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Efficace et ultra-rodé, le remake US de la célèbre série française d’espionnage, contient ses propres limites : un glamour, une lisibilité et une séduction très anglo-saxonnes. Pas si simple de se frotter à une légende.

En matière d’adaptation, on connaît la chanson. L’idée est de s’assurer un succès d’audience au moindre coût, en épousant une formule qui a déjà fait ses preuves ailleurs. En choisissant de transposer aux Etats-Unis, la trame du Bureau des légendes, créé par Eric Rochant, Showtime optait pour la double sécurité d’un univers connu (l’espionnage) et d’une écriture éprouvée : le New York Times l’ayant classée dans son top 10 des meilleures séries étrangères de la décennie 2010.

Des critiques élogieuses venues de toutes parts ont souligné non seulement la pertinence de son regard sur un monde méconnu (celui des agents secrets et de leur opaque maison-mère, la DGSE), la qualité de son écriture et de son jeu, en plus de sa rapidité d’exécution. « Parvenir à diffuser deux saisons d’intrigues géopolitiques fortes et documentées à une année d’intervalle, voilà qui relève de l’exception (et de l’exploit) dans l’Hexagone », écrivions-nous déjà en 2016. Car ce succès international a fêté ses 10 ans en avril dernier.

Il faut remonter à 2006 pour retrouver pareil emballement international pour une création française, avec le succès à l’export de la série Engrenages, mêlant mondes judiciaire et policier.

Michael Fassbender reprend le rôle de Mathieu Kassovitz, alias « Malotru » dans « Le Bureau des Légendes ».

Un succès international rendu plus familier

Si le choix a été fait de diffuser Engrenages en français sous-titré en Grande-Bretagne et aux États-Unis, il en est tout autrement pour Le Bureau des Légendes dont l’intrigue a été entièrement recréée sur place.

On comprend la volonté d’adapter le matériau de base, français en l’occurrence, au contexte politique et au fonctionnement des institutions aux Etats-Unis. Et la volonté d’adopter un rythme de dialogues et d’action auquel le public US est habitué. Mais lorsque la version américaine intègre les découpages, l’enchaînement des plans, la structure de certaines séquences d’action, déjà mises en scène dans le modèle originel, on peut légitimement se demander quel intérêt cet exercice revêt-il pour le réalisateur et les acteurs engagés ?

Les adaptations permettent souvent de mettre en lumière des talents locaux, en donnant leur chance à de nouveaux venus aux côtés de stars confirmées, chargées d’attirer le grand public. Mais la rupture de ton ou l’invraisemblance guette lorsque des stars comme Jodie Turner ou Richard Gere semblent avoir pris pour modèle l’univers de James Bond, plutôt que celui de Nadia El Mansour et Socrate (campé par un fascinant Jean-Pierre Darroussin alias Henri Duflot) chers au Bureau des Légende.

Lorsque les jeux de séduction et d’affirmation de soi prennent le pas sur la subtilité, les déchirements et les cas de conscience, toute la grammaire du récit en est bouleversée. Des choix efficaces et rodés qui peuvent se comprendre dans une certaine tradition américaine, mais qui décevront une partie des admirateurs d’Eric Rochant.

Le côté glamour de la force

L’un des points d’achoppement des productions US est la volonté de glamouriser à tout prix le quotidien avec des intérieurs dignes de magazines de design et des personnages principaux aux allures de mannequins. Ce qui est d’autant plus frappant lorsque ce n’était pas l’option choisie par la série originelle. Le résultat est alors d’autant plus lisse et standardisé.

On est souvent bien loin du réalisme des séries nordiques, par exemple, avec des comédiens et décors choisis pour leur capacité à créer une atmosphère propice au mystère et au drame. C’est pourtant, en collant au plus près des choix artistiques posés par la série danoise The Killing que sa version américaine avait réussi à tirer son épingle du jeu. Mais il faut dire que la réalisatrice Veena Sud et l’actrice Mireille Enos n’avaient pas hésité à poser des choix radicaux, bien loin de l’habituel glamour hollywoodien.

Trois séries « frenchies » transposées aux Etats-Unis

1. Si les transferts se font plus rarement dans ce sens, quelques séries françaises ont déjà réussi à tirer leur épingle du jeu et à s’attirer l’attention de l’Oncle Sam. Parmi les adaptations ayant suscité une grande curiosité, on peut notamment citer The Returned, remake du thriller Les Revenants, découvert en 2012 sur Canal+. L’attente des fans n’avait toutefois pas été récompensée, l’univers fantastique créé par Fabrice Gobert ayant beaucoup perdu de sa force et de sa singularité au cours de ce transfert.

« High Potential », adaptation trop lisse de la série française « HPI ».

      2. Ce n’est pas l’unique déception du genre. En janvier dernier, Disney+ dévoilait High Potential version américaine de la célèbre série HPI, portée par Audrey Fleurot. Malheureusement, la comédienne choisie pour camper la femme de ménage lilloise au Haut potentiel intellectuel (HPI) n’arrive pas à la cheville de la comédienne française, jamais avare d’une excentricité vestimentaire ou langagière. En clair : la prestation de Kaitlin Olson est étrangement lisse, posée, sans réelle aspérité. Au point que l’on se posait la question de l’intérêt de reprendre ce personnage atypique, si c’était pour le dénaturer à ce point…

      3. La série Astrid et Raphaëlle, toujours aussi populaire en Belgique et en France, vivra bientôt la même aventure d’export aux Etats-Unis. Et déjà les fans ont des sueurs froides… Laura Fraser (Breaking Bad) reprendra le rôle du commandant de police, joué par Lola Dewaere dans la série rebaptisée Patience. Quant à Astrid (Sara Mortensen), la documentaliste atteinte de troubles du spectre autistique, elle sera interprétée par Ella Maisy Purvis (Malpractice). Avec, on l’espère, la même alchimie à l’écran.

      Karin Tshidimba