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Dans son nouvel ouvrage, Julien Magalhães collecte et décrypte, avec ironie, les caractéristiques associées aux personnages malfaisants dans nos films et séries préféré(e) s.

Le virus du mal coule dans leur veine et les relie entre eux bien au-delà du jugement dernier. Pas de Misery sans Annie Wilkes, pas d’Harry Potter sans Bellatrix Lestrange, pas de Diable s’habille en Prada sans Miranda Priestly. Qu’elles soient fan anonyme mais hardcore d’un écrivain célèbre, sorcière fanatique spécialisée dans l’élimination de moldus ou papesse de la mode régnant d’une main de fer sur le personnel d’un magazine new-yorkais, ces personnages maléfiques défient l’ordre établi en revêtant les attributs des femmes dragons.

Ces trois despotes éclairées prouvent surtout qu’au Royaume du mal, les Dames ne sont pas les moins bien dotées. Cela n’étonnera nullement les observateurs réguliers et les fins analystes des ressorts des sociétés patriarcales toujours promptes à designer les femmes de pouvoir comme des aigries, des folles et / ou des revanchardes. Raison pour laquelle on les croise dans les premières pages de l’ouvrage consacré aux Vilains, vilaines. Les figures du mal au cinéma.

Dan sla saga « Harry Potter », Bellatrix Lestrange (Helena Bonham-Carter) tient une place très particulière.

On reste souvent frappé par la banalité du mal rencontré dans le monde réel en comparaison avec les flamboyants psychopathes croisés sur grand écran. Les méchants incarnent, selon les termes mêmes de l’auteur, la cristallisation de ce à quoi la fiction nous dit de ne pas ressembler. Ce n’est donc pas un hasard si, en Occident, les méchants ont des physiques atypiques et des accents russes, asiatiques ou moyen-orientaux. Ils incarnent ainsi les particularités dont les élites et la culture “dominante» se sont longtemps méfié. Tout comme les physiques efféminés ou transgenres dont on nous recommande de nous méfier. Comprendre les messages cachés derrière les panoplies du mal, permet de mettre à jour les clichés qui nous entourent et qui offrent une vision incomplète et/ou biaisée de certaines réalités.

A chacun ses préjugés en matière de laideur

Selon Julien Magalhães, consultant en histoire et professeur des modes et du costume, il y aurait ainsi quatre grandes catégories de Vilains et de Vilaines: les Moches, les Beaux, les Queers et les Monstres. Tout est toujours question de point de vue, bien sûr, mais certains personnages sont bel et bien habillés, maquillés et coiffés dans le but délibéré de faire peur ou de susciter l’effroi.

Vladimir Harkonnen (Stellan Skarsgard), gouverneur planétaire dans « Dune », impressionne grâce à son physique gargantuesque.

On pense notamment au baron Vladimir Harkonnen, gouverneur planétaire dans Dune – désormais aussi décliné en série par John Harrison – au physique gargantuesque, à la pâleur maladive et aux doigts crochus. Qualifié de despote en robe de chambre, il donne corps à l’idée de pouvoir démentiel, sans commune mesure. Une être repoussant, incapable de dominer ses instincts, se repaissant du malheur d’autrui. Il est à la fois la tête de file et le prélude de la longue liste de personnalités déviantes passées en revue dans l’ouvrage publié chez Hoëbeke. Où l’auteur fait le lien avec certains tableaux célèbres et autres imageries traditionnelles qui ont visiblement inspiré la création de ces méchants de fiction.

Comme le prouvent Catwoman dans Batman, le défi, Patrick Bateman dans American Psycho ou Lestat de Lioncourt dans Entretien avec un Vampire, un visage agréable peut parfaitement cacher de cruels desseins. Tout comme le visage surmaquillé d’un clown, façon Joker ou Ça, peut être annonciateur de déboires en cascades… Rien d’étonnant à cela puisqu’il a délaissé le poste d’amuseur public pour entrer de plein pied dans la catégorie des monstres aux côtés de Michael Myers (Halloween), de Pazuzu (L’Exorciste) ou de Nosferatu.

« Nosferatu », une légende du cinéma d’horreur revisitée en 2024.

Et parce qu’il importe de ne jamais hésiter à se moquer de ses propres terreurs, l’auteur clôt chacun de ces quatre grands chapitres par un focus en forme de super-quiz ou d’analyse sémiologique ultime, en choisissant de se pencher sur l’arc-en-ciel du mal – comprenez: ces couleurs qui trahissent notre personnalité – en nous fournissant un guide psychopathique des coupes de cheveux, mais aussi en décryptant à la loupe les clichés à l’œuvre dans l’univers de l’Oncle Walt (Disney) et en nous fournissant un «baromètre de la confiance à accorder aux pilosités faciales dans la fiction».

Un effroi savamment entretenu

Si vous apercevez au fond d’un dédale sombre, un anonyme gigantesque, hirsute et barbu, drapé de noir, de violet ou de vert, et que vous choisissez d’aller délibérément à sa rencontre, vous ne pourrez plus dire que l’auteur ne vous avait pas prévenus…

Maniant l’ironie avec délectation, Julien Magalhães mêle références historiques et comparaisons très imagées au service d’une prose efficace et résolument actuelle. De quoi séduire une nouvelle génération de fans de films d’horreur et autres créatures démoniaques que ce recueil documenté, facile d’accès et très largement illustré devrait séduire.

Karin Tshidimba

Vilains et vilaines. Les figures du mal au cinéma | Julien Magalhães | Éditions Hoëbeke, 192 pp., 28 €