La fiction de France 2 démontre, comme de nombreuses autres séries avant elle, comment illustrer et ancrer les grandes questions humaines et philosphiques dans notre époque. Un parcours à suivre chaque mercredi à 20h50.

« La philo, c’est déconstruire les idées reçues, les apparences, se mettre à nu » détaille Benjamin Rousseau à ses élèves de terminale. Dans l’esprit du nouveau professeur de philo, la discipline n’est pas que théorique. Pour mieux démystifier la pensée de Kant, Montaigne, Platon ou Spinoza, pas besoin de remonter à Homère ou à L’Odyssée, il faut s’y confronter ici et maintenant.

Agent atypique et provocateur, Benjamin Rousseau (l’acteur belge Charlie Dupont) n’est pas du genre à faire les choses à moitié. Ses élèves du lycée Lafontaine, il ne veut pas seulement les amener jusqu’au Bac, il veut les guider sur la voie de la « pleine conscience » qui nécessite forcément de se connaître soi-même. Ce qui reste la meilleure façon de grandir et d’évoluer.


Les grands défis de l’âge adulte

S’appuyant sur leurs problèmes personnels, Benjamin Rousseau n’y va pas par quatre chemins. Dans La faute à Rousseau**, on le voit qui bouscule ses élèves, les force à sortir de leur zone de confort. A chaque épisode, sa nouvelle incursion dans la vie d’un lycéen, coincé le plus souvent entre doutes et conflits.

A le voir s’agiter à tout prix pour « faire jaillir le sens », on se dit que l’adulte divorcé et nomade, adulescent par excellence, connaît forcément bien le sujet. Dans son sillage remuant et libertaire et face à sa volonté d’amener ses élèves à penser par eux-mêmes, on ne peut s’empêcher de penser au tendre et enthousiaste Robin Williams et à son Cercle des poètes disparus.

Cette attitude nonchalante et provocatrice, voire immature, est la même que Benjamin Rousseau adopte dans la vie de tous les jours ce qui lui a déjà causé de nombreux ennuis et l’empêche d’approfondir sa relation avec son fils (Louis Duneton) ou avec les femmes en général.


Comme dans Les Bracelets rouges, autre adaptation d’un concept espagnol*, ce sont les ados qui mènent la danse même si le prof Rousseau a également beaucoup à faire pour mettre sa vie sur les bons rails.

Avec 3, 04 millions de curieux, la série a effectué un démarrage en douceur, mercredi dernier sur France 2. Sans doute parce que la philo fait toujours un peu peur. Mais avec un maître nageur tel que Benjamin Rousseau, vous auriez tort de rester bloqué au bord de la piscine. Une série qui s’intéresse aux ados et aux dilemmes qui les rongent mais aussi aux adultes et aux freins qui les taraudent, ça ne peut pas faire de mal, vous dirait le comédien Guillaume Gallienne.

En confrontant Paul (Bryan Trésor) à son envie de liberté, Anaïs (Emeline Faure) à sa quête d’amour et Emma (Esther Valding) à son sens du devoir, Benjamin Rousseau permet aux grandes questions philosophiques de devenir concrètes.

Le temps long de la réflexion

N’en déplaisent à quelques grincheux, qui continuent à penser que les séries abrutissent le public ou l’enferment dans un schéma strictement chronophage, il est temps de rappeler à quel point la philosophie est amie des séries. En permettant la catharsis et l’identification, la fiction permet à chacun de se poser des questions sur ses agissements ou ses idées préconçues. Et cela, d’autant plus facilement que les intrigues s’installent dans la durée et impliquent l’évolution de leurs personnages. D’où l’importance de la notion de temps : celui du récit et de sa découverte. Par son inscription dans l’époque et la durée, la série donne forcément à penser.

Cette capacité d’introspection est mise en lumière par de nombreux auteurs ou philosophes tels Thibaut de Saint-Maurice ou Olivier Pourriol. Le premier a écrit trois ouvrages sur la question, dont le dernier intitulé Des philosophes et des héros* éclaire notamment la notion de devoir kantien à travers les parcours de Lucky Luke ou de James Bond et le concept de recherche de la vérité, si chère à Socrate, par le biais des personnages de Dr House ou de Sherlock Holmes.

Séries et questions métaphysiques

Philosophe sériephile, ex-professeur de lycée et désormais chercheur à la Sorbonne, Thibaut de Saint-Maurice n’en est pas à son coup d’essai. Il avait déjà établi dans ses deux précédents livres, Philosophie en séries*, les liens entretenus par des fictions comme A la Maison Blanche, Lost, Mad Men, 24h chrono ou Un village français avec les notions d’éthique, de destin, d’ordre social, de justice et de liberté,… Notant, avec humour, que ce n’est pas un hasard si de nombreux personnages de la très philosophique série Lost portent les noms de grands penseurs : Hume, Locke, Rousseau, Bakounine…

Karin Tshidimba

Cette série en 8 épisodes de 52 minutes, a été librement adaptée du format espagnol, Merli, par les scénaristes français Agathe Robilliard et Thomas Boullé.

> Philosophie en séries, volumes 1 & 2, Thibaut de Saint Maurice, Ellipses Éditions, 2009 et 2010
> Des philosophes et des héros”, Thibaut de Saint Maurice, First Éditions, 2019.