L’anthologie de Charlie Brooker, qui explore notre futur plus ou moins fantasmé ou horrifique, est de retour ce jeudi sur Netflix avec cinq nouveaux épisodes.

« Méfiez-vous des nouvelles technologies. » Le mantra de la série de Charlie Brooker est connu. Depuis décembre 2011, cette anthologie britannique observe notre société à la loupe (déformante) et distille la terreur, le soupçon et le malaise dans nos vies à coups d’inventions plus intrusives et malaisantes les unes que les autres. Conversations avec les morts, transgénisme, puces intégrées et robots tueurs sont quelques-unes des innovations malfaisantes exposées à l’origine sur Channel 4, mais reprises depuis 2016 par la puissante plateforme américaine.

À chaque épisode, son intrigue, son environnement et ses personnages différents, le lien entre toutes ces histoires résidant dans le regard qu’elles portent sur nos existences et sur les potentialités que nous réserve le futur. Black Mirror*** dévoile à la fois notre reflet mi-intrigué, mi-angoissé, mais aussi l’avenir (sombre) ou déformé vers lequel certaines dérives scientifiques pourraient nous mener. Oui, l’intelligence artificielle en fait forcément partie…

Dans la saison 6, dévoilée ce jeudi par Netflix, la réalité rejoint toujours plus la fiction, proposant une curieuse mise en abyme du quotidien. Avec une plateforme Streamberry qui ressemble en tout point à celle de Netflix, se moquant même du cynisme du milieu audiovisuel et de la mainmise des algorithmes sur nos vies, conditions générales d’utilisation kafkaïennes à l’appui.

Gloire ou anonymat: il faut choisir ou subir

Ainsi, l’épisode Joan is awful imagine une femme (Annie Murphy) devenue prisonnière d’une télé-réalité s’inspirant de sa vie dans les moindres détails. A la satisfaction de voir son rôle tenu par l’épatante comédienne Salma Hayek succède bien vite le désagrément de voir tous ses faits et gestes de la journée reproduits et amplifiés à son désavantage lors de la diffusion en soirée. Chacun (voisin, collègue, ami) se mettant dès lors à commenter sa vie, à la rejeter ou à se méfier d’elle.

Cette réflexion sur la façon dont le streaming s’est emparé de nos vies et sur l’utilisation d’images de synthèse semble tomber sous le sens dans une série dont l’ADN est de nous confronter aux technologies les plus récentes et leur impact sur notre quotidien ou nos interactions. On se souvient ainsi de l’épisode Nosedive (de la saison 3) sur les dérives du système de notation des individus et des services.

Jalousie, dérives et fascination pour les true crimes

La fascination pour les true crimes et l’impact que cela peut avoir sur l’attractivité touristique de certains lieux ou destinations est au cœur de l’épisode Loch Henry porté par Aaron Paul, Josh Hartnett et Kate Mara (vue dans l’épatante House of Cards).

Dans cette nouvelle saison, il est aussi question de la quête de gloire et des revers qu’elle génère invariablement. Que l’on soit un jeune documentariste perdu au fin fond de l’Ecosse (Loch Henry), un cosmonaute aguerri, embarqué dans un programme pluriannuel (Beyond the sea) ou une starlette aux abois (Mazey Day), la perte d’anonymat et l’envie ou la jalousie peuvent avoir des conséquences désastreuses… Que se passerait-il si la technologie nous permettait d’habiter le corps d’un autre. Qu’en est-il de l’âme et de ses spécificités ? En termes de malaise et de dilemme, le résultat de Beyond The sea est de loin le plus insidieux et le plus réussi.

Le dernier épisode, Demon 79, est clairement le plus caustique et le plus décalé de tous avec pacte démoniaque, talisman et irruption d’une star de la pop en habits de lumière sur fond de menace apocalyptique. Alors que Londres est menacée par une vague nationaliste nauséabonde, Nida Huq (Anjana Vasan) fait la connaissance d’un apprenti tentateur (Paapa Essiedu). Pour empêcher l’apocalypse, la jeune femme doit se transformer en faucheuse de vies. Un conte parodique qui adresse un joli pied de nez à nombre de récits de fin du monde…

Si certains épisodes déçoivent un peu, ou n’étonnent qu’à moitié, l’ensemble est conforme à la promesse faite par Black Mirror même si les répercussions et l’étonnement ne sont pas aussi grands qu’au début de l’aventure. L’attente est toutefois récompensée, elle a d’ailleurs été d’autant plus longue que la saison 5 ne comptait que trois épisodes comme la saison 1 avant elle.

Karin Tshidimba