Un territoire de neuf millions d’habitants, 120 sociétés de production, 200 heures de fiction TV produites chaque année et des pluies de récompenses à la clé. Comment s’explique le succès des séries israéliennes (Fauda, Hatufim, In Treatment, Our Boys) à l’international ? Petit tour en coulisses à Tel Aviv

Vu d’Europe ou des États-Unis, Israël peut sembler être l’Eldorado des créateurs et des séries avec quatre prix remportés à Séries Mania en dix éditions et des quantités d’autres récompenses glanées à travers le monde. Dans un récent classement du New York Times, Israël place deux séries dans le top 30 de la décennie : Hatufim (inspiratrice de l’Américaine Homeland) est même classée n°1 et Fauda (sur des agents israéliens infiltrés au sein du Hamas) est classée n°8. Un succès qui la place devant la Grande-Bretagne et les pays scandinaves, favoris des classements internationaux. Joli score pour un territoire d’un peu moins de neuf millions d’habitants. Comment expliquer ce succès à l’international, quels sont les ressorts du succès israélien ?

1. « Israël est un pays à la population très mélangée, c’est la première raison qui explique que nous parvenons à parler à tout le monde », constate Kelly Wright, responsable distribution et ventes chez Keshet, groupe audiovisuel propriétaire de la très populaire Channel 12. « Israël est une société très divisée et polarisée qui doit gérer de multiples problèmes et difficultés internes. On y trouve de nombreux sous-groupes, issus de l’immigration, des gens qui sont nés ou ont grandi à l’étranger, auxquels il faut pouvoir s’adresser à travers nos créations. C’est ce qui rend nos histoires universelles », poursuit Karni Ziv, sa collègue responsable de la fiction chez Keshet.

2. Comme le démontre la récente création Our Boys d’Hagai Levi, le caractère ultra-documenté est l’une des grandes forces des séries israéliennes. Avant même d’abriter des créateurs de séries chevronnés, Israël était une fertile terre de cinéma. Une révolution qu’est en train de vivre la Belgique, côté francophone, car nos voisins flamands ont plus de dix ans d’avance dans le domaine…

3. Autre particularité d’Israël, selon Karni Ziv : « il est difficile de persuader le public de suivre plus de dix épisodes, cela nous oblige à proposer des fictions dans lesquelles on se sent rapidement engagé. » Car le principal souci des créateurs israéliens est avant tout leur marché intérieur qui, comme tous les autres subit la pression des grands groupes opérant en ligne : Netflix, Amazon, Apple TV, Disney.

Authenticité, réalisme et attention accordée aux multiples opinions exprimées sont la clé qui assure aux séries israéliennes la pertinence et la justesse de leur propos.

4. Qui dit petit pays sous-entend petits budgets (les coûts représentent un tiers de ce qu’il faut payer ailleurs), mais grande productivité et grands débouchés à l’international. Un premier point commun avec la Belgique qui, grâce à l’intérêt de son Tax Shelter, continue à attirer beaucoup de tournages de ses voisins.

Petits budgets mais grand savoir-faire, sens de la débrouille et système D, faut-il ajouter. Les équipes techniques israéliennes sont jusqu’à trois fois plus restreintes que celles présentes sur un plateau aux Etats-Unis ou en France. Et elles parviennent à assurer jusqu’à deux fois plus de minutes de fiction par jour. De quoi diminuer la durée des tournages, comme c’est souvent le cas en Belgique aussi.

La question des budgets reste d’autant plus cruciale que toutes les décisions en la matière sont actuellement bloquées. Israël vit sa troisième période d’élections législatives en un an en raison du fossé qui s’est encore creusé entre la société laïque et les ultraorthodoxes. En l’absence d’un gouvernement régulièrement élu, difficile de faire avancer un certain nombre de projets, surtout en matière culturelle. Une situation qui n’est pas sans rappeler celle vécue en Belgique…

5. Des sujets qui dérangent. Pas de bonne histoire sans un sérieux conflit. Or le conflit est au cœur même de l’histoire d’Israël. Loin de tenter de les cacher ou les atténuer, les séries israéliennes prennent la mesure de ces tensions et difficultés et n’hésitent pas à prendre le contre-pied du discours dominant ou à critiquer en filigrane les positionnements de certains au sein du gouvernement. Our Boys, la dernière production en date d’Hagai Levi (créateur d’In Treatment, The Affair) a été vivement dénoncée par le Premier ministre Benyamin Netanyahu dans un accès de colère ultra-médiatisé. Un appel au boycott qui n’a fait reculer ni le créateur de la série ni le diffuseur. « Nous ne sommes pas les porte-voix du gouvernement », rappellent les responsables de la fiction des différentes chaînes qu’elles soient publiques ou privées…

6. Le goût de l’autodérision. Pour ouvrir son réservoir de création et ne pas risquer de lasser, Israël doit imaginer de nouvelles histoires. Cela passe notamment par des sujets plus légers et des comédies profondément ancrées dans la culture israélienne. Même si le risque est qu’elles soient moins appréciées à l’étranger. L’humour restant fortement lié à la culture de chaque nation, il voyage parfois plus difficilement.

Pourtant une série comme Autonomies, qui met en scène une dystopie en forme de satire au sujet du statut d’Israël et du poids de la religion, connaît un joli succès à l’international. La série, créée par un juif orthodoxe, Ori Elon, imagine Israël scindée en deux. D’un côté, Jérusalem, devenue entièrement juive orthodoxe et, de l’autre, Tel Aviv, devenue état séculaire. Les tensions entre les deux territoires s’exacerbent soudain lorsqu’une sage-femme avoue avoir échangé deux bébés à la naissance sept ans plus tôt. Un postulat troublant et sombre, traité avec beaucoup de recul et d’autodérision, qui a connu un joli succès en Turquie où la question de la religion est également loin d’être anodine.

Vu les nombreux points communs (budgets, mixité des populations, système D, influence documentaire, avenir politique incertain et goût de l’autodérision), les créateurs belges auraient sans doute tout intérêt à s’inspirer du modèle israélien.

Salaires très bas, situation sous tensions

Toute médaille a son revers. En Israël, elle est symbolisée par la relative précarité qui règne dans le secteur de la création de séries, pourtant en plein boom. « Sans l’export, ce serait la mort », résume un producteur israélien. Si le vivier des scénaristes est florissant à Tel Aviv et Jérusalem, il compte, comme partout ailleurs, beaucoup d’appelés mais peu d’élus.

Pour s’assurer des salaires décents, les scénaristes doivent être producteurs de leurs séries afin de disposer du « final cut » et de pouvoir vendre leurs projets à l’international. Le territoire israélien est en effet trop petit pour assurer leur rentabilité d’autant que, toutes proportions gardées, Israël compte un nombre élevé d’opérateurs publics et privés.

En quête d’un meilleur financement

Si Hollywood fait les yeux doux aux créateurs israéliens afin de s’assurer scénarios originaux et adaptations, il ne parvient pas toujours à les faire « entrer dans la danse ». Certains, tel Hagai Levi (In Treatment, The Affair), préfèrent rester au pays où ils jouissent d’une liberté sans comparaison avec la pression et la gestion pyramidale inhérentes aux studios américains. Petits budgets certes, mais grande liberté cultyivée aussi au sin de certyains coproductions internationales comme c’est le cas avec sa nouvelle création Our Boys.

Assurer un meilleur financement est une revendication largement partagée car les séries ne reçoivent aucun subside de l’État, contrairement au secteur du cinéma. De même, « il faudrait obliger Netflix et Amazon à investir dans le marché israélien« , insistent nombre d’opérateurs. Que les plateformes ne se contentent pas d’acheter leurs plus grands succès – Fauda ou When Heroes fly (trailer ci-dessus) disponibles sur Netflix – mais qu’ils contribuent à les bâtir.

Dotée d’un climat propice aux tournages en extérieur pratiquement toute l’année et d’un espace public parfaitement quadrillé, Israël n’est toutefois pas à l’abri d’une recrudescence des hostilités à cause des tensions dans les territoires occupés. Depuis Homeland et Tyrant, il n’y a plus eu d’autres séries étrangères tournées en Israël, pour des questions d’assurance, forcément…

Karin Tshidimba, à Tel Aviv