Pour quelles raisons le Bureau Ovale est-il si présent dans les séries américaines et même dans les fictions du monde entier  ? D’House of Cards à The West Wing en passant par Madam Secretary et 24h Chrono on en dénombre au moins six…

Le 1600 Pennsylvania Avenue à Washington DC. Un bâtiment iconique, entouré de monuments qui symbolisent la fondation du pays, devenu au fil du temps le décor de nombreuses séries et de films. Une toile de fond universelle des décisions majeures et des luttes de pouvoir, même les moins licites, qui secouent la politique.
“On rêve tous de plonger dans les coulisses de la Maison-Blanche”, reconnaît Robin Wright qui a pris les commandes du pays dans la série House of Cards. “C’est le siège d’un pouvoir suprême qui, potentiellement, affecte le monde.” En réponse, le monde entier s’intéresse à ce qui se passe derrière ses murs, un réflexe somme toute, très humain. “Shakespeare faisait la même chose : il écrivait à propos des rois parce que le public aimait cela”, fait remarquer l’acteur Jeff Daniels, habitué des intrigues politiques (The Newsroom, The Comey Rule).
Cette mise en scène de la démocratie américaine comme étant LA démocratie par excellence, “entre magnificence et accessibilité”, a influencé de nombreux scénaristes tel le Français Éric Benzekri qui certifie qu’il n’aurait pas écrit sa série Baron Noir sans l’influence de ces fictions américaines.
La première incursion télévisée a lieu en 1962 dans les pas de Jackie Kennedy, rappelle le documentaire de Didier Allouch et Anne-Solen Douguet, House of series***, diffusé ce lundi 2 novembre à 20h30 sur Be Séries.
Depuis, le défilé n’a jamais cessé : Homeland, House of Cards, Madam Secretary, Scandal, The Comey Rule, The Plot against America, The West Wing, Veep, 24h chrono… Les incursions dans le Bureau ovale sont légion. Le lieu attire et intrigue comme étant le symbole de tous les possibles. Pour le meilleur comme pour le pire.

1. Qui dit pouvoir, “dit corruption possible, sexe et complots, atteste Tony Goldwyn. L’acteur s’est glissé dans le siège présidentiel pour la série Scandal qui se fait l’écho de tensions au sein du couple présidentiel et des nombreuses luttes de pouvoir internes, jusqu’au sein du même parti.
La plus didactique et la plus proche du réel reste The West Wing, même si certains prétendent qu’elle donnait une vision “à la Capra” du quotidien de l’administration américaine. En inventant le fameux walk and talk qui permettait de rendre vivants les longs dialogues imaginés par son complice Aaron Sorkin, le réalisateur Thomas Schlamme est parvenu à rendre accros à la politique vingt millions de téléspectateurs chaque semaine. Assurant à sa dream team de huit personnages principaux, une moisson tout aussi magique : 26 Emmy Awards en 7 saisons.

2. Ce qui frappe l’imagination c’est qu’un certain nombre d’intrigues ont précédé les vrais événements. Qu’il s’agisse de l’élection de Barack Obama ou de celle de Trump. Les séries donnent “l’occasion de réfléchir au parcours nécessaire pour arriver dans ce lieu qui concentre tous les pouvoirs” – rappelle Howard Gordon, créateur de 24 h chrono – et à “ce qu’implique le fait d’avoir de telles responsabilités”.
Dans The West Wing, le personnage de Matt Santos (Jimmy Smits), premier président hispanique des États-Unis, a été imaginé d’après le parcours du jeune Barack Obama, lorsqu’il n’était pas encore sénateur. À la plume, on retrouve Eli Attie, ancien conseiller d’Al Gore et rédacteur de discours, devenu scénariste pour la saison 6 de la série. L’élection de Santos a donc précédé celle d’Obama dans la réalité…

3. David Palmer (Dennis Haysbert), apparu en 2001 dans 24h chrono, est “le président de fiction préféré des Américains”. Avec Josiah Bartlet de The West Wing. Des constats qui en disent long sur le succès de leurs séries respectives. Palmer est aussi le premier Commander-in-chief afro-américain. Une occasion pour les Américains de montrer le meilleur d’eux-mêmes et de dépasser leur passé raciste. “La culture façonne la société”, souligne un scénariste. “L’art, la pop culture ont de l’influence sur les représentations mentales”, note Thomas Schlamme. C’est ainsi que l’on façonne l’imaginaire de ses contemporains…

4. Il y a pourtant un domaine dans lequel cet imaginaire pêche encore : la féminisation de la fonction. Si l’on croise des femmes à la Maison-Blanche, c’est uniquement le cas dans la fiction. En 2016, Hillary Clinton a violemment heurté ce plafond de verre. Le petit écran, en revanche, est en avance sur son temps. Et les exemples pullulent : Madam Secretary comme Battlestar Galactica, Commander in chief, Hail to the chief, Homeland, House of cards, Quantico, State of Affairs, Supergirl, Veep, ou 24 h chrono ont toutes imaginé une locataire dans le Bureau ovale. Soit onze femmes, chaque fois décrites comme les “premières femmes présidentes de l’histoire des États-Unis”. Elles ont un autre point commun : être arrivées à ce poste à la suite d’un concours de circonstances (attentat, maladie, décès). Les femmes atterrissent presque toujours “par accident” dans le siège du Président. Ce qui en dit long sur la misogynie bien vivace de l’industrie télévisuelle…

5. Entrer à la Maison-Blanche, c’est aussi faire découvrir les arcanes du pouvoir, notamment ceux de l’administration face au FBI. Montrer que “les institutions américaines et la démocratie sont parfois en contradiction”, comme le précise Billy Ray, créateur de The Comey Rule. “Les séries permettent de mettre certains sujets en avant et de tirer la sonnette d’alarme.” Comme l’ont régulièrement fait The West Wing ou The Comey Rule qui, au-delà du limogeage de l’ancien directeur du FBI, s’intéresse aux collusions avérées entre la Russie et l’équipe de Trump en 2016.
Comme le proclame David Simon (The Wire) : “Si je ne fais que vous divertir, alors j’ai raté mon objectif. Je veux qu’on discute de l’état du monde.” Le message est très clair dans sa dernière création The Plot against America.

6. Montrer que la menace est intérieure et que la démocratie est fragile.
C’est le cas avec Homeland ou House of Cards, bien sûr. Mais aussi avec The Plot against America. Même s’il s’agit d’une dystopie ancrée en 1940, les situations qu’elle dénonce – via la montée du péril fasciste aux États-Unis –, sont inspirées de faits et de personnages réels tels que Charles Lindbergh et Henry Ford.
Le fait que le Président Lindbergh (fictif) s’y associe à des groupuscules racistes (réels) met en danger la démocratie. Au-delà du livre de Philippe Roth sur Bush, dont elle s’inspire, la série évoque une inquiétude très contemporaine. “C’est une série à propos de Trump et des risques qu’il fait courir au pays. Nous avons créé cette série pour rappeler aux gens la nécessité de protéger notre démocratie pour empêcher que cette dystopie ne devienne réalité”, insiste David Simon.
David Mandel, créateur de Veep explique à quel point l’élection de Trump a changé la donne en mettant “tout ce qui était caché en coulisses (bassesse, erreurs et insultes) face à la caméra”.
Matt Stone et Trey Parker, les créateurs de South Park, le rejoignent : “Trump a tué l’ironie, il se donne lui-même en spectacle. On ne peut donc rien en tirer. On est sidérés comme tout le monde…” De nombreux scénaristes s’avouent vaincus. Cette fois, la réalité a dépassé la fiction.

Karin Tshidimba

Les présentations détaillées de toutes les séries citées sont à retrouver en suivant le lien bleu.