Le portrait rock’n’ roll d’une poétesse en ado rebelle (Dickinson); la conquête spatiale vue à travers le regard des femmes (For All Mankind); une saga post-apocalyptique où les aveugles sont rois (See); une matinale US qui cherche à se réinventer après la vague du scandale Me Too (The Morning Show): les quatre premières séries originales de la plateforme Apple TV ne manquent pas d’ambition, mais parfois de profondeur. Avant le premier bilan des audiences, retour critique.

Dickinson: amours, hip hop et poésie

Assurément la plus déjantée des quatre premières séries d’Apple TV. Cultivant la démesure et l’anachronisme, la scénariste Alena Smith (The Affair, The Newsroom) imagine l’adolescence rebelle de la poétesse Emily Dickinson dans les États-Unis du XIXe siècle. Née dans une famille bourgeoise d’excellente réputation, entourée d’un frère aîné et d’une sœur cadette répondant parfaitement aux vœux de leurs parents, Emily est la seule à tenir tête à son père et à sa mère. Attirée par la mort et les sentiments exacerbés, elle refuse une existence de contraintes et d’ennui comme semble le promettre le mariage.

Amoureuse de son amie d’enfance Sue, Emily supporte difficilement l’idée que cette dernière pourrait épouser son frère aîné Austin, futur avocat. Dans Dickinson, le fond rejoint la forme puisque la série adopte un ton anticonformiste grâce à un langage et à une bande-son résolument contemporains. Tout tourne autour de ce personnage hors norme et hors cadre dont Hailee Steinfeld s’est emparée avec fougue et gourmandise. Le  résultat est détonant puisqu’on visualise le cerveau en ébullition de l’écrivain et l’inscription de son oeuvre (ses mots, ses rimes) dans son quotidien.
C’est la seule série dont tous les épisodes étaient disponibles dès le lancement de la plateforme.

For All Mankind: Quand les femmes iront sur la Lune

Et si les Américains n’avaient pas été les premiers à marcher sur la Lune ? Que se serait-il passé ensuite ? Partant du postulat d’une défaite de Washington face aux Russes, cette uchronie signée Ronald D. Moore (Battlestar Galactica), Matt Wolpert et Ben Nedivi explore les revers du rêve américain en usant de photos d’époque mais aussi en suivant au plus près le quotidien d’une équipe d’astronautes en mal de réussite, pressés de prendre leur revanche sur « l’ennemi » soviétique.
Une série qui aborde avec beaucoup d’intelligence l’ambivalence des sentiments humains et la place des femmes dans la conquête spatiale, tant aux États-Unis qu’en URSS. Reconstituant la fin des années 1960 avec soin, cette série vaut pour sa galerie de personnages et son casting inspirant (Joel Kinnaman en tête, vu dans The Killing) sans oublier la façon dont elle se joue habilement des vrais ratés et des faux espoirs de l’Histoire.

See: le pays où les aveugles sont rois

Destinée aux amateurs de récits post-apocalyptiques aux parfums musclés, See* imagine un proche futur (le XXIIe siècle) où seuls deux millions d’êtres humains ont survécu à un virus et une catastrophe écologique majeure sur La Terre, mais où tous sont devenus aveugles. Jason Momoa (Aquaman, Game of Thrones) y joue le rôle d’un guerrier, futur chef de tribu, chargé de protéger son peuple soupçonné d’abriter une sorcière et ses jumeaux « hérétiques ».
Malgré ce point de départ original, la série ne brille pas (sans mauvais jeu de mots) par son innovation et ne séduira sans doute que les fans inconsolables de Game of Thrones en quête d’une nouvelle « mythologie » à explorer. Malgré un budget pharaonique (un peu moins de 15 millions par épisode selon le Wall Street Journal) le monde créé par Steven Knight (Peaky Blinders) n’a malheureusement ni la complexité, ni l’ambition du récit aux allures médiévales. Les fans risquent donc bien de rester sur leur faim…

The Morning Show: l’union (des femmes) fait leur force

Des quatre propositions initiales, la série de Michael Ellenberg et Kerry Ehrin dispose du plus joli casting : Jennifer Aniston, Reese Witherspoon et Steve Carell y nagent dans les remous d’une matinale d’info touchée par la vague du scandale MeToo. Creusant les écueils du journalisme 2.0 et les dessous du show-business, The Morning Show*** frappe par son rythme effréné et la pertinence de sa critique d’un univers qu’elle connaît bien, même si on aimerait qu’elle aille plus en profondeur encore.
Très convaincantes dans leur tandem, Jennifer Aniston séduit en star se cramponnant à son fauteuil à l’heure où certains voudraient la pousser vers la sortie, et Reese Witherspoon en tête brûlée bien décidée à garder sa liberté de parole quel que soit le micro derrière lequel elle est invitée. Face aux périls (les actionniares et els audiences), les deux journalistes décident de faire front malgré leurs différences. Pour le meilleur… Steve Carell, quant à lui, joue à la perfection le rôle du quinqua incapable de la moindre remise en question dès lors que sa survie médiatique est en jeu…

Quelques jours après leur lancement, Apple a annoncé qu’elle renouvelait pour une saison 2 les quatre premières séries originales de sa plateforme.

Karin Tshidimba