C’était l’un des paris les plus osés de la plateforme AppleTV au moment de son lancement en novembre 2019. La série Dickinson** prenait le contre-pied des biopics pleins de révérence consacrés aux auteurs inscrits au panthéon de la littérature mondiale. Une découverte pop assumée dont la saison 2 vient de débuter
En choisissant de se pencher sur l’adolescence d’Emily Dickinson (1830-1886) et de la montrer sous les atours d’une jeune femme déterminée et rebelle, auteure de génie, féministe et écolo avant l’heure, Alena Smith (The Affair, The Newsroom) frappait les esprits peu habitués à ce que les scénaristes prennent de telles libertés avec l’Histoire au pays de l’Oncle Sam. Jeune, Emily avait la réputation d’être relativement exubérante et théâtrale et on la découvre ici passionnée, sincère et touchante.
Bien sûr, des séries comme Sherlock, Jekyll ou The Knick ont pavé le chemin et préparé l’amateur de séries à l’introduction de quelques anachronismes bien sentis. Mais le langage très contemporain, le sens de la fête et le goût des excès de la jeunesse de la petite ville d’Amherst, dans le Massachussets, prend d’abord le public au dépourvu, avant de lui offrir de nouvelles perspectives bienvenues.
Une auteure moderne avant tout
Quoi de plus naturel, en effet, lorsqu’on souhaite retracer le parcours d’une jeune fille résolument anticonformiste, aimant la solitude, la nature et la littérature et s’affirmant résolument anti-mariage et opposée aux convenances ou aux soi-disant progrès de son époque ! Ce personnage hors norme, l’actrice et chanteuse Hailee Steinfeld (True Grit) s’en est emparé avec fougue et gourmandise. Consciente que ce parti pris irrévérencieux n’avait pas pour seul objectif de choquer les puristes mais bien de montrer la radicale modernité de l’auteure, définie notamment par son sens de l’ironie.
L’idée est, en effet, de montrer que par ses opinions et ses choix de vie, Emily Dickinson était bien plus proche du XXIe que du XIXe siècle. « Elle est prisonnière de son époque » insiste la créatrice Alena Smith, « la différence du personnage s’incarne donc à travers ses gestes et ses prises de position« . Un décalage vécu comme une souffrance, ce qui explique sans doute qu’Emily Dickinson vécut une grande partie de sa vie adulte recluse dans sa chambre. L’écrivaine était également obsédée par l’idée de la mort, comme le prouvent ses écrits. Dans la série, celle-ci est personnifiée par l’envoûtant rappeur Wiz Khalifa, haut-de-forme vissé sur la tête.
Chagrin et amours interdites
Le malheur d’Emily viendra du fait que son frère Austin tombera amoureux de son âme sœur et amie d’enfance, Sue Gilbert (campée par la comédienne Ella Hunt). Une relation passionnée, déjà évoquée dans le film de 2018 Wild nights with Emily, et dont atteste l’imposante correspondance entretenue avec celle qui deviendra finalement sa belle-sœur. Cette passion secrète mais dévorante rompt avec l’image austère et renfermée, parfois véhiculée au sujet de la jeune femme, dont l’œuvre fut principalement découverte à titre posthume.
Liberté, diversité, sexualité et poids du patriarcat : la série fait le choix d’aborder et refléter les préoccupations de son public (adolescent) en montrant qu’elles ne datent pas d’aujourd’hui mais bien d’hier. Tout en se penchant sur les affres de la création et sur la place des femmes dans la littérature.
Cette proposition résolument hors cadre pourrait pousser les plus curieux à plonger dans l’univers d’Emily Dickinson, les titres de ses poèmes servant de fil rouge tout au long des dix épisodes de la saison 1.
Depuis le succès de la série The Queen’s Gambit, le concept d’images mentales a encore fait de nouveaux adeptes et même si, ici, elles ne s’illustrent pas en version 3D, la façon dont les vers de la poétesse s’inscrivent dans son environnement en dit long à la fois sur les tourments de son âme et sur les sources de son inspiration. Une belle façon de saluer un esprit et un talent en perpétuelle ébullition.
Casting diversifié et choix musicaux contemporains (une bande-son mariant pop, rock et électro) finissent de dynamiter la narration historique ampoulée que les costumes d’époque pouvaient faire craindre.
Comment affronter la postérité ?
La saison 2 de Dickinson**, dont les trois premiers épisodes ont été mis en ligne ce vendredi 8 janvier*, aborde une question épineuse : celle de la célébrité, la jeune auteure envisageant de partager avec le monde extérieur ses poèmes tenus secrets jusqu’alors. Une décision délicate assortie du sentiment que cette « poursuite de la gloire pourrait s’avérer un jeu très dangereux pour elle ».
Le casting de la série s’étoffe avec Nick Kroll dans le rôle d’Edgar Allan Poe ; Finn Jones (Iron Fist) dans celui de Sam Bowles, le rédacteur en chef du journal Springfield Republican, éditeur de ses premiers poèmes. Quant à Timothy Simons (Veep), il sera le célèbre architecte Frederick Law Olmsted.
La série a d’ores et déjà été renouvelée pour une saison 3.
Karin Tshidimba
nb: Après les trois premiers proposés ce vendredi 8 janvier, un nouvel épisode sera mis en ligne chaque vendredi.
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