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Pandémie oblige, les tournages sont arrêtés, freinant la production de nouvelles séries et leur présentation aux acheteurs potentiels arrivant du monde entier. Deux moments pourtant clé du mois de mai aux Etats-Unis. Deux acheteuses belges précisent ce que cela va changer pour la RTBF et Be tv.

Même si les studios américains organisent des Screenings [présentation de nouvelles séries, NdlR] en ligne, on aura beaucoup moins de nouveautés à visionner cette année. On doit aussi faire l’impasse sur ce laps de temps privilégié consacré à ces découvertes », souligne Alexandrine Duez, directrice adjointe de Be tv.

L’annulation des Screenings de Los Angeles bouscule le calendrier d’acquisitions auquel elle est fidèle depuis une quinzaine d’années. Une situation à laquelle sont confrontés tous les acheteurs étrangers. « Lors des Screenings, on visionne quinze nouvelles séries par jour pendant près de dix jours, ce qui permet de repérer des tendances. La présence à Los Angeles est aussi l’occasion de voir nos interlocuteurs privilégiés et d’évoquer les projets en cours. On a bien sûr des discussions en ligne, aujourd’hui, mais cela ne vaut pas le rassemblement habituel. »

Voir les nouveautés en salle reste une expérience à part. « On sent la salle vibrer, on sent les projets qui ont retenu le plus d’intérêt. L’expérience est très différente quand on est seule face à son petit écran. La projection en salle permet de saisir l’air du temps. Quand on visionne 50 ou 60 séries, on voit vers où on va, on voit apparaître des personnages qui n’existaient pas. Comme tout est concentré sur quelques jours, on repère les tendances en termes de thématiques abordées, les lieux nouveaux, les musiques qui dominent… Les Screenings sont concentrés dans le temps, efficaces, c’est une occasion unique d’analyses et d’échanges », note-t-elle.

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Le calendrier s’est étoffé au fil des ans

Depuis quelque temps déjà, l’année n’est plus rythmée par un seul grand rendez-vous permettant de découvrir les nouveautés made in US. « On se voit aussi au MipCom, en octobre et au MipTV, en avril. Le plus souvent, les studios organisent des projections en Europe : il y en a eu en novembre et en février à Londres, d’autres à Paris. Avant, il y avait une seule grande rentrée en septembre, puis il y a eu des séries d’été, des lancements en janvier et d’autres en avril… L’arrivée des télévisions à péage a changé la donne. Les lancements sont beaucoup plus dispersés qu’auparavant », relève Alexandrine Duez.

« Comme les abonnés paient 12 mois sur 12, il est normal de leur proposer des nouveautés plus souvent, ce que les grands réseaux ne faisaient pas. » Pour retenir l’attention des abonnés, il faut créer l’événement via un calendrier renouvelé. Cela explique aussi l’abandon de séries longues (22 épisodes) au profit de séries plus courtes (10 ou 13 épisodes) et de miniséries (6 à 8 épisodes) qui entretiennent l’intérêt des abonnés pour de nouveaux projets.

« Pour le moment, on a reçu une annonce de screenings pour Sony correspondant à la séance qu’ils voulaient tenir entre le 17 et le 23 mai« , confirme Sophie Domken du service acquisitions de la RTBF, mais les autres studios se font encore attendre.
« HBO et Disney envoient régulièrement des alertes annonçant les productions qui sont prêtes, quelques semaines avant l’antenne ; Warner n’a encore rien dit. Tous les studios disposent de plateformes sécurisées sur lesquelles sont mis en ligne trailers et nouveautés », précise Alexandrine Duez.

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Une plus grande variété de séries

La pénurie n’est toutefois pas pour demain car il se passe souvent un an entre l’achat d’une série et sa livraison en version doublée. « D’autant que nous dépendons de l’achat de ces séries par des chaînes françaises afin de supporter ensemble le prix du doublage. Il y aura sans doute un engorgement à un moment comme on s’y attend du côté du cinéma avec toutes les sorties reportées« , explique Sophie Domken.

« Je ne ressens pas la pénurie pour la bonne raison que Be tv est très liée à HBO et Canal, deux chaînes à péage qui avaient lancé bon nombre de productions sur lesquelles on est engagés depuis très longtemps. HBO a reporté quelques lancements – Undoing ou The Third Day – pour qu’ils aient plus de retentissement à la rentrée. Chez Canal, on attend la dernière saison d’Engrenages et la deuxième saison d’Hippocrate. Il y aura des décalages mais, en fonction du stock, on peut répondre à nos besoins de grilles, tout en restant premiers diffuseurs. »

Le décalage entre la diffusion aux États-Unis et en Europe permet aux chaînes belges d’envisager sereinement la rentrée. « Peut-être même qu’ils vont rattraper leur retard, mais l’une des parades sera de s’approvisionner ailleurs, sur d’autres territoires », poursuit Sophie Domken de la RTBF.
« Nous avons plusieurs sources d’approvisionnement – Angleterre, Italie, Espagne, Israël, pays nordiques -, il y a peu de chance qu’elles se tarissent toutes en même temps », confirme Alexandrine Duez.

« Les séries américaines s’essoufflent un peu et les gens sont demandeurs d’autres types d’histoires, nous avons déjà ouvert notre catalogue à davantage de séries britanniques : Bodyguard, Call the Midwife, The Bay, etc. C’est l’occasion de tester des nouveautés qu’on n’aurait peut-être pas proposées. Chaque année, on reçoit les nouvelles saisons des séries dont on doit assurer la continuité ; cela laisse peu de places libres dans nos grilles », précise Sophie Domken. Disposant d’un contrat avec Warner, la RTBF est assurée d’avoir la priorité sur les nouveautés du studio.

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Les tournages reprennent peu à peu

Peu à peu, les tournages reprennent en Allemagne. « Ils vont reprendre en France et dans le nord de l’Europe ; les États-Unis seront sans doute à la traîne mais je n’ai pas d’inquiétude. » Au cours de la semaine, Espagne et République tchèque ont aussi repris le chemin des tournages.

« Un des effets les plus visibles de l’épidémie de Covid-19, c’est le fait que les studios de doublage ont fermé et donc certaines séries ou épisodes sont seulement disponibles en VO sous-titrée. Avec notre politique de diffusion au plus près de la sortie US, nos abonnés savent qu’il faudra attendre un peu pour disposer de la version multilingue. Ils vont devoir aussi attendre le dernier épisode de The Walking Dead comme tout le monde… »

La consommation de la télévision linéaire a augmenté de façon générale pour les infos ou la fiction. « C’est aussi le cas de la consommation non linéaire. Cela nous conforte dans l’idée de développer l’offre SVOD sur Be à la demande. Je suis ravie que nos abonnés puissent voir à leur rythme les séries Parlement et Validé par exemple. »

La crise change aussi nos attentes en matière de séries. « On serait davantage sensibles à la série The Leftovers, si elle sortait aujourd’hui. Il y a des sujets qui ne nous mobilisent plus comme avant parce que nos centres d’intérêt ont changé avec la crise« , souligne Alexandrine Duez.

Interviews: Karin Tshidimba