce qui se passait, explique Vania Leturcq. On a fait la même chose pour la saison 2 : ne pas écrire pour les gens qui allaient voir la série, mais sur ce qui nous révolte, nous donne envie de passer autant de temps à écrire. On n’avait pas une idée claire de la saison 2 en terminant la 1. Chacune s’était dit : ça pourrait être ça et, finalement, ça n’a été aucun des sujets qu’on avait imaginé. Parce que c’est un travail collectif. Pandore est la somme de ce que nous amenons toutes les trois sur la table et de ce qui se crée quand on le digère ensemble. »
Mélanger l’actualité et le thème de la technologie, du hacking, du capitalisme de surveillance, reflétait les questions sociétales qu’on percevait autour de nous, précise Savina Dellicour.
Mais les trois autrices n’y sont pas arrivées d’emblée. « On a fait un brainstorming pendant 2-3 mois, on a réfléchi à plein de sujets, détaille Vania Leturcq. Je ne vais pas citer les choses qu’on n’a pas écrites, comme sur la saison 1, d’ailleurs. A un moment, on a senti qu’une histoire sortait du lot, elle nous réunissait et nous révoltait suffisamment. Et on se sentait capables de travailler sur le sujet. On se documente beaucoup pour Pandore, on rencontre beaucoup de gens et, parfois, la rencontre avec une personne s’avère déterminante. Les figures de lanceuses d’alertes interrogées nous ont tellement touchées – on ne va pas citer leur nom – que quelque chose est resté ancré en nous. On s’est dit qu’on avait envie d’aller vers cette thématique-là. »
« Ce courage des citoyens est hyper inspirant »
Trouver des contacts dans ce milieu n’était pas forcément évident…
« C’est là où le succès de la saison 1 a joué en notre faveur. Etonnamment, tous les gens qu’on a contactés avaient vu la saison 1 et étaient super positifs pour nous rencontrer. La saison 1 nous a vraiment ouvert des portes pour rencontrer des gens et imaginer la saison 2. »
« Pour un lanceur d’alerte, le fait que sa parole serve sa cause est très important, souligne Savina Dellicour. Parfois, ce sont des gens qui se «guérissent» par leur action. Même si on n’a évidemment pas repris une seule histoire telle qu’elle, ça a nourri nos réflexions sur les questions sociétales liées à la technologie. »
«Une rencontre avec une lanceuse d’alerte m’a vraiment marquée, confie Vania Leturcq. On était dans son salon avec ses filles vraiment petites, plus petites que mon fils. J’ai été secouée d’entendre tous les risques qu’elle avait pris, de voir dans quel état ça l’avait mise. Quand on lui a demandé : pourquoi fais-tu ça ? Pourquoi tu ne choisis pas juste le confort – tes deux gamines, ton couple, la tranquillité – elle nous a répondu : je préfère avoir pris le risque de perdre mon boulot et beaucoup d’autres choses, mais je ne peux pas offrir ce monde-là à mes filles. Ca m’a vraiment marquée que des gens soient encore mus par des vraies convictions et se disent : tant pis si je me casse les dents, tant pis si je souffre, parce que le tableau général – ce qu’on donne comme valeur au monde – est plus important que mon confort. C’est même devenu une réplique de Claire dans la série », souligne la scénariste.
« Ce courage-là, chez les citoyens, nous a hyper émues, poursuit Savina Dellicour. On cherche toujours un petit moteur : qu’est-ce qui va nous donner envie d’écrire et de tenir les délais. Ces moments-là sont très inspirants : des gens sont prêts à risquer leur sécurité pour dénoncer des choses injustes. C’est hyper rassurant.«
Entretien: Karin Tshidimba
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