La scénariste Anne Berest l’a imaginée, le réalisateur Fabrice Gobert l’a filmée et Marina Hands, comédienne, lui prête ses traits : ce trio gagnant fait d’Elvira Lambert une femme formidable et pourtant, au bord de la crise des nerfs. Mytho série à voir jeudi à 20h55 sur Arte. Rencontre

Trop de pression peut vous amener à péter les plombs », dit la sagesse populaire. Comment mieux résumer ce qui est arrivé à Elvira (Marina Hands) ce matin-là ? Lasse d’être ignorée, alors qu’elle veut juste réunir sa famille autour de la table du dîner, un jour, elle dérape et invente un énorme mensonge… « Pour parvenir à ses fins, le mensonge peut sembler magique. Au départ, il a des vertus merveilleuses, mais c’est aussi un poison » glisse la scénariste Anne Berest. Un poison dont Elvira n’a pas mesuré la toxicité.

Pour donner corps à son récit, à la fois comédie subversive et chronique familiale, la scénariste avait un nom en tête : celui de Fabrice Gobert. « C’était mon rêve premier à cause du choc qu’avait été sa série Les Revenants et puis, son film Simon Werner a disparu m’a vraiment marquée. J’ai eu l’intuition qu’on aurait un jardin commun. J’ai insisté pour le rencontrer et il m’a dit qu’il avait tout de suite été séduit par le texte. C’était important que le projet bénéficie de son expérience de la série. »

Anne Berest, Fabrice Gobert, Marina Hands : un trio au top

« Je craignais que le scénario ne perde de sa force mais je l’ai lu d’une traite. C’était si différent des choses graves et sombres qu’on me proposait sans cesse depuis Les Revenants. J’aimais le ton, l’écriture, les personnages : un mix léger, surprenant, hybride entre le drame et la comédie où on peut se concentrer sur les personnages avec des situations très romanesques », précise le réalisateur. « C’était un scénario délicat qui contenait même des propositions de mouvements de caméra, ce qui prouvait qu’Anne pensait que la forme devait aussi raconter beaucoup de choses. Cela précisait sa pensée et, forcément, ça m’a plu. »

Le nom de Marina Hands s’est imposé tout aussi rapidement.
« J’avais très envie de travailler avec Marina »« mais j’ai peur des fantômes » souffle-t-elle en aparté en référence au scénario des Revenants. « Je sentais qu’elle était susceptible d’être cette Elvira à la fois sombre et capable de basculer vers quelque chose de léger et de surprenant. On a fait les premiers tests avec les trois enfants, sans Mathieu Demy et, tout de suite, quelque chose de très fort s’est dégagé de cette famille. »
Un petit groupe qu’ils ne sont pas près de quitter puisqu’ils songent déjà à la saison 2 de Mytho.

« J’ai développé cette série avec l’envie de suivre cette famille durant plusieurs saisons. Les personnages imaginés par Anne ont un grand potentiel romanesque, me semble-t-il. Le long format permet d’explorer les choses qu’on entrevoit et qui se révèlent plus importantes que ce que l’on pensait au départ » souligne Fabrice Gobert.

« Je voulais défendre Elvira, jugée mauvaise femme, mauvaise mère, mauvaise épouse »

« L’idée de cette femme qui souffre du fait que personne ne la regarde me plaisait, reconnaît Marina Hands. Elvira s’habille toujours avec des couleurs très prononcées. Etre à la fois dans la douleur et la légèreté, c’est une tonalité qu’on ne voit pas beaucoup dans les séries ou les fictions françaises et pourtant, c’est la vraie vie. Ce qui m’a plu, c’est le fait que, très vite, on puisse penser que c’est une mauvaise femme. Dans la fiction, c’est difficile de trouver des personnages féminins avec des aspérités. Très rapidement, on juge les personnages qui ont des zones d’ombre et qui ne sont pas forcément des victimes. J’ai eu envie de la défendre. »

Incarner des figures féminines qu’on pourrait malmener – « mauvaise femme, mauvaise mère, mauvaise épouse » – et devenir leur avocate, c’est cela qui séduit la comédienne.
« Plus jeune, j’ai été très marquée par des personnages vivant des chocs moraux intenses. J’aime bien jouer avec cette matière humaine pour tenter de provoquer de l’empathie. Cela faisait des années que je rêvais d’un projet et d’un personnage comme celui-là. Dans la série, il y a aussi le temps, la longueur qui permet de collaborer avec le réalisateur. Au bout d’un mois ou deux, on a son mot à dire sur son personnage car on est tous les jours dans ses chaussures. C’est très agréable de collaborer car je me sens forcément moins manipulée. Et puis, il faut éviter le côté trop systématique de certaines situations dans les séries. Sur l’évolution de la saison, l’histoire va vraiment plus loin » souligne l’actrice primée au Festival Séries Mania.

« La série offre une photo de la jeunesse d’aujourd’hui »

Les personnages sont inspirés de personnes réelles : « ma mère, mon oncle et d’autres », confie Anne Berest. Avec des distorsions par rapport au réel. « Je vis dans une famille recomposée avec six enfants, je les observe et cela m’inspire beaucoup. J’ai vraiment l’impression d’avoir pris une photo de cette jeunesse à la sortie de l’école. »
« Ils remettent les choses en cause de façon peut-être plus violente qu’avant, note le réalisateur Fabrice Gobert. On sent qu’il y a plusieurs couches, cela permet de développer ces personnalités. Pour éviter de dépeindre les ados et les enfants de façon paresseuse, comme c’est souvent le cas. On avance pas à pas presque sans s’en rendre compte. L’évolution de chacun est cohérente », comme dans les grandes séries sur les familles qui ont pu l’inspirer : Six Feet Under ou Les Soprano.

Côté décor, le choix du duo s’est porté sur un univers qu’ils connaissent bien à travers des peintres (Hockney, JeffWall) ou via le réel. « On a tous les deux habité dans une banlieue pavillonnaire ; l’endroit où on grandit vous marque à jamais. Sans se connaître, on avait plein de références communes », souligne Anne Berest.
« Je voulais développer quelque chose sur les zones périurbaines qui me passionnent, admet Fabrice Gobert. Nous avons tourné dans l’Essonne, une banlieue construite en parfait miroir de la façon dont ils fantasmaient les banlieues américaines. Ces zones pavillonnaires ont un côté hyper rassurant mais on peut très vite passer à quelque chose de très étrange où le bruit des avions, des tondeuses mais aussi le regard des voisins vous agressent. »
Une tension que vient souligner avec force la bande-son spécialement composée par le compositeur Jean-Benoît Dunckel (du duo Air), une musique qui s’immisce un peu plus dans chacun des six épisodes.

Entretien: Karin Tshidimba, à Lille