ennemi public trio.jpgL’arrivée de Guy Béranger, criminel tristement célèbre, dans la petite abbaye de Vielsart déchaîne les passions de la population locale. L’inspectrice Chloé Muller (Stéphanie Blanchoud) est chargée de l’accompagner et d’assurer son «encadrement» durant sa période d’essai. L’idée divise aussi les moines qui se seraient bien passés de cette mauvaise publicité. Seul Frère Lucas (Clément Manuel) veut croire à une possible rédemption. Mais la disparition de la petite Noémie va mettre le feu aux poudres.

Le 3 avril dernier, Ennemi Public*** recevait le premier prix coup de coeur des MipDrama awards décerné au MipTV à Cannes, un prix qui soulignait l’audace de cette jeune équipe de scénaristes ayant choisi de s’inspirer d’un sujet on ne peut plus sensible en Belgique : la libération conditionnelle de Michelle Martin, complice et ex-femme de Marc Dutroux.

Transformée, l’histoire devient celle de Béranger (Angelo Bison), ex-tueur d’enfants qui, au terme de sa peine de prison, demande à être accueilli à l’abbaye de Vielsart en tant que novice. Fureur de la population qui ne veut pas voir l’ex-ennemi public s’installer sur ses terres et refuse de devenir le «village du monstre». Sur cette trame ultrasensible viennent s’ancrer les peurs et les fantasmes qui surgissent lorsque l’enfance semble menacée. Chaque personnage est appelé à se positionner face à ce qui apparaît comme le plus grand des défis.

La catharsis commence ce dimanche à 20h50 sur La Une mais aussi, parallèlement, en salle à l’UGC Toison d’Or (Bxl) dès 19h.

ennemi public ombre.jpgProximités thématiques (un meurtre, une population sous le choc), proximité toponymique (un village proche de la forêt ardennaise), proximité d’enjeu pour l’avenir de la région (un futur barrage dans La Trêve, une future brasserie d’abbaye à Vielsart). Les points de convergence entre La Trêve et Ennemi Public ne manquent pas. Si on ajoute à cela un duo de policiers entre ville et campagne (l’un vient de Bruxelles et l’autre appartient à la police locale) qui apprend à s’apprécier au fil de l’enquête et le fait que l’élément bruxellois de ce binôme est hanté par son passé, on pourra parler de cousinage à la mode québecoise entre les deux nouvelles séries belges.

Ces similitudes, propres à la tradition des récits policiers, en disent long sur le terreau qui a nourri cette nouvelle génération de créateurs de séries. Et prouvent que les deux projets, développés parallèlement, se font bien l’écho de préoccupations inscrites dans l’air du temps. Mais il ne faudrait pas s’arrêter à ce qui reste du domaine des influences (cinématographiques, sérielles) ou des coïncidences. Sur la forme et sur le fond, les deux séries sont en effet bien différentes.

L’une (La Trêve) a imposé un univers trouble et un récit volontiers onirique alors que l’autre (Ennemi Public) s’ancre dans le réel pour s’attacher à l’éventail des réactions et questions possibles face à une situation de crise exceptionnelle.

ennemi public 1.jpgMarqués par le traumatisme de l’affaire Dutroux, les scénaristes d’Ennemi Public s’attachent au sentiment viscéral de peur et de haine qui guide les individus confrontés à cette violence extrême qu’est le meurtre d’un enfant. Placé dans un contexte différent et face à un tueur spécifique (Béranger), le public est amené à s’interroger sur les répercussions de ce type de drame. Sur l’atmosphère de psychose qu’il engendre.

Parce qu’il s’agit de fiction, les enjeux se déplacent rapidement ailleurs. Chacun tentant de mener sa barque au mieux et de tirer son épingle du jeu. L’intérêt de la série, par sa durée, est qu’elle permet d’embrasser de multiples points de vue. Au-delà de la peur et de la haine, Ennemi Public explore la fascination, l’ambition, l’orgueil, mais aussi les sombres petits calculs politiques et médiatiques.

Sa narration plus classique et moins tourmentée sert bien cet objectif et devrait plaire à la part plus traditionnelle du public de La Une. Surtout dans un contexte qui reste sensible en Belgique. La trame progresse de rebondissement en rebondissement mais elle doit toute sa force à la qualité de ses interprètes. Angelo Bison, en tête, est un extraordinaire Béranger. Inquiétant et habité, l’acteur, primé lors du récent Festival Séries Mania, ouvre un formidable territoire de jeu à ses nombreux compagnons, qu’ils viennent des scènes ou du cinéma belges : Philippe Jeusette, Laura Sépul, Michel Israel, Daniel Hanssens, Jean-Claude Dubiez,…

En France, on reproche souvent aux séries, contrairement à la veine scandinave ou anglo-saxonne, de ne rien raconter des enjeux de la société dans laquelle elles voient le jour. C’est cette pertinence-là, cette capacité à traduire les angoisses, les espoirs et les desseins d’une société donnée que le jury cannois (composé d’acheteurs et de diffuseurs européens) a tenu à souligner.

Il est frappant de constater que les trois séries belges (à nouveau) primées le week-end dernier au festival Séries Mania à Paris – La Trêve, Ennemi Public et la flamande Beau Séjour (VRT) donc – évoquent toutes les trois des drames au cours desquels des enfants ou des jeunes gens sont assassinés. On peut y voir l’indéniable influence du polar nordique – qu’il soit littéraire ou sériel -, mais aussi celle des multiples faits divers qui ont alimenté les chagrins des Belges.
Ces trois séries à leur manière, métaphorique ou au contraire très réelle, en sont le reflet intime, comme un terreau que les scénaristes oseraient enfin assumer.

Coproduite par Playtime Films, Entre chien et Loup & la RTBF, Ennemi Public est l’oeuvre de 5 scénaristes: Antoine Bours, Fred Castadot, Gilles de Voghel, Matthieu Frances et Christopher Yates. Elle a été réalisée par Matthieu Frances et Gary Seghers.
La note sur la visite de tournage se trouve ici

Karin Tshidimba