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L’autrice aime les histoires, les personnages complexes, le rythme, la subtilité des récits et regarde de nombreuses séries. En voici dix qui l’ont durablement marquée…

La fiction, le roman sont au cœur de sa vie depuis toujours. En mars dernier, l’autrice et scénariste Lola Lafon était présidente du jury Panorama lors du Festival Series Mania, l’occasion de dévoiler son goût pour les séries. “J’ai grandi en Roumanie, sous le communisme et les séries tenaient un rôle étrange parce qu’au début des années 80, la télévision roumaine diffusait des vieilles séries américaines, parfois un peu tronçonnées. J’ai grandi avec Les Drôles de Dames et Columbo. Même s’ils coupaient des scènes, c’était ma vision de l’Occident, de ce qui se passait de l’autre côté du Mur. Ces séries ont été très importantes dans mon enfance”, souligne Lola Lafon.

1. Si elle se définit comme très cinéphile, Lola Lafon est aussi passionnée de séries. Avec un premier basculement dans les années 90. “Buffy m’a vraiment marquée. Tout d’un coup, cette série ressemblait à mes préoccupations. Elle ne représentait plus une sorte d’évasion, les thématiques étaient beaucoup plus proches de ce qui m’intéressait. Avec Buffy, je n’étais plus spectatrice d’un monde qui ne me concerne pas. Parce que, parfois, on peut aimer des choses et se rendre compte qu’elles ne sont pas géniales. Là, je me disais : je vois bien de quoi tu me parles. Quelque chose me touchait dans son personnage qui faisait écho à des situations, des silences connus… En revanche, je n’ai pas du tout accroché à Friends, ce n’était pas du tout mon truc.”

Le jury du Panorama international du Festival Series Mania à Lille: le comédien estonien Karlis Arnolds Avots, l’actrice française Marie Colomb, l’écrivaine Lola Lafon, le programmateur américain Casey Baron et la productrice britannique Kate Harwood.

2. Par la suite, de nombreuses découvertes ont suivi. Comme The Americans, “Cela a vraiment été une grande série sur le mariage et le mensonge”, souligne-t-elle. Une façon étonnante de définir ce thriller mettant en scène un couple d’espions russes infiltrés aux États-Unis… “Ils sont obligés d’être ensemble et, d’une certaine façon, ils s’aiment. Mais ça pose des tas de questions très intéressantes.”

3. “J’ai beaucoup aimé Station Eleven. Je crois qu’on n’en a pas beaucoup parlé à cause de la pandémie, mais je l’ai trouvée très intéressante. C’était l’adaptation d’un roman lui-même passionnant, qui proposait une sorte d’ouverture, de solution politique quasiment… La série n’était pas catastrophiste, elle proposait une vision.”

4. Elle cite encore la “formidable série turque Bir Baskadir. Avec un personnage féminin extraordinaire qui vous prend en flagrant délit de préjugés. Il y a deux femmes, une urbaine, psy, un peu moderne, et l’autre qui vient de la campagne, qui porte le foulard et des petits chaussons, elle a une petite voix,…” Une série en huit épisodes visible sur Netflix.

5. Parmi ses coups de cœur récents figure la série française Sambre, récit de la longue enquête autour d’un violeur en série. Une narration signée Jean-Xavier de Lestrade, portée notamment par Alix Poisson, pour un récit sobre et d’une grande justesse. “J’ai trouvé ça formidable. Cela m’a beaucoup marquée”, confie-t-elle.

Un épisode par jour

Sa découverte sérielle est très cadrée. “J’écris le matin et, quand je m’arrête à la pause déjeuner, je ne peux pas lire parce que c’est une activité trop proche de ce que je suis en train de faire. Mais j’ai besoin de rester dans la fiction. Donc je regarde très souvent un épisode d’une série. Avant de recommencer à bosser l’après-midi.”

Des séries envisagées sous l’angle du récit, comme dans son travail de présidente du jury à Series Mania. “Je suis très axée sur l’écriture, le sous-texte. Qu’est-on est en train de me proposer ?” La thématique, mais aussi ce qui ressort des choix posés. “Je regarde vers quoi on m’entraîne. Et le montage, parce que j’adore le rythme d’un récit. J’y suis très sensible.” A ses yeux, il fait partie intégrante de la manière de raconter. “Comme les ellipses, ce qu’on ne dit pas ou qu’on ne montre pas. C’était le cas dans la série espagnole La Mesias. J’ai vraiment du mal quand on me prend pour une idiote. Quand tout est mâché. C’est vraiment quelque chose qui me gêne.”

6. Côté scénarios, elle confesse des goûts très éclectiques. La série Fosse/Verdon l’a “enchantée”. ”Il y avait beaucoup de danse. C’était sur Bob Fosse mais la série revenait sur le rôle important de sa femme dans son monde.” Autant d’arguments qui ont séduit cette “grande fan de comédies musicales”.

7. Parmi les showrunners, Robert et Michelle King se détachent. “The Good Fight m’a vraiment beaucoup marquée. Le fait de coller à la politique tout en gardant une distance complètement folle. Les personnages y sont très complexes, ambigus. L’ambiguïté de ce cabinet afro-américain, la position de Diane, politiquement. C’est très intéressant. Mais aussi la façon dont ils choisissent parfois de concevoir leur générique avec une ultra-réalité complètement dingue qu’ils font exploser. Je les trouve très très gonflés.”

8. « Je me souviens de The Affair. Elle m’a parfois gênée, mais il y avait des choses très intéressantes dans ce procédé, certes classique, alternant sa version à elle, sa version à lui. Le début était très bien parce que, vraiment, vous aviez des pans entiers de l’histoire qui étaient identiques. C’était subtil, j’aimais bien.”

9. Sensible à l’inventivité des séries, elle ne regarde plus que des mini-séries, aujourd’hui. “Je me souviens de la série Shining Girls” de Lauren Bukes, avec Elisabeth Moss. “Une série très intéressante avec des temporalités différentes. Au début, ce n’était pas simple de comprendre. Des petits détails dans l’image montrent qu’on a changé d’époque, mais c’est assez subtil. J’aime cette idée. Il faut être attentif. Ce n’est pas appuyé.”

10. Une autre série l’a marquée : Anatomie d’un divorce, “tirée d’un roman génial” : Fleischmann is in trouble. “Là, j’ai pris une claque. J’étais complètement avec lui pendant quatre épisodes. Il m’avait embarquée dans son portrait du personnage féminin. Cela se passe comme dans le roman, que j’ai lu après. Et là, vous vous dites : comment j’ai pu rater ça ? Je suis assez fan de ce type de ressort.”

Rester connectée à la création d’aujourd’hui

À ceux qui questionnent la place de la culture dans nos vies, Lola Lafon répond sans détour. “Mon besoin culturel est de rester en phase avec ce que les gens vivants sont en train de raconter. J’aime lire les jeunes auteurs, j’y suis très attentive. J’aime voir du théâtre qui s’écrit maintenant. Après, je trouve aussi beaucoup de réponses dans des œuvres passées. Mais je trouve très important de ne pas lâcher les voix qui arrivent.”

L’autrice éprouve “une grande méfiance face à la mise en lumière de valeurs qui sont d’extrême droite, enveloppées de manière sexy. Les séries où il y a zéro espoir, où la puissance, la force, la menace, c’est ça qui marche. Une part de moi se met en retrait. Je ressens le besoin qu’un personnage ou un aspect apporte de l’éthique. Si une série ou un roman participe à la sidération, au lieu d’éveiller le désir d’agir, c’est un problème pour moi. Ça ne veut pas dire que la série doit vous dire quoi faire. Mais quelque chose d’écrasant dans une période comme la nôtre, ça me questionne. Ce qui va dans le sens de l’idéologie dominante est problématique pour moi.”

De la même façon, il importe, selon elle, “de ne pas se désespérer, quand on dit que les gens ne lisent plus. L’appétence pour la fiction est très grande et on peut vraiment s’en réjouir. On a quand même envie, apparemment, qu’on nous raconte des histoires. Dans les livres ou les séries, c’est ça qui compte. On a toujours besoin d’histoires. Ça, ça reste”, se réjouit l’autrice.

Karin Tshidimba, à Lille