Ce samedi à 20h30, la formidable série française Hippocrate*** arrive sur Be TV. Réalisée et coscénarisée par Thomas Lilti, ancien médecin, elle est notamment portée par la comédienne Louise Bourgouin et s’intéresse aux liens tissés entre les soignants et les soignés.
La médecine et le cinéma ont toujours coexisté dans la vie de Thomas Lilti. « Quand j’ai débuté mes études de médecine, je m’y suis consacré pleinement car il y avait un concours difficile à présenter à la fin de la première année mais ensuite, j’ai mené les deux activités en parallèle. Au fil des années, la part du cinéma a augmenté jusqu’à ce que les deux activités soient à part égales. » Des études qui lui semblaient « intéressantes et cohérentes » par rapport à son parcours et à sa personnalité, un métier qu’il a exercé jusqu’à la fin 2014. « Aujourd’hui, je me consacre totalement au cinéma. »
Si on excepte son premier long métrage, Les yeux bandés, un polar, très vite, la médecine est revenue au centre de son activité de cinéaste.
« Mon premier film n’avait pas marché ; je me suis dit qu’il fallait que je parle de choses que je connaissais bien et dont je pouvais témoigner. Je me suis rendu compte que l’hôpital était un terrain de puissance d’histoires et de romanesque formidable parce qu’à travers le soin, on est au contact de la vie et de la mort. Impossible de passer à côté de toute cette matière. En plus, cela faisait partie de ma vie. Cela me rendait singulier par rapport aux autres jeunes gens. »
Le cinéma, Thomas Lilti l’a appris en autodidacte avec une caméra super 8. « J’ai fait mes premiers courts métrages, je suis allé dans des festivals, puis j’ai rencontré des producteurs et j’ai réalisé des courts métrages professionnels avant de faire mon premier long métrage. Un parcours semblable à celui de nombreux jeunes cinéastes, en fait. »
Quel a été le déclic pour entamer vos études de médecine ?
Mon père est médecin, ça a été le premier déclic. J’avais 17 ans et je me suis dit : si je fais comme lui, il ne pourra pas me juger, je n’aurai plus rien à prouver. C’était un leurre, bien sûr. J’ai aussi fait ce choix à cause de copains qui s’inscrivaient en médecine, ce qui n’est pas forcément la meilleure raison. Je ne me sentais pas armé pour des études d’ingénieur et j’avais envie d’apprendre un métier. J’ai pris conscience avec le temps que je suis très artisanal, j’aime l’idée de fabriquer, de passer par du concret. En médecine, même s’il y a beaucoup de savoirs théoriques, c’est au service d’un métier qu’on est en train d’apprendre, de gestes à poser.
Un métier dans lequel la relation humaine prime…
C’est indispensable. Je défends vraiment l’idée qu’il y a un échange entre soignants et soignés. C’est parce que les soignants rencontrent ces malades-là qu’ils changent profondément. Si on ne recevait rien en échange, on ne pourrait pas supporter tout cela. Une fiche de paie ne suffirait pas.
Vous avez beaucoup regardé la série « Urgences » pendant vos études. Le fait de comparer réalités américaine et française vous a-t-il influencé ?
Il y a tellement de références américaines impressionnantes que la question est comment s’en démarquer ? La seule série hospitalière en France, c’était H, une sitcom avec Jamel Debbouze mais ça n’avait rien à voir avec ce que je voulais faire. La pire erreur aurait été de vouloir faire comme les Américains, qui ont utilisé l’hôpital comme terrain de jeu pour raconter des histoires policières, d’amour ou d’action. Il fallait utiliser notre particularisme : raconter l’hôpital en France, c’est raconter la société. J’y crois profondément.
Par le regard de ces jeunes médecins, je raconte le monde dans lequel on vit. Cette dimension sociale et politique est au service du divertissement. Le divertissement pur, je ne sais pas faire; faire une série à thèse pour marteler un message, cela ne m’intéresse pas non plus. Ce qui m’intéresse c’est comment la plongée ultra réaliste dans l’hôpital permet de rendre crédible et romanesque ce dont j’ai envie de parler : l’engagement du métier de médecin et ce que c’est d’être jeune dans la mission qu’on s’est fixée. Parler de ces sentiments qu’on éprouve : la mort, la culpabilité, la légitimité, l’impunité quand on n’est pas puni pour une faute qu’on a commise, le sens du collectif, le dévouement, le sacrifice, etc. Des sentiments qu’on partage tous mais qui sont décuplés par l’urgence.
Des sentiments d’autant plus forts que l’hôpital est en crise en Belgique et en France…
Oui. Cela nous parle tous le fait de ne pas avoir les armes et d’être jeté dans le grand bain sans être sûr de savoir nager. Ce que ça raconte sur la jeunesse, sur l’apprentissage et les conditions de travail… Pourquoi on leur fait porter des choses aussi douloureuses, pourquoi on ne les prépare pas mieux.
Dans l’équipe de scénaristes, vous apportez toute la dimension médicale
Oui mais des idées sont venues des trois autres auteurs aussi: via des expériences personnelles, des témoignages de médecins et de malades. Mon rôle était de faire en sorte que ce soit réaliste, à la fois romanesque et vraisemblable.
Comment avez-vous défini les quatre personnages principaux ?
Je voulais vraiment montrer des personnages féminins mus par des motivations professionnelles et pas par des motivations sentimentales. Je voulais mieux coller à la réalité : la moitié des médecins sont des femmes. C’est mon cinquième grand projet, mais ma première série, c’est aussi mon devoir de metteur en scène de montrer cette réalité-là.
Ça a été un long parcours pour trouver les bons acteurs. Tous les quatre sont caractérisés de façon assez évidente : Alyson est dans un parcours d’émancipation; Hugo est le fils de, il a donc une aisance mais pas forcément les compétences ; Arben, c’est l’étranger, il est à la fois fort mais il n’est pas considéré et puis, il y a Chloé (Louise Bourgoin, NdlR) qui croit que pour être médecin, il faut être une super héroïne : tout faire, tout maîtriser, en faire toujours plus. Ce sont ces quatre piliers qui m’ont permis de construire l’intrigue. Une série, ce sont avant tout des personnages : il faut qu’on pressente ce qui pourrait leur arriver et qu’on s’inquiète pour eux. Si on a ça, c’est gagné. C’est la grande différence avec le cinéma.
Quel personnage est le plus proche de vous ?
Les quatre personnages me ressemblent, je me suis beaucoup projeté sur eux pendant le tournage, inconsciemment, il y a un peu de moi dans chacun. Il fallait trouver le bon quatuor : ni redondant, ni discordant. Je vois que c’est le cas parce qu’ils ont créé des liens très forts. Je sais que je ne me suis pas trompé : chacun a vraiment rencontré son personnage. Particulièrement Louise Bourgouin, il y a une rencontre évidente avec le personnage de Chloé.
Vous êtes à la fois réalisateur et scénariste, comment se passe le travail sur le tournage ?
Je ne fais pas de répétitions, juste des lectures pour être d’accord sur le texte, se connaître et se rassurer. Je travaille énormément sur le plateau, je réécris beaucoup. Le plateau n’est pas un lieu d’enregistrement mais un lieu de recherche, de travail et d’échange. C’est sur le plateau que les choses se mettent à exister. C’est ma façon de travailler.
Il y a une volonté de réalisme dans les décors aussi: on voit le manque de moyens, le manque de personnel.
Je voulais reprendre l’esprit du film Hippocrate sorti en 2014. Les gens connaissent l’hôpital, arrêtons de tricher. Canal a été d’accord d’emblée d’autant que j’ai gardé la même ligne que dans mon film.
Je n’ai pas forcément réfléchi à la saison 2 mais faire une série, c’est accepter l’idée que les personnages ne m’appartiennent plus, qu’ils ont leur vie propre à travers le public et les acteurs. Il me semble normal de continuer à les faire exister, c’est le principe de la série.
Pourquoi faire une série plutôt qu’un autre film ?
J’avais envie de retourner à l’hôpital et la série permet de raconter un milieu, ce que j’aime faire. L’histoire est au service des personnages plus encore qu’au cinéma. Je ne pense qu’à ça : il ne faut pas laisser ces personnages sans aventures à vivre. L’écriture est en cours… Mon objectif ? Un tournage à la mi 2019 pour une diffusion le plus vite possible en 2020.
Entretien: Karin Tshidimba
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