Kate est enquêtrice judiciaire. En visite chez le psychologue pour dépression profonde, elle se révèle telle qu’en elle-même : cash, cinglante, sans filtre et parfois même cynique. Élevée au Royaume-Uni par sa mère adoptive, la jeune femme, survivante du génocide des Tutsis, n’en reste pas moins profondément perturbée.
Et le fait que sa mère, avocate de renom, ait décidé de poursuivre en justice le général Simon Nyamoya, ex-héros du FPR (Front patriotique rwandais), devant la Cour pénale internationale (CPI) envenime encore la relation entre les deux femmes. Kate est littéralement hors d’elle : « Tu devrais poursuivre les génocidaires qui se cachent encore au Congo plutôt que celui qui a permis d’arrêter les massacres en 1994. » Ce procès ravive en elle des plaies profondes.
Michaela Coel irradie dans ce thriller qui plonge au cœur de l’histoire du Rwanda.
Des enjeux politiques majeurs
Avec son démarrage dense, dopé par de belles plongées et envolées dans les premiers épisodes, la mini-série Black Earth Rising*** annonce d’emblée ses ambitions. Elle déploie une intrigue à tiroirs qui dévoile, à chacun des huit épisodes, une nouvelle strate d’une réalité complexe et nuancée. Le tout est littéralement porté par l’interprétation de Michaela Coel, actrice déchirante, déterminée, à la sobre intensité. Bien loin du rôle d’adulescente délurée qui l’a rendue célèbre dans la série Chewing Gum, ou de ses rôles dans l’inquiétante série d’anticipation Black Mirror. La comédienne est en outre épaulée par l’impeccable John Goodman (alias Michael Ennis).
Réalisateur, producteur et scénariste, Hugo Blick, qui s’est déjà frotté à la poudrière du Moyen-Orient avec sa précédente formidable série géopolitique – The Honourable Woman (2014) avec Maggie Gyllenhaal (The Deuce) -, explore avec beaucoup de lucidité et de subtilité les relations controversées entretenues par les pays occidentaux (France, Royaume-Uni, États-Unis) avec l’Afrique (le Rwanda, mais aussi la République Démocratique du Congo).
La série explore notamment le caractère très controversé de l’Opération turquoise française, mais aussi la façon dont la justice est rendue à La Haye et à travers le monde. Quand certains criminels de guerre sont poursuivis et d’autre non.
En s’intéressant à la mémoire en miettes, aux arrangements avec l’Histoire, à la confusion des sentiments, au drame des enfants soldats et aux souffrances vécues par les survivants, Black Earth Rising balaie un large spectre de perceptions humaines auxquelles un public très diversifié peut s’identifier.
Une plongée éclairante dans la géopolitique africaine
Guidée par cette jeune femme à la recherche de réponses et de ses racines, l’enquête connaît de multiples rebondissements. Les apparences s’y révèlent bien souvent tronquées ou trompeuses et débouchent sur un thriller politique et psychologique qui, malgré la confusion des paroles et des émotions, ne relâche jamais son étreinte.
Même si l’intrigue est en partie fictive, elle épouse suffisamment étroitement l’histoire du pays des mille collines pour en offrir un éclairant et troublant reflet. Notamment dans la façon dont le génocide continue à empoisonner la vie de tous les survivants, dans un mélange de culpabilité, de colère sourde, d’amertume ou de rancœur.
Avec une mention spéciale pour le recours à l’animation dans les scènes de souvenirs ou de reconstitution, le tout est porté par l’envoûtant You want it darker de Leonard Cohen en guise de générique. La série, produite par la BBC au départ, est disponible depuis vendredi sur Netflix.
Karin Tshidimba
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