Face à la multiplication des plateformes et à la déferlante de séries, professionnels et (futurs) téléspectateurs anticipent des effets positifs mais expriment aussi quelques craintes… Nous avons demandé son analyse à Frédéric Lavigne, directeur artistique du festival Séries Mania et fin observateur du secteur.
« Les effets positifs, ce sont par exemple les chaînes traditionnelles qui développent des plateformes. Le fait qu’Arte propose de découvrir ses séries sept jours avant et jusqu’à trente jours après la diffusion sur antenne, cela augmente la possibilité de regarder une série correctement. Le choix de France TV de proposer les séries originales directement sur sa plateforme, c’est aussi une bonne nouvelle car c’est très complémentaire : ce sont des séries avec des formes davantage tournées vers les jeunes. Ces séries n’auraient pas existé sans cela. »
« L’espoir que des séries plus osées soient produites »
Pour Frédéric Lavigne, les plateformes représentent une « démultiplication des possibilités d’aborder des formats et des publics différents. C’est un espoir que des choses de nature différente, plus osées, soient produites. Cela évite d’avoir seulement des séries de prime time qui doivent être fédératrices et avoir une audience très forte dès le premier soir. »
Mais la concurrence féroce entraîne la nécessité de se faire remarquer tout de suite ce qui peut avoir un impact sur le type de séries produites…
Il y a surtout un risque de saturation de l’offre et d’une certaine paralysie du public, avec un événement qui chasse l’autre. On va se retrouver avec la même situation qu’en cinéma avec 22 à 25 films qui sortent chaque semaine. On peut décider de faire fi des blockbusters et se dire « je ne regarde que l’art et essai » mais on va aussi avoir de plus en plus besoin de gens qui nous guident. C’est à cela que servent les critiques de séries et les festivals : vous aider à vous orienter dans cette jungle.
Avec le risque d’avoir l’impression de se retrouver face à une vague insurmontable…
Oui, et on sait que cela s’accélère en raison de l’augmentation du volume. Séries Mania offre une image du marché à un temps T, à savoir fin mars de cette année-là. On peut pointer les séries qui vont faire parler d’elles jusqu’à la rentrée. Pour les Américains ou les Anglais, qui ne montrent leurs nouveautés qu’au dernier moment, le Festival est une préfiguration du printemps. Entre tous les festivals, il y a un jeu de relais tous les deux mois avec des lignes éditoriales différentes. Il faut aussi que les chaînes développent des lignes éditoriales reconnaissables et permettent aux gens de faire leur choix de façon claire. De la même façon qu’on peut suivre la programmation d’un cinéma dont on apprécie les choix parce qu’on n’a pas le temps de se renseigner sur tout. On va évoluer vers cet embouteillage d’informations et de sorties, ce turn-over incessant que l’on connaît au cinéma avec la différence que les plateformes permettent d’accumuler et de retrouver les séries, là où au cinéma, les films disparaissent en 15 jours. C’est encore plus anxiogène, me semble-t-il.
« C’est bénéfique pour les scénaristes de pouvoir développer des projets plus vite »
Les plateformes permettent sans doute au bouche-à-oreille de mieux fonctionner…
Oui, mais il va falloir encore plus de guides pour retrouver une série aiguille dans une meule d’offres. Jusqu’il y a quelques années, il n’y avait pas assez de cases et pas assez de volume en France par rapport à l’Angleterre ou l’Allemagne. C’est toujours le cas. Il n’y a toujours pas de case de deuxième partie de soirée pour des séries plus osées. C’est bénéfique pour les auteurs de proposer des choses différentes et de pouvoir développer des projets plus vite pour les plateformes.
Est-ce que la Peak TV ne va pas ressembler à une bulle qui va exploser ? Est-ce que les gens ne vont pas renoncer à prendre connaissance des nouveautés ? On va tellement fragmenter l’offre que le bouche-à-oreille ne pourra plus se faire. On peut se dire : « je regarderai cette série dans un mois » mais entre-temps 28 autres nouveautés arrivent. Il y a saturation de la possibilité de les suivre. C’est vrai pour les journalistes – avoir la possibilité de critiquer correctement – et aussi pour nous, de pouvoir voir correctement les séries à sélectionner. Il y aura forcément des niches mais de nouvelles voies vont aussi s’inventer pour toucher le public. Le succès gigantesque d’une série comme Skam via les réseaux sociaux en est un exemple flagrant : quelque chose s’est inventé là, et c’est passionnant.
Entretien: Karin Tshidimba
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