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Un frère et une sœur se confrontent à leur enfance traumatique marquée par l’emprise d’une mère abusive devenue catholique fanatique. Le duo de créateurs espagnols Los Javis nous entraîne dans une fresque familiale formant un véritable tourbillon émotionnel. A découvrir sur Arte dès le 15 novembre.

A travers toute l’Espagne, on ne parle que de cela : cette vidéo kitsch montrant un groupe de jeunes filles chantant des chansons religieuses étranges. Mais Enric et Irène ne partagent pas la stupeur ou l’hilarité générale, car cette vidéo réveille chez eux des souvenirs d’enfance particulièrement douloureux. Leur mère, totalement instable et excessive, souvent maltraitante, à force d’être constamment brutalisée par les hommes de sa vie, a fini par se persuader avoir été investie d’une mission divine : maintenir ses enfants sur la voie céleste tout en guidant le plus grand nombre vers le Seigneur. Bien des années après avoir quitté son emprise, Enric et Irène se sentent pourtant toujours sous influence dans leur quotidien.

Déclinée sur trois décennies, des années 1990 à 2010, La Mesias retrace le quotidien de ce duo fraternel, de l’enfance troublée à un quotidien d’adultes sur le qui-vive. On entre dans cette série dense et intrigante à la suite d’Enric – campé à l’âge adulte par un Roger Casamajor, déchirant – qui tente de reconstituer le puzzle de son passé traumatique et de renouer avec sa sœur Irène (Macarena Garcia), sans savoir quelle partie de son histoire continue le plus à le hanter…

« La Mesias », la nouvelle série de « Los Javis », duo de créateurs espagnols, mêle thriller psychologique et tragédie familiale.

Au départ, le passage d’une décennie à l’autre ne s’effectue pas par la juxtaposition de longues séquences, mais par l’irruption de flashbacks, d’images dispersées et intenses comme lorsque la mémoire soudain se réveille, stimulée par un objet, un visage ou un son. L’immersion dans le passé devient ensuite plus durable à mesure que le basculement de leur mère s’accentue et que croît sa ferveur mystique.

Immature et fantasque, mais aussi déboussolée, leur mère Montserrat voulait «être aimée et devenir une star» comme Cindy Lauper ou Madonna. Sa rencontre avec Peppe, catholique illuminé tendance sectaire, la fait basculer dans une toute nouvelle quête de notoriété: la matriarche se croit désormais missionnée par Dieu pour répandre sa bonne parole en chansons. Ses vidéos, mettant en scène ses six filles, chorégraphies à l’appui, deviennent rapidement virales.

Groupes pop et vidéos virales

Inspirée de faits divers réels et de vidéos de groupes devenus célèbres en Espagne, La Mesias n’explore pas seulement la question de la religion intégriste, elle s’intéresse aussi à d’autres types de croyances, la région étant célèbre pour ses étranges manifestations célestes et ses observations d’ovnis.

« La Mesias », la nouvelle série de « Los Javis », duo de créateurs espagnols, mêle thriller psychologique et tragédie familiale.

Les trois comédiennes qui campent Montserrat aux différentes époques de sa vie – Ana Rujas, Lola Duenas et Carmen Machi – sont toutes les trois impressionnantes comme le reste des comédiennes et comédiens choisis pour interpréter ses enfants. L’ensemble est émotionnellement très fort et perturbant, même si l’humour éclaire par moments un quotidien halluciné et chaotique.

Une réalisation inventive, exubérante

Costumes, décors, chorégraphies et musiques contribuent à faire de cette série déclinée en sept chapitres d’un peu plus d’une heure, une œuvre unique mêlant thriller psychologique, tragédie familiale et hommage à la pop culture. Un pan d’histoire prouvant une fois de plus l’originalité et la créativité sans bornes du célèbre duo ibérique, Los Javis.

Cette histoire intense et dérangeante déploie un tourbillon émotionnel capturé avec force par Javier Ambrossi et Javier Calvo, alias « los Javis« . Héritiers revendiqués de Pedro Almodóvar, les créateurs stars en Espagne se sont d’abord fait connaître avec la comédie musicale La Llamada.

Cinéastes de talent et auteurs des séries Paquita Salas (visible sur Netflix) et Veneno (visible sur Prime Video), saluées par le public et la critique, Ambrossi et Calvo livrent ici leur oeuvre la plus ambitieuse: une fresque familiale poignante. Comme souvent la musique, qui est l’un de leurs signes distinctifs, y tient une place prépondérante.

Ils y développent leur ton anticonformiste et volontiers baroque comme le laisse présager le générique bariolé et débordant de dessins d’enfants. Bien loin des recettes ultra formatées, façon Casa de papel, cette proposition singulière transforme un drame familial puissant en récit singulier flirtant avec les limites de la science-fiction. Présentée au Festival Sundance, la série avait fait sensation lors du dernier Festival Séries Mania.

Karin Tshidimba