Si les “thrillers ardennais” ont façonné sa réputation à l’étranger, la RTBF ne veut pas uniquement rester associée à cette tonalité. Le mot d’ordre des nouvelles créations belges est donc : la diversification. De styles, de formats et de tons. Explications avec Tanguy Dekeyser, en charge des séries belges à la RTBF.
Quatorze. C’est le chiffre-clé d’une décennie de séries belges imaginées dans le cadre du Fonds séries. Quatorze séries diffusées et quatorze millions (voire un peu plus) inscrits sur le budget de la RTBF en 10 ans. Un bon ratio, diront certains. Un peu étriqué, penseront d’autres. Quoi qu’il en soit, le résultat est là et a permis à de nombreux diffuseurs et amateurs d’enfin situer le Plat pays – dans sa partie francophone, s’entend -, sur la carte de la fiction mondiale… Joli bilan quand on y songe.
S’il n’était pas là en juillet 2013, lors de la création conjointe du Fonds séries par la RTBF et la Fédération Wallonie-Bruxelles, Tanguy Dekeyser en a suivi chaque étape. A l’époque, il travaillait encore chez Proximus, qui accompagne l’envol des séries 100 % belges francophones depuis leurs tout premiers pas sur écran, en 2016. « J’ai vraiment voulu qu’on soit associé à la RTBF sur ce chantier. Je trouvais qu’il y avait une vraie place pour la série belge en Europe, il fallait que ce ton singulier que l’on perçoit dans le cinéma belge, puisse s’exprimer aussi en séries. »
S’il confesse des goûts très éclectiques en matière de séries, le thriller en fait bien sûr partie, comme le policier, « mais j’adore les drames familiaux, par exemple. J’aime beaucoup le sujet d’Attraction. Tout ce qui se déroule dans le microcosme familial me passionne. J’aime énormément les comédies décalées comme Dix pour cent, c’est une piste à développer en Belgique. J’aime aussi tout ce qui est science-fiction et anticipation. Et les séries philosophiques comme The Leftovers. A titre personnel, j’adore les séries HBO qui ont souvent un fond très riche et apportent une vraie réflexion » souligne-t-il. Un profil éclectique, donc.
En charge des coproductions cinéma et des séries belges depuis le 1er mars 2022, Tanguy Dekeyser poursuit un objectif clair : la diversification, tout en respectant un certain ADN belge, le Belgian Noir.
“On ne va jamais renier ce qui a fait nos lettres de noblesse. Une ou deux fois par an, on proposera un thriller ou un murder mystery avec des enjeux clairs. C’est ce que le public aime et attend. Après, on souhaite développer une fois par an un récit historique comme la série 1985, parce que notre pays est nourri d’histoires multiples et on a envie de raconter des pans de cette Histoire. Plusieurs séries en développement vont dans ce sens. C’est ma force de proposition, mais aussi le fruit de nos discussions avec Marc Janssen (responsable de la Fiction à la RTBF, NdlR) et Manon Verkaeren, en charge des Nouveaux formats. »
Son autre cheval de bataille ? La comédie sous toutes ses formes, en 26 ou 52 minutes, “y compris la comédie dramatique. Des Gens bien a dessiné la veine de la comédie noire, qui a très bien fonctionné, on va continuer à développer ce genre-là, mais aussi des comédies plus grand public destinées à La Une. Les auteurs ne sont pas encore habitués et formés à cela en Belgique, cela va sans doute mettre encore un peu de temps à émerger. On va y travailler notamment dans les ateliers d’écriture qu’on a mis en place. Le défi est d’amener tous ces gens qui font de la comédie en cinéma – Solange Cicurel (Faut pas lui dire), Ann Sirot et Raphaël Balboni (Une vie démente), etc. – à se pencher sur le format séries. On a aussi la volonté de développer davantage de séries en 26 minutes, encore plus décalées. On a quelques projets de comédies déjantées sur la table, écrites par certains auteurs et autrices de cinéma. »
Enfin, la RTBF voudrait continuer à proposer des drames psychologiques familiaux, comme la récente série Attraction. « On voit que cela intéresse notre public. Cela ne veut pas dire qu’on ne tentera pas d’autres genres ou sujets comme l’anticipation, par exemple, même si on sait que c’est souvent plus compliqué. » Question de budget, notamment.
Miser sur la force du nombre
La prochaine mise en place de la Commission séries, ouverte à tous les diffuseurs travaillant en Belgique, pour remplacer le Fonds séries, créé en 2013, ne l’inquiète pas. “C’est clairement une opportunité. Il est sain que dans un petit pays comme la Belgique, il n’y ait pas qu’une porte d’entrée. C’est un signal très positif d’autant que je ne pense pas que nos principaux “concurrents”, à savoir RTL – bien plus que Be tv ou les plateformes étrangères -, vont proposer le même type de séries. C’est donc chouette qu’il y ait plus de place pour proposer davantage de séries. On est très contents de ce que le Fonds séries a permis en dix ans. Objectivement, c’est une réussite, mais on n’est pas au bout. Il faut que ce secteur continue à se développer, qu’on ait plus d’auteurs et que davantage de grands cinéastes aient envie de s’essayer à la série. Pour atteindre ces objectifs, on a besoin d’être plus nombreux. »
« Oui, les créateurs vont sans doute bouger d’une maison à l’autre en fonction de leurs projets. Notre volonté est de prendre des risques et de continuer à être présents dans cette phase de développement, en finançant l’écriture de façon vertueuse. RTL est dans le même état d’esprit. Cela permet d’affiner les projets et de les mettre en accointance avec nos publics, pour voir si les auteurs et nous voulons vraiment raconter les mêmes histoires. »
Des récits plus courts, une plus grande diversité de tons
La tendance est plus à la mini-série : 4 à 6 épisodes en 52 minutes. “Il y a une telle offre qu’on pense que les mini-séries sont plus intéressantes et plus adaptées au mode de consommation d’aujourd’hui. Si on veut continuer à attirer un public jeune, il faut aller plus vite dans le rythme et le mode de consommation. On l’a vu notamment avec la série Trentenaires. Le rythme et le ton sont très différents et le public de Tipik et d’Auvio l’a très bien suivie. Toucher ce public jeune, cela reste un vrai objectif.”
Tout comme la diversification des genres : “horreur, slashers et propositions décalées. En parallèle, pour aller chercher ce public jeune, on va aussi proposer des longs métrages très différents : des films impertinents qui sortent du classicisme, de ce qu’on a l’habitude de voir en cinéma”, insiste Tanguy Dekeyser.
Attraction, Jours Noirs, Des Gens bien
Quid de la suite d’Attraction ? “Ce n’est pas une saison 2 proprement dite car c’est une anthologie (nouveaux personnages, nouveau lieu, nouveau thriller, NdlR). Cela nous semble intéressant de travailler sur la notion de collection. Dans ce cas-ci, c’est la mécanique du thriller psychologique en famille que Barbara Abel et Sophia Perié vont continuer à développer à travers diverses histoires. Car Barbara a encore mille idées qu’elle souhaite développer.”
Après le grand final d’Ennemi Public, Matthieu Frances commence à développer un nouveau projet de série, baptisé Jours noirs. “On est très enthousiaste, mais cela va prendre encore un peu de temps. Ce projet pourrait entrer dans le cadre de la nouvelle Commission séries, parmi d’autres encore en gestation dont le dépôt pourrait se faire fin septembre ou début octobre à la RTBF avant d’être présentés devant la Commission. On a été contacté par plusieurs équipes proactives, des producteurs aguerris, qui pourraient également déjà déposer leurs projets en 2024 devant la Commission.”
Des Gens bien : la suite ? “La saison 2 en cours d’écriture, le développement est en cours de financement. On essaie que la période entre deux saisons n’excède pas deux ans – c’est le cas pour Pandore, par exemple – donc, il ne faut pas trop traîner sur ce projet-là non plus. On a vraiment envie de continuer avec cette équipe mais on attend de voir les contours du financement.”
De plus en plus de producteurs de cinéma “s’y mettent aussi et viennent nous voir avec des projets de séries. C’est très sain que ces producteurs se diversifient et cela prouve qu’il y a une réelle émulation autour des séries. Tout le monde a envie de s’y mettre et ça, c’est très positif”, souligne Tanguy Dekeyser.
« Hall of fame » belge francophone
Aux origines des séries belges. Le succès de La Trêve, Ennemi Public, Unité 42 et toutes les suivantes est le fruit de multiples facteurs dont le soutien et l’accompagnement des scénaristes belges par la RTBF et la Fédération Wallonie-Bruxelles à travers le Fonds séries (2013) est le premier jalon. Le terrain avait aussi été préparé par quelques productions plus anciennes. Avant Pandore, Attraction ou Des gens bien, le chemin avait été en partie pavé par les séries Septième ciel Belgique (2006- 2007), Melting Pot Café (2007-2010), A tort ou à raison (2009-2013) et Esprits de famille (2014)… Si toutes n’ont pas connu le succès, elles ont permis de révéler quelques talents face caméra, de forger quelques plumes et, surtout, d’attirer l’attention du public francophone sur une fiction qui lui ressemble…
2016 La Trêve (S1), Ennemi Public (S1)
2017 Unité 42 (S1)
2018 eLegal, Champion, La Trêve (S2)
2019 Ennemi Public (S2), Unité 42 (S2)
2020 Invisible
2021 Coyotes, Baraki
2022 Pandore (S1), Fils de, Des Gens bien
2023 1985, Attraction, Trentenaires, Baraki (S2)
Soit 14 séries en tout: 12 séries en 52 minutes et 2 comédies (Baraki et Trentenaires) au format 26 minutes, même si dans les faits, Trentenaires, bien que 100% belge, n’a pas été financée dans le cadre du Fonds.
Entretien: Karin Tshidimba
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