Dans la fiction, aussi, les stéréotypes ont la vie dure. Difficile de trouver une série qui, même pour vanter le côté brisé de ces héros, ne choisit pas de mettre en avant des physiques de rêve.
Cette dictature des corps «jeunes, grands et beaux», dénoncée notamment par Lena Dunham dans sa série Girls, n’est pas le seul écueil sur le chemin des créateurs et des créatrices.
Si nombre d’actrices sont d’anciens mannequins et continuent à être statistiquement plus jeunes que leurs collègues masculins, c’est parce que le spectre de la séduction et de la tentation (Castle, The Mentalist) n’est jamais loin et que nombre de séries sont produites par des hommes. Ainsi « l’idée demeure que même lorsqu’elles sont flics, elles restent femmes avant tout. » Un cliché, encore largement entretenu au début de ce troisième millénaire. Constat qui ressort des deux journées de réflexions organisées par le festival Séries Mania autour de la thématique de l’image des femmes dans les séries.
Quelle est la part prise par les héroïnes dans l’univers du polar, genre-roi en matière de séries? Mathieu Arbogast, doctorant, a fait les comptes. En 2010, sur les soirées des 4 principales chaînes françaises, les séries policières représentaient un quart des programmes diffusés, et sur l’ensemble des personnages policiers, 30% étaient des femmes. « Statistiquement, on est loin de la parité », note l’universitaire. Mais on est aussi loin de la réalité: à la fin des années 2000, seuls 14 à 15% des policiers sont des femmes. Il y a donc sur-représentation des femmes dans les séries policières…
On note cependant une évolution positive dans la représentation des corps des hommes et des femmes.
« On sort de l’époque des héroïnes décoratives. Aujourd’hui, elles ont enfin un point de vue, elles sont compétentes. Elles s’enlaidissent même ou font tout pour que leur image ne fasse plus barrage à l’intrigue. Ainsi Caroline Proust n’hésite pas à apparaître blafarde et les cheveux gras dans Engrenages, et Sarah Lancashire, l’héroïne de Happy Valley (photo), assume son âge et ses kilos en trop », a souligné Carole Desbarats, historienne du cinéma, qui s’est plongée depuis peu avec passion dans le monde des séries.
Il y a plus d’audace dans la représentation des femmes. En matière de femmes-flics, « on est passé de l’image de la compassion et de la douceur (années 70) à celle de l’efficacité et de la compétence. » La meilleure preuve réside, selon elle, du côté de la britannique The Fall. « Gillian Anderson y est froide et glaciale telle qu’Hitchcock aimait ses héroïnes; elle est forte et féministe. Ce mariage entre glamour et féminisme est étonnant. Elle fait des déclarations très claires à ce sujet dans la série où on la voit prendre chez les hommes ce dont elle a besoin et envie. »
La force de la série The Fall est de « donner à égalité le point de vue du chasseur et du chassé, une femme flic et le serial killer qu’elle poursuit. Et de montrer les forces et faiblesses de chacun. »
Iris Brey,journaliste à Cinemateaser et Soap, poursuit: « Hollywood est moins sexiste même si il y a encore beaucoup de travail. On n’y répertorie que 13,7% de femmes scénaristes. Il y a plus de femmes qui écrivent, se mettent en scène et produisent, mais il faut que cela continue, en France aussi. Les choses évoluent, tous genres confondus (policier, fantastique, drame). Mais il reste encore beaucoup d’images dégradantes des femmes et de scènes de nu là où les hommes ne le sont pratiquement jamais. »
A ses yeux, la série Transparent (projetée mardi soir à Séries Mania) constitue donc une « mini-révolution en soi: elle présente différentes possibilités d’identités et d’envies sexuelles, une sexualité plurielle destinée à dépasser la norme. C’est une dramédie, soit une comédie qui provoque beaucoup d’émotions », souligne-t-elle. Un domaine où la parité tarde encore à s’imposer.
KT, à Paris
nb: le trailer de The Fall était déjà dispo ici
mise à jour (23.12): TF1 planche sur un remake de la série britannique The Fall portée par Gillian Anderson (X-Files) et Jamie Dornan. La tâche a été confiée à la scénariste Virginie Brac (Engrenages). Celle-ci devra franciser cette fascinante histoire, réduire chaque épisode de dix minutes et ramener la saison de dix à huit épisodes. Vaste programme.
mise à jour (03.09.2016): TF1 prépare une adaptation de la série britannique The Fall. Emmanuelle Seigner et Melvil Poupaud y reprendront les rôles de Gillian Anderson (psychologue) et Jamie Dornan (tueur en série).
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